Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Association des travailleurs et travailleuses d’AJW Technique (ATAJW),

requérante,

et

AJW Technique inc.,

employeur,

et

Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale,

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 31482‑C

Référence neutre : 2016 CCRI 814

Le 8 mars 2016

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, ainsi que de Me Richard Brabander et de M. Norman Rivard, Membres.

Procureurs inscrits au dossier

Me Bruno‑Pierre Allard, pour l’Association des travailleurs et travailleuses d’AJW Technique (ATAJW);

Me Philippe‑André Tessier, pour AJW Technique inc.;

Me Amanda Pask, pour l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.

I. Nature de la demande

[1] Le 12 janvier 2016, l’Association des travailleurs et travailleuses d’AJW Technique (l’ATAJW ou la requérante) a présenté une demande en vue d’être accréditée comme agent négociateur d’une unité d’employés d’AJW Technique inc. (AJW ou l’employeur) et de déloger par le fait même l’agent négociateur en place, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (l’AIMTA).

[2] Le 13 mars 2014, l’AIMTA avait été accréditée pour représenter une unité d’employés d’AJW affectés à l’appui technique, à l’entretien et au soutien opérationnel (ordonnance du Conseil no 10539‑U). AJW est une entreprise spécialisée en entretien, réparation et révision de composantes d’aéronefs commerciaux. Une convention collective entre ces deux parties est en vigueur pour la période allant du 14 janvier 2013 au 14 janvier 2018.

[3] Le 27 janvier 2016, le Conseil a informé les parties qu’il rejetait la demande. Voici les motifs de cette décision.

II. Position des parties

A. Le syndicat en place (l’AIMTA)

[4] L’AIMTA demande au Conseil de mener une enquête approfondie sur la preuve d’adhésion afin de s’assurer que celle‑ci est valide et que la requérante a démontré qu’elle bénéficiait du niveau d’appui requis pour qu’un scrutin de représentation soit tenu. Elle soutient que le Conseil ne peut s’appuyer sur la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande de la requérante pour conclure que les employés souhaitent être représentés par l’ATAJW.

[5] L’AIMTA soutient que les membres ont été induits en erreur en ce qui concerne l’identité de la requérante au moment où ils ont signé des cartes sur lesquelles figuraient le logo de « JPA Syndicat » ainsi que le nom « Jean Poirier & Associés inc. ». Elle avance que les membres ne savent pas à quoi s’en tenir en ce qui concerne l’identité de l’organisation qui veut les représenter en tant qu’agent négociateur, étant donné que les documents qui ont circulé sur le lieu de travail dans le cadre de la campagne de syndicalisation étaient rédigés sur du papier à en‑tête sur lequel figurait le logo de « JPA Syndicat ». L’AIMTA affirme que le nom du syndicat requérant n’était pas inscrit sur les cartes à signer.

[6] L’AIMTA soulève également des préoccupations relativement à des cartes d’adhésion qui ont peut‑être été signées avant que l’ATAJW ait été dûment constituée en un syndicat, doté de statuts et de règlements. Elle soutient que toute carte d’adhésion signée avant la date à laquelle la requérante a été constituée en syndicat n’est pas une preuve fiable de la volonté des employés d’être représentés par la requérante.

[7] L’AIMTA allègue que l’ATAJW n’a pas exigé systématiquement le versement des frais d’adhésion de 5 $ qui sont exigés aux termes du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) et du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement), et elle demande au Conseil de le vérifier en menant son enquête confidentielle sur la preuve d’adhésion.

B. Le syndicat requérant (l’ATAJW)

[8] Le syndicat requérant, l’ATAJW, soutient qu’il satisfait à toutes les exigences prescrites par la loi et il conteste vigoureusement les allégations de l’AIMTA concernant la fiabilité de la preuve d’adhésion.

[9] L’ATAJW soutient que le nom du syndicat était écrit à la main ou imprimé sur les cartes au moment où elles ont été signées. Elle affirme donc que les employés savaient qu’ils adhéraient au syndicat requérant. Elle affirme également qu’elle a reçu le paiement de 5 $ de chaque employé qui a signé une carte.

[10] La requérante affirme que plusieurs réunions ont eu lieu en octobre et en novembre 2015 et que M. Jean Poirier de Jean Poirier & Associés inc. était présent à ces réunions pour expliquer le processus de formation d’un syndicat. La requérante affirme également qu’il a été expliqué clairement, à l’occasion de ces réunions, que le but visé était de constituer un syndicat indépendant pour les employés d’AJW. L’ATAJW soutient que les statuts et règlements ont fait l’objet de discussions et ont été approuvés par les membres lors de ces réunions, et qu’ils ont été ratifiés à l’occasion de la réunion de fondation en janvier 2016.

[11] L’ATAJW allègue que le syndicat en place a proféré des menaces ou usé d’intimidation et elle demande que le Conseil exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 16i) du Code pour ordonner la tenue d’un scrutin de représentation, ce qui constituerait le meilleur moyen de déterminer la volonté des employés de l’unité.

C. L’employeur

[12] L’employeur a communiqué au Conseil l’information nécessaire relative à la liste des employés touchés ainsi que sa position concernant la description de l’unité de négociation. Il n’a pas pris position en ce qui touche les questions de fond qui ont été soulevées relativement à la preuve d’adhésion.

III. Analyse et décision

[13] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. En outre, le Conseil a expliqué, dans Coastal Shipping Limited, 2005 CCRI 309, sa pratique selon laquelle il dispose des demandes d’accréditation en fonction des observations écrites, sans tenir d’audience, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre la présente décision sans tenir d’audience.

[14] Cette demande a été présentée aux termes des nouvelles dispositions du Code sur l’accréditation, qui sont entrées en vigueur le 16 juin 2015. Les modifications apportées touchaient plus précisément les articles 28 et 29 du Code, qui exigent maintenant que le Conseil tienne un scrutin de représentation pour s’assurer que la majorité des employés d’une unité désirent être représentés par un syndicat, pour autant que le seuil d’adhésion ait été atteint. Par suite de ces modifications, le Conseil n’a plus le pouvoir discrétionnaire qui lui permettait de se fonder uniquement sur la preuve d’adhésion pour établir si un syndicat bénéficiait de l’appui de la majorité des employés de l’unité.

[15] Les modifications susmentionnées ont également eu pour effet de modifier la règle que le Conseil appliquait dans le cas des demandes visant à déloger un syndicat. Selon cette règle, il fallait qu’un requérant démontre qu’il bénéficiait de l’appui de la majorité des employés de l’unité pour que le Conseil donne suite à la demande, que ce soit en accréditant le requérant ou en ordonnant la tenue d’un scrutin de représentation.

[16] Les nouvelles dispositions qui régissent les demandes d’accréditation sont ainsi libellées :

28 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil accrédite un syndicat à titre d’agent négociateur d’une unité s’il est convaincu, sur le fondement des résultats d’un scrutin de représentation secret, que la majorité des employés de l’unité qui ont participé au scrutin désirent que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

(2) Le Conseil ordonne la tenue d’un scrutin de représentation secret au sein d’une unité lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) il a été saisi par un syndicat d’une demande d’accréditation à titre d’agent négociateur de l’unité;

b) il a déterminé que l’unité est habile à négocier collectivement;

c) il est convaincu, sur le fondement de la preuve du nombre d’employés membres du syndicat, qu’à la date du dépôt de la demande, au moins quarante pour cent des employés de l’unité désiraient que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

29 (1) [Abrogé, 2014, ch. 40, art. 3]

(1.1) La personne qui n’était pas un employé de l’unité de négociation à la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné et qui a été par la suite engagée ou désignée pour accomplir la totalité ou une partie des tâches d’un employé d’une unité visée par une grève ou un lock‑out n’est pas un employé de l’unité.

(2) [Abrogé, 2014, ch. 40, art. 3]

(3) Pour trancher la question de l’adhésion au syndicat, le Conseil peut ne pas tenir compte des conditions d’admissibilité prévues dans la charte, les statuts ou les règlements administratifs de celui‑ci, s’il est convaincu que le syndicat admet habituellement des adhérents sans égard à ces conditions.

[17] Conformément aux nouvelles dispositions, et avant d’ordonner la tenue d’un scrutin aux termes du paragraphe 28(2) du Code, le Conseil doit déterminer si l’unité est habile à négocier collectivement, et il doit être convaincu, selon la preuve d’adhésion, qu’au moins 40 % des employés de l’unité désirent être représentés par le syndicat.

[18] Le Conseil a réitéré récemment l’importance d’examiner minutieusement la preuve d’adhésion afin de garantir que le syndicat dispose, au moment du dépôt de sa demande, du niveau d’appui exigé pour que la tenue d’un scrutin de représentation soit ordonnée. Dans WestJet, an Alberta Partnership, 2015 CCRI 785, le Conseil s’est exprimé ainsi :

[42] Même si, en raison du changement apporté à la législation, le Conseil n’a plus le pouvoir discrétionnaire d’accréditer un syndicat sur le fondement de la preuve d’adhésion présentée au moment de la demande, il reconnaît que la Loi n’a rien changé à son obligation et à sa responsabilité d’examiner la preuve d’adhésion pour s’assurer qu’une proportion suffisante des employés de l’unité de négociation proposée appuient la demande. Le Conseil conclut donc qu’il doit se fonder sur ses politiques et pratiques existantes pour évaluer et examiner la preuve d’adhésion.

[43] Le Conseil est d’avis qu’il est d’importance primordiale que la preuve d’adhésion sur laquelle il s’appuiera pour prendre ses décisions soit juste et fiable. Pour évaluer et vérifier la preuve d’adhésion, le Conseil a toujours appliqué une norme très rigoureuse. Le Conseil a récemment réitéré l’importance des exigences relatives à la preuve d’adhésion dans Sécurité préembarquement Garda inc., 2015 CCRI 764 :

[16] Le Conseil prend au sérieux les exigences relatives à la preuve d’adhésion et a toujours affirmé que le défaut de se conformer aux exigences du Code et du Règlement est un vice de fond et non de forme. Cela est d’autant plus important que le Conseil se fonde sur la preuve d’adhésion pour décider s’il convient ou non d’accorder une accréditation ou d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation, accordant ainsi au requérant des droits et des privilèges fondamentaux en vertu du Code. Le Conseil et son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), ont appliqué de manière constante une norme rigoureuse pour examiner la preuve d’adhésion produite par un syndicat requérant.

[19] Les exigences du Conseil concernant la preuve d’adhésion à un syndicat sont énoncées au paragraphe 31(1) du Règlement :

31 (1) Pour toute demande concernant les droits de négociation, le Conseil peut accepter comme preuve d’adhésion d’une personne à un syndicat, à la fois :

a) le dépôt d’une demande d’adhésion au syndicat revêtue de sa signature;

b) la preuve qu’elle a versé au syndicat une somme d’au moins cinq dollars, à l’égard ou au cours de la période de six mois précédant la date de dépôt de la demande.

[20] Dans la présente affaire, la question clé que le Conseil s’est posée est celle de savoir si, aux termes de l’article 31 du Règlement, la preuve d’adhésion qui accompagne la demande est valide et suffit pour établir qu’un minimum de 40 % des employés de l’unité souhaitent être représentés par le requérant.

[21] En examinant les documents et en menant son enquête sur la demande, le Conseil a constaté que la preuve d’adhésion jointe à la demande était entachée de vices de fond. Premièrement, l’enquête a révélé le non‑paiement des frais d’adhésion d’au moins 5 $ exigés par le Conseil et par son règlement. Deuxièmement, la confusion entourant l’identité du syndicat, dans l’esprit d’un certain nombre d’employés qui ont signé des cartes, était suffisante pour que soit remise en question la fiabilité de celles‑ci en tant qu’expression d’une volonté véritable de se joindre au syndicat requérant. Troisièmement, une grande proportion des cartes ont été signées et datées avant que le regroupement d’employés soit constitué en syndicat.

A. Paiement des cotisations syndicales

[22] Afin de pouvoir conclure, aux termes de l’alinéa 28(2)c) du Code, que le requérant a répondu au critère permettant d’ordonner un scrutin de représentation, le Conseil a mis en place un processus selon lequel il délègue ses pouvoirs d’enquête à ses agents des relations industrielles (ARI), afin que ceux‑ci puissent vérifier et évaluer la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation.

[23] L’ARI enquête sur la preuve d’adhésion en s’entretenant de manière confidentielle avec certains employés et il tient compte de tous les renseignements fournis par l’une ou l’autre des parties à la demande. L’ARI présente les résultats de son enquête au Conseil dans un rapport confidentiel afin de préserver la confidentialité de la volonté des employés, conformément à l’article 35 du Règlement. Ce processus est bien établi et a été examiné dans la jurisprudence du Conseil (voir IMS Marine Surveyors Ltd., 2001 CCRI 135 au paragraphe 16; TD Canada Trust du Grand Sudbury (Ontario), 2006 CCRI 363; confirmée en contrôle judiciaire : TD Canada Trust c. Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes, 2007 CAF 285).

[24] En outre, les cours de justice ont toujours protégé ce processus et la nécessité de préserver la confidentialité des résultats de l’enquête, compte tenu de la nature délicate de la volonté des employés, protégée par l’article 35 du Règlement (voir Maritime‑Ontario Freight Lines Ltd. c. Section locale 938 des Teamsters, 2001 CAF 252).

[25] En l’espèce, dans le cadre de son enquête, l’ARI a communiqué avec un nombre considérable d’employés qui avaient signé des cartes d’adhésion. Une grande proportion des employés qui ont été questionnés par l’ARI et qui avaient présenté des cartes d’adhésion signées ont déclaré qu’ils n’avaient pas acquitté les frais minimums de 5 $ prévus à l’alinéa 31(1)b) du Règlement. Or, la déclaration suivante était préimprimée sur les cartes : « J’ai acquitté les frais minimums prévus au Code du travail ou au Code canadien du travail » (traduction). Il n’y a toutefois aucun reçu signé ni aucune autre indication sur les cartes ou ailleurs qui permettraient au Conseil de vérifier et de confirmer que les paiements ont été effectués.

[26] Le Conseil conclut, en se fondant sur les résultats de l’enquête de l’ARI, à la présence d’irrégularités dans la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande d’accréditation. Le Conseil constate qu’une grande proportion des employés questionnés par l’ARI ont confirmé qu’ils n’avaient pas acquitté personnellement les frais prévus à l’alinéa 31(1)b) du Règlement.

[27] Il convient de souligner que, dans le certificat d’exactitude signé par la requérante, tel qu’elle l’a déposé au Conseil, il est affirmé que les montants indiqués comme ayant été payés à titre de droits d’adhésion au syndicat ont bel et bien été versés par les employés signataires eux‑mêmes, et en leur propre nom. Voici ce qui est mentionné au paragraphe 4 du certificat d’exactitude signé par la requérante le 11 janvier 2016 :

Je, XXX, déclare et certifie par la présente au Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) que :

...

4. les cotisations syndicales ou les droits d’adhésion inscrits comme ayant été payés ont de fait été versés par les employés intéressés, en leur propre nom et aux dates indiquées. 

[28] Le Conseil a conclu que, contrairement à ce que dit le certificat, les droits d’adhésion n’ont pas été acquittés dans de nombreux cas, ce qui constitue un vice de fond dans la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande.

B. Identité du syndicat

[29] On peut voir, au centre de l’en‑tête de tous les formulaires d’adhésion joints à la demande, un logo sur lequel figurent les mots « JPA Syndicat ». À côté de ce logo, on peut lire ce qui suit, en gros caractères : « JEAN POIRIER & ASSOCIÉS–L’AVENIR DE TOUT SYNDICAT ». Les formulaires d’adhésion distribués en l’espèce comportaient une ligne vierge, et il était demandé aux signataires d’y inscrire le nom de l’association ou du syndicat auquel ils souhaitaient se joindre.

[30] Le nom « Association des travailleurs et travailleuses d’AJW Technique » était écrit à la main à cet endroit sur la majorité des cartes. Sur l’une des cartes, c’est le nom « Jean Poirier Associés » qui a été écrit à la main sur cette ligne. Le Conseil ne peut donc considérer cette carte comme une preuve démontrant que l’employé souhaitait être représenté par l’ATAJW.

[31] En outre, durant son enquête, l’ARI a constaté que la majorité des employés qu’il a questionnés au sujet de la carte d’adhésion qu’ils avaient signée ont répondu que le syndicat auquel ils souhaitaient se joindre était « JPA Syndicat ». L’enquête a donc révélé qu’il y avait une confusion importante en ce qui a trait à l’identité du syndicat et que la majorité des employés questionnés n’étaient pas sûrs du nom du syndicat qui souhaitait les représenter. De l’avis du Conseil, une personne raisonnable n’aurait pas su à quoi s’en tenir ou se serait trompée en ce qui a trait à l’identité du syndicat.

[32] Le Conseil estime que les résultats de l’enquête, conjugués à la présence manifeste sur les cartes d’adhésion d’un logo et d’un nom qui ne correspondaient pas au nom du syndicat demandant à représenter les employés, remettent en question la fiabilité de la preuve d’adhésion présentée avec la demande.

[33] Le Conseil exige une preuve d’adhésion au syndicat claire et sans équivoque, car le Conseil s’appuie sur cette preuve pour s’assurer que les employés souhaitent véritablement être représentés par un syndicat. Il est essentiel que cette exigence soit satisfaite pour que le Conseil ordonne la tenue d’un scrutin, aux termes du paragraphe 28(2) du Code.

[34] Lorsqu’une preuve d’adhésion laisse planer un doute quant à l’identité du syndicat auquel les employés souhaitent se joindre, comme c’est le cas en l’espèce, le Conseil ne peut considérer que cette preuve témoigne de la volonté des employés d’être représentés par le syndicat ayant présenté la demande.

C. Date de signature des cartes d’adhésion

[35] La présente demande est la première demande d’accréditation présentée au Conseil par l’ATAJW. Conformément aux politiques et aux procédures du Conseil, il a été demandé à l’ATAJW de déposer ses documents constitutifs, y compris ses statuts et règlements, pour démontrer qu’elle avait qualité de syndicat. Il ressort clairement des documents produits par la requérante que l’ATAJW a été constituée le 4 janvier 2016, date à laquelle elle a dûment adopté des statuts et règlements écrits qui lui permettent d’exercer ses fonctions en tant qu’organisme viable.

[36] La grande majorité des cartes présentées comme preuve d’adhésion, à l’appui de la demande d’accréditation, ont été signées deux ou trois mois avant la constitution du syndicat et l’adoption par ce dernier de ses statuts et règlements.

[37] Le Règlement exige que la preuve d’adhésion démontre que les personnes concernées ont présenté une demande pour devenir membres d’un syndicat. Or, aux termes de l’article 3 du Code, un syndicat s’entend d’une « [a]ssociation – y compris toute subdivision ou section locale de celle‑ci – regroupant des employés en vue notamment de la réglementation des relations entre employeurs et employés ».

[38] L’ancien Conseil canadien des relations du travail (CCRT) s’est penché sur la qualité de syndicat dans Capital Coach Lines Ltd. (Travelways) (1980), 40 di 5; [1980] 2 Can LRBR 407; et 80 CLLC 16,011 (CCRT no 233) :

L’employeur a plaidé que la définition du terme « syndicat » figurant dans le Code canadien du travail était différente de celle donnée en Ontario et en Colombie‑Britannique, en ce sens que dans le Code canadien du travail, il est question de toute association d’employés et non d’une association d’employés, comme c’est le cas dans les lois de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique. Il a soutenu que le terme « toute » englobait toute forme d’association et n’exigeait pas l’existence de statuts. Nous ne sommes pas d’accord avec cette interprétation car, selon nous, le terme « toute » s’applique à différentes formes d’associations, y compris à une association constituée suivant les formalités de la loi sur les sociétés, par exemple, et à celles qui sont constituées sans les formalités que les lois sur les sociétés ou sur les syndicats professionnels requièrent. La définition figurant au paragraphe 107(1) a quand même trait à l’« association d’employés » et, pour qu’une telle association existe, elle doit répondre à des exigences minimales, par exemple posséder des statuts, afin d’avoir qualité pour fonctionner en tant qu’organisme viable et pour lier juridiquement l’association et les membres qui la composent. Le Conseil n’est pas formaliste et il n’a pas l’intention de priver les employés du droit de négocier une convention collective en raison de vices de procédure. Chaque fois que c’est possible, il donne aux parties concernées la possibilité de corriger toute anomalie qui peut exister. Cela ne signifie pas qu’il y a aucune exigence à respecter. Selon nous, pour qu’une association soit viable, il faut à tout le moins qu’elle soit liée par des statuts.

(pages 8‑9; 410; et 484; c’est nous qui soulignons)

[39] Le CCRT a également examiné l’approche adoptée par différentes commissions des relations de travail provinciales en ce qui a trait à la qualité de syndicat et à l’adhésion dans Air West Airlines Ltd. (Air West Operations Ltd.) (1980), 39 di 56; et [1980] 2 Can LRBR 197 (CCRT no 231) :

En fait, tous les conseils provinciaux de relations du travail reconnaissent que la condition essentielle pour qu’une organisation soit reconnue comme syndicat est que ladite organisation soit liée par des statuts valides. La raison en est expliquée dans une décision rendue en Ontario dans United Electrical, Radio and Machine Workers of America (ve) v. Tridon Limited (1974), 1 Can LRBR 44 :

« Un coup d’œil rapide sur la situation révèle ce qui semble être une superstructure d’agents qui exécutent des tâches normalement accomplies par les dirigeants d’un syndicat. C’est toutefois la question de l’existence d’un fondement approprie qui empêche le Conseil de trouver une réponse toute prête à la question dont il est saisi, à savoir, peut‑on dire qu’une organisation existe en l’absence d’exigences officielles concernant son effectif et d’obligations mutuelles officielles liant les employés en cause, obligations en vertu desquelles on peut les considérer comme membres d’une organisation.

Dans l’affaire Orchard et al. v. Tunney (1957), 8 D.L.R. 2d) 273, pages 281 et 282, le tribunal, parlant de la nature d’un syndicat, a indiqué : « En plus, il est évident qu’un syndicat est lié par des engagements contractuels : chaque membre s’engage envers le groupe, selon des conditions précises régissant les actions individuelles et collectives. Cet engagement bilatéral est presque obligatoire de nos jours afin que des règles régissent les relations entre les deux parties. Les membres sont liés les uns aux autres. L’arrivée ou le départ d’un membre constitue la seule possibilité de modification permise par le contrat. On suppose donc que les membres créent un organisme auquel ils appartiennent et c’est uniquement à titre de membre qu’ils en ont accepté les obligations; c’est à l’organisme comme tel que les responsabilités des mesures collectives incombent ».

Le juge Evans, dans le jugement majoritaire qu’a rendu la cour d’appel de l’Ontario dans Astgen et al. v. Smith et al. (1969), 7 D.L.R. (3d) 657, à la page 661, a traité de la question du statut juridique d’un syndicat : « J’admets au départ qu’un syndicat, aux termes de la Labour Relations Act (Loi sur les relations de travail), S.R.O. 1960, c. 202 et des dispositions législatives connexes, a un statut qui le différencie d’une confrérie ou d’un club sportif, mais sans ce statut particulier que lui confère la loi, un syndicat ne serait autre chose qu’une association volontaire de personnes qui n’a d’existence que celle que lui confère ses membres et qui n’est pas reconnue par la loi. Un club est fondamentalement un groupe de personnes qui se sont rassemblées en vue de réaliser certains objectifs et dont les gestes sont régis par des statuts, des règlements, des règles qu’ils ont acceptés. » » (Traduction de nous)

En Colombie‑Britannique, la décision rendue dans Rempel Bros. Concrete Ltd., non rapportée (70/76) et citée par le syndicat, indique à la page 6 :

« Les statuts sont importants parce qu’ils régissent le fonctionnement de l’organisation : il s’agit d’une forme d’entente entre l’organisation et ses membres, entente qui régit les droits et les obligations des membres et des dirigeants de l’organisation. »

...

Nous souscrivons à l’interprétation donnée par les conseils provinciaux des relations du travail, selon laquelle, pour être reconnu, un syndicat doit être régi par des statuts et des règlements même si le mot « syndicat » n’est pas défini dans les mêmes termes dans les codes provinciaux et dans le Code canadien du travail.

(pages 79–80 et 81–82; et 216–217 et 218)

[40] Lorsqu’elle demande d’adhérer à un syndicat, une personne noue une relation contractuelle avec ce syndicat, selon les termes énoncés dans les statuts et règlements de ce dernier. Le Conseil a de la difficulté à accepter que, dans la présente affaire, des employés aient pu devenir membres d’un syndicat longtemps avant que celui‑ci soit constitué en organisme viable. Comme il a été mentionné ci‑dessus, l’ATAJW a été constituée le 4 janvier 2016, et elle n’existait donc pas et ne disposait d’aucun statut et règlement avant cette date. Toutefois, la grande majorité des personnes qui ont signé une carte et ont adhéré à cette organisation l’ont fait avant le 4 janvier 2016.

[41] Cette incohérence entre les dates auxquelles les cartes ont été signées et la date à laquelle le syndicat a été constitué, conjuguée à la conclusion du Conseil concernant l’identité de l’organisation demandant à représenter les employés, constitue une preuve qui, selon le Conseil, ne démontre pas de manière fiable que les demandes présentées pour faire partie du syndicat satisfaisaient aux exigences de l’article 31 du Règlement.

IV. Conclusion

[42] Selon le Conseil, l’ATAJW doit assumer la responsabilité de se conformer entièrement aux exigences du Code et du Règlement.

[43] L’objectif du Conseil, lorsqu’il examine la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation, est d’établir la volonté des employés à la date du dépôt de la demande. 

[44] Par son examen de la preuve d’adhésion, le Conseil veut s’assurer qu’il peut considérer que les éléments de preuve présentés témoignent réellement de la volonté des employés. Le Conseil évalue les circonstances de chaque affaire et les éléments de preuve produits pour établir s’il peut conclure que la preuve d’adhésion a été obtenue auprès de personnes agissant librement et volontairement, et si cette preuve témoigne réellement de la volonté des employés d’être représentés par le syndicat qui demande l’accréditation.

[45] En l’espèce, le Conseil conclut, en se fondant sur les résultats de l’enquête menée par l’ARI ainsi que sur son propre examen de la preuve d’adhésion, à la présence d’irrégularités et de vices importants dans la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande d’accréditation. De l’avis du Conseil, la nature et l’ampleur des irrégularités qui ont été constatées remettent en question la fiabilité de l’ensemble de la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande, de sorte que le Conseil n’est pas disposé à en accepter la véracité et à s’y fier pour ordonner la tenue d’un scrutin de représentation. 

[46] L’ATAJW a demandé au Conseil d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu de l’alinéa 16i) du Code pour ordonner la tenue d’un scrutin de représentation dans la présente affaire. À l’appui de sa demande, la requérante allègue que le syndicat en place a intimidé les employés de l’unité de négociation durant la campagne de syndicalisation. Le Conseil remarque que la preuve présentée par l’ATAJW et les conclusions de l’enquête du Conseil ne corroboraient pas ces allégations d’intimidation. Compte tenu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, le Conseil ne voit aucune raison d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 16i) du Code et d’ordonner qu’un scrutin de représentation soit tenu. 

[47] Par conséquent, le Conseil rejette la demande.

[48] Par ailleurs, le Conseil avait communiqué sa décision de rejeter la demande dans une décision sommaire. Par conséquent, l’interdiction prévue à l’article 38 du Règlement s’applique à compter du 27 janvier 2016, date à laquelle le Conseil a informé les parties de sa décision pour la première fois.

[49] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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