Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Francine Fortin,

plaignante,

et

Syndicat des employées et employés professionnels(les) et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ,

intimé,

et

Banque Laurentienne du Canada,

employeur.

Dossier du Conseil : 30833-C

Référence neutre : 2016 CCRI 810

Le 28 janvier 2016

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, et de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres. Une audience a eu lieu à Ottawa (Ontario) les 17 et 18 août 2015.

Ont comparu

Mme Francine Fortin, en son propre nom, accompagnée de son frère, M. Pierre Fortin;

Me Elizabeth Perreault, pour le Syndicat des employées et employés professionnels(les) et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ;

Me Guillaume Pelletier, pour la Banque Laurentienne du Canada.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

I. Nature de la plainte

[1] Le 17 décembre 2014, Mme Francine Fortin (la plaignante), une employée de la Banque Laurentienne du Canada (la Banque Laurentienne ou l’employeur), a déposé auprès du Conseil une plainte de pratique déloyale de travail en vertu du paragraphe 97(1) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) dans laquelle elle allègue que son syndicat, le Syndicat des employées et employés professionnels(les) et de bureau, section locale 434 SEPB-CTC-FTQ (le syndicat), a manqué au devoir de représentation juste auquel il est tenu en vertu de l’article 37 du Code. Dans ses observations écrites, présentées au soutien de sa plainte, la plaignante allègue que son syndicat refuse de traiter une trentaine de ses griefs qui datent de 2007 à 2014.

[2] Les derniers griefs déposés par le syndicat au nom de la plaignante datent des mois d’octobre et de novembre 2014. Toutefois, le syndicat n’a demandé à la plaignante de les signer qu’au mois de janvier 2015, soit après que la présente plainte eut été déposée auprès du Conseil par la plaignante.

[3] La plaignante soutient que son syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi à son endroit.

[4] La plaignante soutient qu’aucun représentant du syndicat ne l’a contactée malgré le fait qu’elle ait déposé une trentaine de griefs. Elle indique avoir travaillé à un comptoir de la Banque Laurentienne, lequel n’a jamais été ergonomique, et avoir subi de la douleur chronique et du harcèlement depuis de nombreuses années. La plaignante a d’ailleurs déposé un grief de harcèlement psychologique au travail le 25 février 2011 et avait déposé une plainte auprès de son syndicat le 27 janvier 2011, dans laquelle elle réclamait une enquête sur la situation pour assurer un environnement de travail sain. Mme Fortin se plaignait du comportement d’un collègue dont elle estimait l’attitude offensante et vexante à son endroit.

[5] Une demande d’invalidité de courte durée a été déposée par la plaignante en 2011 par suite d’une absence au travail pour la période du 2 au 18 mai 2011. Une autre demande d’invalidité pour la période du 21 juillet 2014 au 17 août 2014 a également été déposée par la plaignante. Ces réclamations lui ont été refusées et la plaignante a déposé deux griefs pour contester la décision de l’employeur. La plaignante est retournée travailler en août 2014 jusqu’en décembre 2014. Lors de l’audience tenue au mois d’août 2015, la plaignante n’était pas encore retournée au travail et était sans salaire.

[6] Dans ses observations écrites, le syndicat demande le rejet de la plainte au motif qu’elle est incompréhensible et qu’elle ne permet pas de cerner avec précision le ou les reproches formulés à son endroit. Il ajoute de plus que les faits allégués par la plaignante se seraient produits à l’extérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 97(2) du Code et seraient en conséquence ni recevables ni admissibles.

[7] L’employeur, quant à lui, soutient que la plainte est tardive et il abonde dans le même sens que le syndicat, à savoir que l’insuffisance et la frivolité des motifs qui y sont invoqués justifient à eux seuls son rejet.

[8] Le Conseil a aussi été informé, séance tenante, que la demande d’invalidité de courte durée de la plaignante avait finalement été acceptée et que son salaire lui serait versé pour la période du 4 décembre 2014 au 3 juin 2015.

II. La preuve

A. La plaignante

[9] Le témoignage de la plaignante a été court. Elle travaille à la succursale de la Banque Laurentienne à Maniwaki depuis 23 ans. Elle soutient que M. Daniel Larose, ancien président de la section locale du syndicat, a pris sa retraite en apportant son dossier et que la conseillère syndicale, Mme Sophie Drouin, ne veut rien faire pour le récupérer auprès de M. Larose. Elle soutient qu’aucun de ses griefs n’a été traité par son syndicat. La plaignante est actuellement en arrêt de travail depuis décembre 2014. Des griefs ont été déposés pour contester les décisions de l’assureur de l’employeur, selon lesquelles ses demandes d’invalidité de courte durée étaient refusées. La plaignante n’est pas retournée au travail depuis juillet 2014 bien que son médecin traitant l’ait déclarée inapte à travailler qu’en décembre 2014. La plaignante demande que ses griefs soient renvoyés à l’arbitrage et que le Conseil lui permette de retenir l’avocat de son choix, et ce, aux frais du syndicat.

[10] Le syndicat n’a pas contre-interrogé la plaignante. Contre-interrogée par le procureur de l’employeur, la plaignante admet avoir contacté une représentante syndicale à Montréal en qui elle avait confiance, mais que cette dernière se serait fait dire de cesser de s’occuper de ses dossiers.

B. Le syndicat

[11] Le témoin pour le syndicat est M. François Leduc. Il dépose en preuve la liste de griefs de la plaignante. Selon le syndicat, 22 griefs ont été déposés au nom de la plaignante depuis 2007. Deux d’entre eux sont réglés, soit un grief collectif et un autre, daté de 2007, relatif à un avis disciplinaire pour multiples erreurs d’inattention.

[12] Les 20 griefs actifs s’échelonnent de 2010 à 2014. Les griefs de 2014 concernent surtout des demandes d’invalidité de la plaignante, lesquelles ont été refusées par l’employeur, ainsi qu’un arrêt de travail lié à une réclamation déposée auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST, maintenant appelée la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST)). Les griefs de 2013 visent des réclamations liées à des heures supplémentaires que la plaignante estime avoir perdues étant donné que l’employeur avait préféré, selon la plaignante, l’offrir à une autre employée. Les griefs de 2012 visent aussi une réclamation pour des heures supplémentaires non offertes par l’employeur et un rapport d’évaluation de l’employeur que la plaignante conteste. Les griefs de 2011 portent sur une demande d’invalidité refusée et des vacances impayées, et un grief traite d’abus de droit, de harcèlement psychologique et de discrimination. Dans ce dernier grief, daté du 25 février 2011, la plaignante réclame le droit à des conditions de travail justes et raisonnables dans un milieu exempt de harcèlement. Un autre grief, daté du 1er juin 2011, concerne un refus pour une demande d’invalidité de courte durée. Les griefs de 2010 concernent une contestation du rapport d’évaluation émis par l’employeur ainsi qu’un avis disciplinaire lié à un départ hâtif sans permission.

[13] M. Leduc explique qu’il a remplacé M. Larose à la suite de son départ à la retraite. Il travaille pour les services hypothécaires à la Banque Laurentienne depuis 2009 ou 2010. Il explique que son syndicat compte 2 000 membres qui sont régis par une seule convention collective. Au total, 180 lieux de travail sont couverts par la convention collective dont 165 succursales et 15 directeurs. Le comité exécutif du syndicat est composé de 23 membres, provenant des succursales de la Banque Laurentienne, et de directeurs. M. Leduc explique également qu’il y a des délégués syndicaux dans toutes les succursales, mais qu’au cours des dernières années, en raison de plusieurs départs à la retraite, certaines succursales n’ont plus de délégué syndical. Ce serait le cas à la succursale de Maniwaki où la plaignante travaille. Il estime à 85 % le nombre de succursales ayant un délégué syndical.

[14] M. Leduc explique qu’un service de première ligne est offert aux membres du syndicat. Il indique que ce sont Mmes Sophie Drouin et Josée Cioffi qui répondent aux appels. Mme Cioffi est conseillère syndicale – elle a été libérée par l’employeur. Elle occupe un poste non élu qui ne fait pas partie du comité exécutif du syndicat. Il précise que ce sont Mmes Cioffi et Drouin qui déposent les griefs, mais qu’elles ne sont pas responsables d’y donner suite. Il mentionne que c’est lui-même et Mme Mélanie Charest, vice‑présidente du comité exécutif du syndicat, qui assurent le traitement des griefs.

[15] M. Leduc explique que lorsqu’il a accepté le poste de président de son syndicat en 2012, 4 000 griefs étaient actifs. Depuis, le comité exécutif a mis en place une nouvelle façon de faire pour réduire le nombre de griefs. M. Leduc soutient que 3 000 dossiers ont été classés « en silo » et que depuis 2012 le nombre de griefs est passé de 4 000 à 1 000. M. Leduc explique qu’un « silo » signifie que les griefs sont classés par sujets tels qu’horaires, suspensions ou heures supplémentaires impayées. Selon lui, ce seraient les conseillers juridiques du syndicat qui indiquent la manière de classer les griefs.

[16] Concernant les griefs de Mme Fortin, M. Leduc indique qu’ils sont « tous azimuts », que tous ces dossiers ont été mis en attente et qu’aucun d’entre eux n’a encore été traité ou renvoyé à l’arbitrage. Il indique qu’aucune communication n’a été transmise par écrit ou verbalement à Mme Fortin concernant l’état d’avancement de ses griefs. Relativement aux griefs concernant les demandes d’invalidité de Mme Fortin, M. Leduc soutient que ces dossiers sont maintenant traités par une firme externe, soit Morneau Shepell.

[17] En contre-interrogatoire, M. Leduc indique qu’il n’y a pas de délégué syndical à Maniwaki, car personne ne s’est porté volontaire. Il ne peut dire s’il y a eu déjà un délégué syndical à cette succursale.

III. Les plaidoiries

A. La plaignante

[18] Mme Fortin soutient qu’elle est sans nouvelles de son syndicat relativement à tous les griefs qu’elle a déposés et qu’elle ignore l’état d’avancement de ceux-ci. Elle ajoute avoir appris que l’ancien président du syndicat aurait quitté la Banque Laurentienne avec son dossier. Elle indique également que, depuis qu’elle travaille à la Banque Laurentienne, elle n’a jamais vu de délégué syndical à la succursale où elle travaille.

[19] Mme Fortin soutient que le témoignage de M. Leduc montre que l’ancienne administration du syndicat était aux prises en 2012 avec 4 000 griefs, ce qui traduit bien, selon elle, l’inefficacité de ce syndicat à son endroit. Selon la plaignante, il s’agit d’une situation inacceptable qui témoigne d’une négligence grave à son endroit. Mme Fortin indique de plus qu’elle a subi des blessures au travail et qu’elle souffre depuis de problèmes graves à cause notamment de l’environnement de travail.

[20] Mme Fortin soutient que les nouvelles mesures mises en place récemment par son syndicat pour traiter les griefs et établir de meilleures communications avec ses membres sont en fait « trop peu trop tard », sans compter que ses griefs, à ce jour, n’ont toujours pas été traités. La plaignante demande au Conseil de déclarer que son syndicat a agi de manière négligente à son endroit, et ce, contrairement à l’article 37 du Code.

B. Le syndicat

[21] Selon le syndicat, la plainte de Mme Fortin est prématurée étant donné qu’aucune décision définitive n’a encore été rendue relativement à ses griefs. Il soutient qu’il n’a pas manqué de quelque manière que ce soit à son devoir de représentation juste en vertu de l’article 37 du Code. Le syndicat soutient également que, s’il y a eu un manque de communication entre lui et la plaignante, ce constat ne peut constituer en soi un enfreint à l’article 37 du Code puisque la plaignante n’a subi aucun préjudice.

[22] Le syndicat soutient également que depuis l’arrivée du nouveau président, M. Leduc, 3 000 griefs ont été traités par ordre de priorité thématique, par exemple les griefs de congédiement. Il rappelle également qu’il appartient au syndicat de porter ou non un grief à l’arbitrage.

[23] Le syndicat estime de plus que la plaignante n’a soumis aucun élément de preuve montrant un comportement arbitraire ou discriminatoire de la part du syndicat à son endroit. Relativement à la question de l’absence de délégué syndical à la succursale où travaille la plaignante, le syndicat soutient que les délégués syndicaux agissent sur une base volontaire.

[24] Le syndicat ajoute qu’aucune décision définitive n’a été prise à ce jour à l’égard des griefs de la plaignante et soutient avoir eu des difficultés à la joindre au cours de l’année 2015. Il souligne d’ailleurs son manque de collaboration. Le syndicat soumet, au soutien de ses arguments, quelques décisions du Conseil portant notamment sur la question du manque de communication pour montrer qu’à lui seul cet élément ne peut constituer un manquement au devoir de représentation juste.

C. L’employeur

[25] L’employeur fait siens les arguments du syndicat. Selon lui, il y a absence de preuve permettant de conclure qu’il y a eu une violation de l’article 37 du Code de la part du syndicat. Il ajoute, comme l’a fait le syndicat, qu’il y a absence de préjudice pour la plaignante relativement au manque de communication entre cette dernière et le syndicat et que l’état de santé de la plaignante, à la lumière des rapports médicaux de son médecin traitant, n’a aucun lien avec le non-traitement des griefs.

[26] L’employeur ajoute que l’allégation de la plaignante voulant que le non-traitement de ses griefs ait pu affecter son moral ne tient pas la route et que le Conseil se doit d’évaluer la crédibilité des témoignages qu’il a entendus et de rejeter la plainte de la plaignante, le cas échéant.

IV. Analyse et décision

A. Les moyens préliminaires

[27] Le syndicat allègue que la plainte est hors délai, car elle porte sur une multitude de griefs qui ont été déposés entre 2007 et 2014. Dans la même veine, le syndicat soutient que la plainte est prématurée, car une vingtaine de griefs sont toujours actifs.

[28] D’entrée de jeu, il faut préciser que le Conseil rejette l’argument du syndicat et de l’employeur voulant que la plainte soit prématurée. Bien que, selon les dires du syndicat, les griefs de la plaignante soient toujours actifs, le mutisme du syndicat à l’égard des demandes de la plaignante et son inaction au cours du traitement de ces griefs justifient que le Conseil examine la conduite du syndicat et de ses représentants pour déterminer s’ils se sont acquittés de leur devoir de représentation juste. Toutefois, le Conseil doit d’abord examiner si la plainte de Mme Fortin a été déposée à l’intérieur des délais prévus par le Code, car elle concerne, en partie, des événements qui se sont déroulés depuis 2007.

[29] Le paragraphe 97(2) du Code prévoit qu’une plainte portant sur le devoir de représentation juste d’un syndicat doit être présentée dans un délai de 90 jours :

97.(2) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

[30] Afin de déterminer si la plainte est recevable, le Conseil doit examiner la date à laquelle Mme Fortin a eu, ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou circonstances ayant donné lieu à sa plainte. Mme Fortin n’a pas précisé la date à laquelle elle a eu connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte.

[31] Cependant, la preuve au dossier démontre que la plaignante, à maintes reprises, a demandé à son syndicat un compte rendu concernant l’état d’avancement de ses multiples griefs, notamment depuis le départ à la retraite de M. Larose en 2012. Le 5 mai 2013, la plaignante a demandé à Mme Cioffi de lui transmettre une copie de ses griefs et lui a aussi demandé un compte rendu desdits griefs. En raison de l’absence d’une réponse écrite de la part du syndicat, la plaignante s’est mise à écrire à Mme Drouin. Le 25 août 2014, la plaignante a transmis une lettre à Mme Drouin, dans laquelle elle disait ceci :

Pourquoi je n’ai jamais de nouvelles. Car le mercredi 20 août 2014, je vous est envoyé un fax qui expliquait que ma directrice Madeleine Pelletier m’a crié après devant les clients et employées. Aviez-vous fait un grief? je demande de le traité car si les autres griefs avaient été traités, je n’aurais pas vécu toute cette humiliation, blesser, cela ma démoli, diminué, dévalorisé, dénigré, c’est un milieu de travail néfaste. Si le contraire serai produit moi j’aurai crié après elle devant le monde elle aurai rien fait?

C’est pas la première fois de plus! Pourquoi mes griefs ne sont jamais traités?

Monique Morin qui va en vacance encore 2 semaines en octobre elle a 7 semaines par année!

Sylvie Saumure va en vacance elle aussi en novembre 7 semaines elle aussi et les autres filles ont des journées quand elles veulent.

(sic)

[32] Comme cette lettre le démontre, la plaignante a manifestement eu connaissance en date du 25 août 2014 de l’inaction du syndicat relativement à tous les griefs présentés jusqu’à cette date. Ainsi, le Conseil est d’avis que la partie de la plainte concernant la conduite du syndicat relativement aux griefs déposés avant le 25 août 2014 est hors délai, car elle a été déposée à l’extérieur du délai de 90 jours.

[33] Il est vrai que le syndicat ne peut se soustraire aux responsabilités que lui impose le Code du simple fait qu’un plaignant s’est montré patient face à son inaction pendant une longue période de temps (voir Browne, 2012 CCRI 648). Toutefois, dans les circonstances de la présente affaire, le Conseil est convaincu que la plaignante était manifestement au courant de cette inaction depuis des années et avait connaissance des circonstances ayant donné lieu à une grande partie de sa plainte au plus tard le 25 août 2014.

[34] Cela dit, compte tenu du fait que la grande majorité des griefs déposés avant le 25 août 2014 sont toujours actifs, le Conseil tient à préciser que le syndicat a un devoir continu de représentation juste envers la plaignante dans le traitement des griefs qui sont encore actifs. Ainsi, il serait souhaitable que ces griefs soient traités dans un délai raisonnable et d’une manière qui ne contrevient pas au Code. En effet, rien n’empêche la plaignante de déposer une nouvelle plainte auprès du Conseil dans l’éventualité où de nouvelles circonstances indiqueraient que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[35] En vertu de l’alinéa 16m.1), le Conseil a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de 90 jours prévu pour le dépôt d’une plainte. Cependant, le Conseil n’exerce ce pouvoir que dans des circonstances impérieuses, tel le cas où l’état de santé du plaignant l’aurait empêché de déposer une telle plainte (voir Galarneau, 2003 CCRI 239). Dans les circonstances en l’espèce, le Conseil n’est pas persuadé qu’il y a lieu de proroger le délai alloué pour le dépôt de la présente plainte. La plaignante n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas présenté sa plainte dans les délais prescrits.

[36] Pour ces motifs, le Conseil conclut que la partie de la plainte portant sur l’inaction du syndicat relativement aux griefs déposés avant le 25 août 2014 est hors délai et qu’elle doit être rejetée.

[37] Toutefois, le Conseil a décidé d’examiner la conduite du syndicat à l’égard des demandes et des griefs présentés par la plaignante après le 25 août 2014, mais avant le dépôt de la présente plainte. En effet, rien au dossier n’indique que la plaignante a eu connaissance des circonstances ayant donné lieu à ces éléments de la plainte au-delà du délai de 90 jours prévu au Code.

B. Le devoir de représentation juste

[38] L’article 37 du Code est libellé ainsi :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[39] Dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290, le Conseil a clairement expliqué ce qui incombe à un syndicat lorsque le Conseil l’accrédite pour représenter des employés. Il a dit ceci :

[6] Le devoir de représentation juste est le pendant du pouvoir exclusif du syndicat de se charger des griefs en vertu de la convention collective.

[7] Quand le Conseil accrédite un syndicat, celui-ci devient le représentant exclusif d’une unité d’employés dans sa relation avec l’employeur. L’alinéa 36(1)a) du Code le précise ainsi 

36.(1) L’accréditation d’un syndicat à titre d’agent négociateur emporte :

a) droit exclusif de négocier collectivement au nom des employés de l’unité de négociation représentée...

[8] Cette relation englobe la négociation et la signature d’une convention collective. Toutes les conventions collectives négociées en vertu du Code doivent contenir une clause de règlement définitif des différends qu’on appelle aussi la procédure de règlement des griefs (article 57 du Code). Les syndicats appliquent la convention collective en présentant des griefs alléguant que l’employeur ne s’est pas conformé à ses dispositions. Ils disposent d’une grande latitude à l’égard des griefs. Ils peuvent les régler, les retirer, ou encore décider de ne pas les porter à l’arbitrage, même si l’employé concerné n’est pas d’accord (voir Blacklock et autres, [2001] CCRI no 139).

[9] Le pouvoir du syndicat en matière de griefs est compensé par l’obligation que le Code lui impose de traiter équitablement tous les membres de l’unité de négociation…

[40] Les principes qui régissent le devoir de représentation juste du syndicat sont enchâssés dans l’extrait suivant de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, (1984) 1 R.C.S. 509 :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

(page 527)

[41] Le syndicat soutient que le Conseil doit rejeter la plainte de la plaignante au motif que le manque de communication avec elle, s’il en est, n’a causé aucun préjudice à cette dernière. Dans l’affaire McRaeJackson, précitée, le Conseil a affirmé que le manque de communication ne constitue pas un manquement au Code, sauf s’il porte préjudice au plaignant. Le Conseil s’est prononcé de la façon suivante :

[40] Le syndicat a la charge du grief; il n’a pas besoin d’en parler avec l’employé à toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs, bien qu’il puisse être préférable de communiquer avec lui si une réunion d’examen du grief ou une audience d’arbitrage sont reportées, afin d’éviter le dépôt d’une plainte fondée sur l’article 37 (voir Gagné, précitée). En soi, le manque de communication ne constitue pas un manquement au Code, sauf s’il porte préjudice au plaignant (voir Crewdson (1992), 93 CLLC 16,014 (décision du CCRT n977) (motifs subséquemment annulés après une entente intervenue entre les parties); Campbell, précitée; et Adams, précitée).

[42] Dans Pepper, 2009 CCRI 453, voici ce que le Conseil a précisé à cet effet :

[40] Des communications inefficaces entre un syndicat et un de ses membres donnent souvent lieu à des plaintes de manquement au devoir de représentation juste devant le Conseil. Cependant, la mauvaise communication en soi ne permet pas à un plaignant d’obtenir gain de cause dans une plainte de manquement au devoir de représentation juste (voir Campbell, 1999 CCRI 8). Comme le Conseil l’a fait remarquer dans Brideau (1986), 63 di 215; 12 CLRBR (NS) 245; et 86 CLLC 16,012 (CCRT no 550), c’est lorsque le manque de communication crée une situation qui porte préjudice à la position de l’employé s’estimant lésé qu’il peut donner lieu à une violation de l’article 37.

[43] Dans la décision Lafontaine, 2010 CCRI 552, soumise par le syndicat, le Conseil a rejeté la plainte du plaignant en disant ceci :

[66] Le Conseil constate que dans les faits et en droit, le plaignant n’a subi aucun préjudice en raison de ce manque de communication, si ce n’est qu’il n’était pas tenu au courant de l’état d’avancement de son dossier.

[67] L’absence ou le manque de communication donne souvent lieu à des plaintes de manquement au devoir de représentation juste devant le Conseil. Les syndicats ont plusieurs membres, des dizaines, des centaines, voire des milliers, et il peut leur être difficile de répondre adéquatement à tous. Cependant, il pourrait leur être utile de mettre en place des systèmes de suivi d’un dossier pour leurs membres, surtout à l’ère d’Internet, ce qui leur permettrait d’économiser du temps, de l’argent et de nombreuses ressources.

[44] Cependant, bien que le manque de communication entre le syndicat et le plaignant ne constitue pas en soi un manquement au Code, cela ne veut pas dire que le Conseil écarte définitivement la possibilité de considérer la communication comme un élément donnant lieu à la violation de l’article 37 du Code. Dans Brideau (1986), 63 di 215; 12 CLRBR (NS) 245; et 86 CLLC 16,012 (CCRT no 550), le Conseil n’a pas définitivement écarté la possibilité qu’un manque de communication ne puisse pas donner lieu à une violation de l’article 37. Dans Shanks (1996), 100 di 59 (CCRT no 1157), le Conseil a statué que la principale lacune reprochée au syndicat ne doit pas être « la médiocrité des communications au sein du syndicat, mais bien la négligence et l’inaction prolongée de la part du syndicat dans l’exercice de son pouvoir exclusif » (page 71).

[45] Dans l’affaire qui nous occupe, le 27 août 2014, la plaignante a demandé au syndicat de déposer une plainte et un grief de harcèlement psychologique concernant un événement survenu dans le milieu de travail au mois d’août 2014. Toutefois, ce grief n’apparaît pas sur la liste des griefs fournie par le syndicat. Les 31 octobre 2014, 6 novembre 2014 et 10 novembre 2014, trois griefs ont été présentés par le syndicat concernant des demandes d’invalidité et une question à propos de la rémunération. En date des audiences tenues au mois d’août 2015, le syndicat n’avait pas encore entrepris de démarches pour faire enquête relativement à ces griefs.

[46] La preuve révèle qu’aucune communication verbale ou écrite n’a eu lieu entre la plaignante et son syndicat, ou du moins les personnes chargées de traiter les griefs, et ce, malgré les nombreuses interventions de la plaignante auprès du personnel de bureau du syndicat. M. Leduc, président de la section locale du syndicat, a d’ailleurs déclaré lors de son témoignage qu’aucune communication n’a été transmise par écrit ou verbalement à la plaignante concernant l’état d’avancement de ses griefs.

[47] Dans Campbell, 1999 CCRI 8, le Conseil a qualifié d’arbitraire la conduite du syndicat lorsque celui-ci ne mène aucune enquête, ou mène une enquête superficielle, relativement au grief d’un employé ou affiche une attitude insouciante envers les intérêts des employés. Il précise que cela s’entend d’une négligence grave et d’un mépris téméraire à l’égard des intérêts de l’employé.

[48] Dans la présente affaire, rien dans la preuve ne montre qu’une enquête a été menée en ce qui concerne non seulement les griefs récents de la plaignante, mais également le grief de harcèlement psychologique qu’elle avait demandé à son syndicat de déposer en son nom le 27 août 2014. Aucune preuve ne montre que le syndicat se soit interrogé sur le bien-fondé des questions soulevées par la plaignante ou qu’il ait tenté d’obtenir des renseignements qui puissent justifier une démarche auprès de l’employeur, du moins à court terme. Le Conseil est d’avis que le syndicat a fait preuve d’une attitude indifférente, voire insouciante à l’égard de la plaignante, et que son comportement doit être considéré comme une conduite arbitraire. À la lumière de l’inaction du syndicat et de la preuve documentaire soumise par la plaignante, le Conseil est d’avis que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste.

[49] En ce qui a trait aux allégations du syndicat et de l’employeur voulant que la plaignante n’ait subi aucun préjudice en raison du manque de communication de la part du syndicat ou qu’il n’y ait aucun lien entre l’état de santé de la plaignante et le non-traitement de ses griefs, le Conseil n’est pas de cet avis et rejette cet argument. Il ne s’agit pas, en l’espèce, uniquement d’un simple manque de communication, mais plutôt d’une inaction complète de la part du syndicat et d’un défaut de faire un minimum d’enquête.

[50] Enfin, pour ce qui a trait aux allégations et aux lettres de la plaignante afférentes aux affaires en instance devant la CNESST et devant la Commission des lésions professionnelles (la CLP, maintenant appelée le Tribunal administratif du travail (le TAT)), le Conseil estime qu’elles ne sont pas pertinentes, puisque le devoir de représentation juste d’un syndicat n’inclut pas l’obligation de représenter ses membres devant d’autres instances ou tribunaux administratifs (tels que la CNESST ou la CLP) si cette obligation n’est pas prévue clairement dans la convention collective. (voir Provencher, 2015 CCRI 787)

[51] Pour les motifs exposés ci-dessus, le Conseil conclut que le syndicat a enfreint l’article 37 du Code compte tenu du fait que son inaction dans le traitement des griefs de la plaignante déposés les 31 octobre 2014, 6 novembre 2014 et 10 novembre 2014, et de sa demande de dépôt d’un grief de harcèlement psychologique en date du 27 août 2014, constitue une conduite arbitraire.

[52] En conséquence, le Conseil ordonne ce qui suit :

- Que le syndicat procède au dépôt du grief de harcèlement psychologique de la plaignante concernant les événements ayant eu lieu au mois d’août 2014 et qu’il fasse une enquête approfondie de ce grief dans un délai de 30 jours;

- Que le syndicat renvoie les griefs datés du 31 octobre 2014, 6 novembre 2014 et 10 novembre 2014 à l’arbitrage et lève tout délai applicable pour ce faire au terme de la convention collective;

- Que le syndicat assume les frais juridiques et les dépenses raisonnables de la plaignante relativement à la préparation et à l’audience de ses griefs devant l’arbitre, si la plaignante choisit de ne pas se faire représenter par l’avocat du syndicat.

[53] Le Conseil demeure saisi de l’affaire pour trancher toute question découlant de la présente décision. Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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