Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Brian Cadieux,

plaignant,

et

Syndicat uni du transport, section locale 1415,

intimé,

et

Greyhound Canada Transportation ULC,

employeur.

Dossier du Conseil : 28982-C

Référence neutre : 2016 CCRI 809

Le 28 janvier 2016

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, et de Me Richard Brabander et M. Gaétan Ménard, Membres. Une audience a eu lieu du 10 au 12 septembre 2014, du 1er au 3 octobre 2014, du 3 au 5 mars 2015, ainsi que les 11 et 12 mai 2015.

Ont comparu

Me Olivier Laurendeau, pour le plaignant;

Me Cynthia D. Watson, pour le Syndicat uni du transport, section locale 1415;

M. Mel Levandoski, pour Greyhound Canada Transportation ULC.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

I. Contexte

[1] Le 30 septembre 2011, M. Brian Cadieux (le plaignant) a déposé auprès du Conseil une plainte de manquement au devoir de représentation juste, alléguant que son syndicat, le Syndicat uni du transport, section locale 1415 (SUT ou syndicat), avait enfreint l’article 37 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code). Essentiellement, le plaignant reproche au syndicat de ne pas l’avoir représenté de manière juste et équitable dans le cadre de son congédiement.

[2] Le 21 septembre 2012, le Conseil a rendu une décision en s’appuyant sur les documents au dossier, c’est-à-dire sans tenir d’audience, et a rejeté la plainte de M. Cadieux (Cadieux, 2012 CCRI 656) (motifs 656). Le Conseil s’est entre autres appuyé sur la documentation au dossier et sur un rapport de l’agent enquêteur qui avait été mandaté par le Conseil pour mener une enquête en vertu de l’alinéa 16k) du Code.

[3] Le 18 octobre 2012, le plaignant a déposé auprès du Conseil une demande de réexamen des motifs 656, selon l’article 18 du Code. Le 27 février 2013, le banc de révision rejetait la demande de réexamen dans Cadieux, 2013 CCRI 676 (motifs 676), compte tenu notamment du fait que le requérant (M. Cadieux) n’avait pas soulevé un motif suffisant pour le convaincre de réexaminer les motifs 656.

[4] M. Cadieux a déposé deux demandes de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale (CAF) des deux décisions du Conseil indiquées ci-dessus. Le 10 mars 2014, la CAF accueillait les deux demandes de contrôle judiciaire et annulait la décision initiale du Conseil, soit les motifs 656, de même que la décision de réexamen (motifs 676), et retournait le dossier au Conseil afin de décider à nouveau de la plainte déposée par M. Cadieux (voir Cadieux c. Syndicat uni du transport, section locale 1415, 2014 CAF 61). La CAF a dit ceci :

[51] J’accueillerais donc les deux demandes de contrôle judiciaire avec un seul mémoire de dépens pour les deux demandes, j’annulerais la décision initiale de même que la décision en réexamen du Conseil, et je retournerais le dossier au Conseil afin de décider à nouveau de la plainte soumise par le demandeur à la lumière des motifs de notre Cour, et ce devant un banc composé de membres qui n’on pas participé à l’une ou l’autre de ces décisions.

(c’est nous qui soulignons)

[5] Dans sa décision, la CAF a réitéré les questions que le Conseil se doit d’examiner lorsqu’il est saisi d’une plainte en vertu de l’article 37 du Code, comme suit :

[27] Le droit entourant le devoir de représentation juste et équitable d’un syndicat en regard d’une décision de déférer ou non un grief à l’arbitrage est fort simple.

[28] Sauf disposition contraire inscrite à une convention collective, un employé n’a généralement pas le droit de faire porter son grief à l’arbitrage sans l’accord du syndicat, et ce même lors d’un congédiement. C’est d’ailleurs le cas en l’espèce. Vu l’exclusivité accordée à un syndicat en regard de la représentation d’une unité de négociation, ce dernier ne peut donc agir de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés visés par l’unité qui exercent leurs droits reconnus par une convention collective, y compris leur droit au grief et à l’arbitrage. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un grief devrait être déposé, ou si un grief déposé devrait être déféré à l’arbitrage, la conduite d’un syndicat s’évalue en fonction de l’enquête qu’il mène pour connaître les circonstances entourant le grief et de l’évaluation qu’il fait des chances de succès en arbitrage.

[29] En conséquence, la conduite d’un syndicat pourra être jugée arbitraire s’il s’en tient à un examen superficiel des faits et du bien fondé du grief, s’il ne fait pas enquête pour déterminer les circonstances entourant le grief, ou s’il n’évalue pas de manière raisonnable les chances de succès du grief en arbitrage.

(Cadieux c. Syndicat uni du transport, section locale 1415, précité)

[6] Après avoir examiné les arguments énoncés dans la première décision du Conseil (motifs 656) dans laquelle il rejetait la plainte de M. Cadieux, la CAF s’est exprimé dans ces termes :

[33] En conséquence, lorsqu’il est saisi d’une plainte en vertu de l’article 37 du Code, le Conseil doit à tout le moins examiner les questions suivantes (Lamolinaire c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, précité au para. 36) :

(a) L’enquête menée par le syndicat était-elle superficielle ou approfondie?

(b) Le syndicat a-t-il obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée?

(c) Existait-il des conflits qui auraient influencé la décision du syndicat?

[34] Or, dans la présente affaire le Conseil n’a nullement examiné ces questions. Il s’est contenté de conclure que le demandeur n’avait pas participé à la réunion du comité exécutif et celle des membres du Syndicat au cours desquelles son grief de congédiement fut discuté. Ce faisant, le Conseil s’est cru délié d’examiner toute autre question, dont notamment si l’enquête du Syndicat au sujet du grief de congédiement était approfondie et si le Syndicat avait obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée en ce qui concerne le refus de déférer ce grief à l’arbitrage.

[35] Quoique la participation d’un salarié au processus d’enquête et de décision de son syndicat soit un facteur qui puisse être tenu en compte dans l’évaluation de la conduite d’un syndicat quant au traitement d’un grief, le simple fait que l’employé ne participe pas pleinement au processus ne peut, en soi, empêcher le Conseil de conclure que le syndicat n’a pas rempli son obligation de représentation juste et équitable, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un grief de congédiement.

[7] C’est donc à la lumière de la décision de la CAF que la plainte de M. Cadieux déposée le 30 septembre 2011 est à nouveau examinée par le Conseil. Une téléconférence de gestion de l’affaire a eu lieu le 16 juin 2014 et l’audience a débuté le 10 septembre 2014. L’affaire a été prise en délibérée le 12 mai 2015.

[8] Précisons également qu’au cours de l’audience de l’affaire, soit, après le témoignage de M. Moe Al-Khafajy, le syndicat a décidé de mettre fin au mandat de son procureur. C’est Me Cynthia Watson qui a substitué l’ancien procureur du syndicat et terminé la présentation de la preuve.

II. Nature de la demande

[9] Le plaignant occupait le poste de chauffeur d’autobus pour Greyhound Canada Transportation Corp. (l’employeur ou Greyhound) du 3 décembre 2008 jusqu’à son congédiement le 20 avril 2011. Il travaillait à partir de la station de Greyhound située à Montréal.

[10] Au cours du mois d’août 2010, M. Cadieux a fait l’objet d’une suspension de cinq jours, au motif qu’il n’avait pas respecté les périodes minimales de repos lors de son assignation comme chauffeur d’autobus au service de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le cadre du Sommet du G-20 à Toronto. Le 6 septembre 2010, le syndicat a présenté un grief contestant cette suspension. Le grief déposé par M. Al-Khafajy allègue que M. Cadieux et une autre collègue avaient reçu l’ordre direct de « ne laisser les agents de la GRC en plan, sans autobus ni chauffeur, en aucune circonstance » et que « M. Butler a donné aux chauffeurs l’ordre d’être disponibles et d’être prêts à déplacer les autobus à tout moment, 24 heures par jour » (traduction). 

[11] Quelques mois après, soit le 20 avril 2011, Greyhound procède au congédiement de M. Cadieux au motif qu’il persiste à ne pas respecter les périodes minimales de repos imposées aux chauffeurs et qu’il n’inscrit pas correctement ses heures de travail à son registre. Le syndicat a aussi présenté un grief contestant ce congédiement, mais a refusé par la suite de renvoyer ce grief à l’arbitrage par suite du résultat du vote des membres réunis en assemblées, qui ont eu lieu à Toronto le 14 juin 2011, à Ottawa le 15 juin 2011, puis à London le 21 juin 2011. Le résultat du vote des membres indique que 17 membres ont voté contre le renvoi du grief à l’arbitrage et 14 en faveur. Le syndicat a par la suite retiré le grief du plaignant.

[12] Le grief lié à la suspension de cinq jours de M. Cadieux était toujours actif au moment du vote des membres sur le grief de congédiement et a été réglé par la suite, soit le 2 novembre 2011, alors que l’employeur a accepté de rembourser le montant correspondant aux cinq jours de suspension à M. Cadieux; ce dernier a toutefois refusé d’encaisser le chèque.

[13] M. Cadieux a déposé sa plainte au Conseil le 30 septembre 2011 au motif principal que le syndicat « n’a pas pris sa responsabilité de la représentation juste et équitable dans [sa] cause de congédiement ». Selon le plaignant, le syndicat n’a pas su « rassembler les preuves exhaustivement pour bien représenter les éléments de [sa] cause ». Selon M. Cadieux, le syndicat a agi de manière arbitraire, parfois discriminatoire à son endroit et de mauvaise foi.

III. Observations écrites des parties

[14] Le 12 août 2014, soit peu de temps avant que ne débute les audiences dans la présente affaire, le procureur du syndicat a transmis une correspondance au procureur du plaignant, lui demandant de préciser les allégations du plaignant au soutien de sa plainte. Dans une correspondance transmise le 28 août 2014, le procureur du plaignant a transmis une lettre aux parties précisant les fautes reprochées au syndicat relativement aux deux griefs visés par la plainte du plaignant.

[15] L’employeur n’a fourni aucune observation écrite.

A. Le plaignant

[16] En ce qui concerne son congédiement, le plaignant soutient que le syndicat savait pertinemment que le tout était basé sur des reproches à la fois vagues et futiles, en plus d’être hors délais. Selon lui, le retrait du grief en juin 2011 était purement arbitraire. Il soutient de plus que son syndicat ne l’a jamais rencontré après qu’il eut reçu sa lettre de congédiement pour discuter du grief.

[17] Selon le plaignant, le syndicat a négligé de faire enquête et n’a jamais fait valoir les moyens préliminaires qu’il aurait dû invoquer relativement au caractère imprécis des reproches qui lui étaient adressés dans sa lettre de congédiement du 20 avril 2011.

[18] Le plaignant reproche également au syndicat ne pas lui avoir donné l’opportunité de se faire entendre lors de la réunion du comité exécutif syndical tenue le 1er juin 2011, dans le cadre de laquelle le bien-fondé de son grief de congédiement fut examiné. Le plaignant soutient que, ce faisant, le syndicat a contrevenu sciemment au principe élémentaire d’équité procédurale à son endroit, et ce, contrairement à l’alinéa 7b) des règlements du syndicat. Le plaignant ajoute de plus que le syndicat n’a pas pris de mesure quelconque pour lui permettre de présenter sa position aux assemblées des membres qui ont été tenues à Ottawa, Toronto et London en juin 2011, au cours desquelles les membres devaient voter sur le renvoi ou non de son grief de congédiement à l’arbitrage.

[19] Le plaignant indique que, lors de l’assemblée des membres tenue à Ottawa le 15 juin 2011, M. Ian Laird a recommandé de retirer le grief de congédiement en invoquant le dossier disciplinaire du plaignant, dont la suspension de cinq jours qui lui avait été imposée en août 2010.

[20] Le plaignant est d’avis que la suspension de cinq jours était excessive et ne constituait aucunement un précédent fatal au dossier de congédiement du plaignant. En outre, cette mesure disciplinaire faisait elle-même l’objet d’un grief que les membres réunis en assemblée avaient décidé de renvoyer le grief en arbitrage; ce grief était toujours actif au moment du vote le 15 juin 2011. Le plaignant ajoute que son syndicat avait pourtant reconnu, relativement à la suspension de cinq jours, qu’il avait effectué trop d’heures de travail au cours des journées du Sommet du G-20, mais que cette situation était due aux instructions expresses et insistantes du représentant en autorité de l’employeur, soit M. David Butler.

[21] Selon le plaignant, le syndicat savait que son congédiement n’était qu’une mesure de représailles de la part de l’employeur en raison du fait que les membres du syndicat avaient voté, en janvier 2011, pour la poursuite du grief de suspension lequel mettait en cause certaines pratiques de l’employeur afférentes au dépassement des heures réglementaires.

[22] Le plaignant soutient que son syndicat a vraisemblablement agi de connivence avec l’employeur pour masquer une certaine pratique de dépassement des heures de travail réglementaires. Il estime que le syndicat a eu une conduite empreinte de mauvaise foi et un comportement arbitraire à son endroit.

B. Le syndicat

[23] Selon le syndicat, il n’appartient pas au Conseil de décider du bien-fondé des griefs de M. Cadieux. Le syndicat soutient que M. Cadieux a été impliqué dans plusieurs incidents disciplinaires dont :

-     un avis disciplinaire pour s’être présenté au travail sans passeport valide, le 17 décembre 2009;

-     un avis disciplinaire pour ne pas s’être présenté au bureau de la répartition une fois à la station d’attache le 21 décembre 2009;

-     une suspension de cinq jours sans paye pour avoir omis de présenter un rapport d’accident à l’intérieur des 24 heures, alors qu’il a été impliqué dans un accident évitable le 23 décembre 2009;

-     un avis final daté du 28 février 2011 pour avoir enfreint de suivre les procédures établies à l’égard des coupons/bons de transport.

[24] Le syndicat soutient également avoir reçu, en juillet 2009, des plaintes de collègues du plaignant voulant que ce dernier ait causé des problèmes à la gare d’autobus de Montréal relativement au non-respect des règles et pratiques de conduite à titre de chauffeur.

[25] Selon le syndicat, le plaignant a plusieurs fois violé les règles relatives à la consignation de ses heures de travail et des périodes de repos. De telles violations peuvent mettre en péril les droits d’immatriculation de l’employeur et faire l’objet de contraventions.

[26] Le syndicat indique de plus que tous les chauffeurs, tout comme M. Cadieux, reçoivent une formation préalable de huit semaines avant de débuter leurs fonctions et que cette formation comprend la connaissance des statuts et du Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire, DORS/2005-313. Le syndicat précise qu’en plus de sa formation initiale très complète, M. Cadieux a reçu, en septembre et en décembre 2009, une formation additionnelle sur la manière de remplir ses carnets de route.

[27] En ce qui a trait à la suspension de cinq jours imposée au plaignant, le syndicat soutient que M. Cadieux n’avait pas respecté le nombre d’heures de repos exigé par le Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire du ministère des Transports et qu’il avait donc erronément rempli ses carnets de route pour la période du 23 au 27 juin 2010.

[28] Le syndicat ajoute que M.Cadieux a eu par ailleurs l’occasion de faire valoir son point de vue au cours des rencontres avec l’employeur qui ont eu lieu les 29 juillet et 12 août 2010, auxquelles ont participé les représentants du syndicat.

[29] Le syndicat indique aussi s’être informé auprès des autres chauffeurs qui ont travaillé au Sommet du G-20 et que, contrairement à ce que soutenait M. Cadieux, ces chauffeurs n’avaient pas reçu d’instructions de l’employeur de travailler en contravention des règlements liés à la sécurité.

[30] En ce qui concerne le congédiement du plaignant, le syndicat soutient que l’employeur a rencontré le plaignant le 15 avril 2011 pour l’interroger sur d’autres manquements liés à la consignation des heures dans ses carnets de route et que M. Al-Khafajy accompagnait M. Cadieux.

[31] Le syndicat soutient avoir déposé un grief pour contester le congédiement du plaignant, et ce, à la demande de ce dernier. Il indique avoir contacté ses procureurs pour discuter du bien‑fondé du grief de congédiement du plaignant et de la manière de poursuivre son enquête. Ce serait à la suite de cette discussion avec ses procureurs que le syndicat a contacté le plaignant pour lui demander l’état de compte de son fournisseur de services cellulaires ainsi que le relevé des appels téléphoniques qu’il avait effectués ou reçus au cours du Sommet du G‑20.

[32] Le syndicat indique que le comité exécutif syndical a examiné les griefs du plaignant le 1er juin 2011, à Toronto, et a préalablement invité le plaignant, le 31 mai 2011, par courrier électronique, à participer à cette réunion pour y faire valoir sa position. Le syndicat ajoute avoir même tenté, au cours de la réunion, de joindre le plaignant par téléphone pour lui donner l’opportunité de faire valoir sa position. Le syndicat soutient que le plaignant ne s’est pas présenté à la réunion du comité exécutif, n’a pas fourni d’observations écrites et n’a pas non plus participé à la réunion par téléphone.

[33] Le syndicat rappelle que ses règlements permettent à l’assemblée des membres de voter sur une motion recommandant ou non de renvoyer des griefs individuels en arbitrage. Le syndicat indique avoir avisé le plaignant de la tenue d’une réunion des membres du syndicat en juin 2011, mais qu’il ne s’y est pas présenté.

[34] Le syndicat soutient avoir fait une présentation objective et détaillée de la situation de M. Cadieux aux membres réunis en assemblée au mois de juin 2011 et que 17 membres sur 31 ont voté contre le renvoi du grief de congédiement à l’arbitrage.

[35] Le syndicat estime avoir fait une enquête sérieuse, diligente et proactive du dossier de M. Cadieux. Le syndicat est aussi d’avis qu’il a donné toute opportunité au plaignant de faire valoir sa position pour le convaincre de poursuivre le traitement de son grief de congédiement à l’arbitrage.

IV. La preuve testimoniale

[36] Le procureur du plaignant a fait entendre cinq témoins, soit M. Brian Cadieux, le plaignant; M. Alessandro di Giuseppe, informaticien et spécialiste en sécurité de l’information; M. Denis Cadieux, chauffeur; M. Régent Cadieux, chauffeur; et M. Glen Lawson, ancien chauffeur chez Greyhound.

[37] Le procureur du syndicat a fait entendre quatre témoins, soit M. Moe Al‑Khafajy, président, SUT; M. Ian Laird, ancien président, SUT; M. Jeff Glover, ancien président, SUT; et M. David Butler, vice-président de la région de l’Est du Canada, Greyhound.

[38] L’employeur n’a pas présenté de preuve testimoniale. M. David Butler a témoigné dans le cadre de la preuve du syndicat. Ce qui suit résume les pans de témoignages considérés comme pertinents par le Conseil dans la présente affaire.

[39] Avant que ne débute la preuve testimoniale, le procureur du syndicat a soulevé une objection préliminaire selon laquelle la plainte de M. Cadieux avait été déposée auprès du Conseil deux jours après le délai de 90 jours prévu au paragraphe 97(2) du Code. Le Conseil a différé sa décision sur l’objection préliminaire et a décidé d’entendre la preuve orale.

A. Pour le plaignant

1. M. Brian Cadieux

[40] M. Cadieux a débuté son emploi chez Greyhound en décembre 2008. Auparavant, il a été conseiller en crédit pendant 15 ans pour une banque. Ce changement de carrière est en partie attribuable au fait que son père avait déjà été chauffeur d’autobus pour Voyageur Colonial, avant que Greyhound en fasse l’acquisition. Ses deux frères, MM. Denis et Régent Cadieux, sont également chauffeurs pour l’employeur depuis plusieurs années.

[41] M. Cadieux a d’abord débuté son emploi en suivant une période de formation de huit semaines, puis a commencé à travailler comme chauffeur le 14 février 2009. Il effectuait alors des voyages entre Montréal et Ottawa, et parfois Toronto et New York à l’occasion.

[42] M. Cadieux décrit le Règlement sur les heures de service des conducteurs de véhicule utilitaire. Il explique qu’un chauffeur ne peut dépasser 14 heures par jour selon le règlement. Dans des circonstances exceptionnelles, si la journée est interrompue par une période de repos obligatoire, la période de travail maximale possible est alors de 16 heures par jour.

[43] Le 19 juin 2010, alors qu’il était chauffeur depuis un an et demi, M. Cadieux a reçu du répartiteur de l’employeur la directive de conduire son autobus jusqu’à Toronto, où il devait coordonner son horaire avec les répartiteurs et d’autres chauffeurs de l’entreprise pour transporter un groupe d’agents de la GRC dans le cadre du Sommet du G-20. Il avait donc la responsabilité de transporter un groupe d’agents francophones de la GRC, selon leurs besoins, pendant toute la durée du Sommet du G-20. Ces agents de la GRC faisaient partie de plusieurs corps policiers qui assuraient à ce moment-là la sécurité aux sites des événements tenus à Huntsville et à Toronto.

[44] Selon M. Cadieux, une fois à Toronto, il aurait été désigné pour être soit en attente soit en service, selon les besoins, pendant un quart de nuit, sans période de repos ou presque, et ce, dès son arrivée. Constatant ce qu’on lui demandait, c’est-à-dire, d’être disponible 24 heures sur 24 pour le groupe d’agents de la GRC, il aurait d’abord communiqué avec le répartiteur de l’entreprise à plusieurs reprises pour recevoir des instructions précises. Le répartiteur lui aurait dit de communiquer avec M. David Butler, vice-président de l’entreprise pour la région de l’Est du Canada. M. Cadieux indique avoir également communiqué avec ses frères, puis avec son syndicat, au cours de la journée du 24 juin 2010, pour leur faire part de ses inquiétudes quant au fait qu’il excédait les heures de travail permises par le règlement. Selon le témoin, M. Al‑Khafajy, représentant du syndicat, lui aurait répondu d’une manière vague ou incertaine qu’il fallait faire le travail et se plaindre plus tard.

[45] Finalement, M. Cadieux indique avoir discuté par téléphone avec M. Butler, le 24 juin 2010. Ce dernier lui aurait donné instruction d’être disponible 24 heures par jour, pour répondre aux besoins du groupe dont il était responsable, pendant toute la durée de son affectation. Ce faisant, nous dit le témoin, il devait nécessairement dépasser la limite de 14 heures de travail par jour, tel qu’il l’a d’ailleurs indiqué dans ses carnets de route pour la période du Sommet du G-20.

[46] À la fin de son affectation au Sommet du G-20, M. Cadieux indique avoir tenté d’obtenir des précisions auprès du service de la paye et de M. Butler, sur la manière dont il serait rémunéré pour les heures pendant lesquelles il avait été disponible et en service. N’ayant pas été en mesure d’obtenir de réponse, il soutient avoir réclamé d’être payé 24 heures par jour pendant la période en question, tout en prenant soin d’indiquer dans ses carnets de route qu’il s’agissait d’un arrangement spécial autorisé ou demandé par M. Butler.

[47] Questionné sur ses carnets de route liés au Sommet du G-20, M. Cadieux précise avoir ajouté la mention « special assignment by Mr. Buttler (sic) » (affectation spéciale de M. Butler) afin d’éviter que les feuilles de temps soient rejetées par le service de paye, tout en sachant qu’il dépassait largement les règles en matière de sécurité.

[48] Ce serait par la suite, selon M. Cadieux, que le service de paye lui a indiqué être dans l’impossibilité de lui payer la totalité des heures réclamées étant donné l’absence de directives à cet égard de la part de l’employeur. Le 20 juillet 2010, M. Cadieux a été informé par un répartiteur qu’il était suspendu avec salaire en attendant la tenue d’une enquête, et ce, sans aucune autre information.

[49] M. Cadieux indique que le syndicat lui a suggéré de tenter d’obtenir l’enregistrement de ses conversations téléphoniques qu’il avait eues avec M. Butler au cours du Sommet du G-20. Il soutient avoir communiqué auprès de son fournisseur de services cellulaires, FIDO, et auprès de la GRC; on lui aurait dit qu’il lui faudrait obtenir une ordonnance de la Cour pour leur permettre de lui fournir les renseignements demandés. Aucun enregistrement n’a été obtenu.

[50] M. Cadieux précise avoir tout de même pu obtenir de la GRC une description détaillée de la présence du groupe d’agents dont il avait la responsabilité et de leurs activités dans le cadre du Sommet du G-20. Il dit avoir transmis ces renseignements à son syndicat.

[51] Par la suite, M. Cadieux soutient avoir été convoqué par l’employeur à deux réunions, soit les 29 juillet et 12 août 2010. Le plaignant indique que le président du syndicat de l’époque, M. Ian Laird; M. Al-Khafajy, délégué syndical; et le vice-président du syndicat, et M. Jeff Glover, accompagnaient le plaignant au cours de la première réunion avec l’employeur tenue le 29 juillet 2010. Ils étaient d’avis, selon M. Cadieux, qu’il serait difficile d’obtenir de la part de M. Butler un aveu confirmant qu’on lui avait exigé de travailler 24 heures sur 24 durant le Sommet du G-20.

[52] M. Cadieux explique que MM. Wayne Binda et Dave Hickie, représentants de l’employeur, lui ont montré les carnets de route dans lesquels il avait compilé les heures de service effectuées au Sommet du G-20. Il soutient avoir tenté de donner toutes les explications nécessaires, mais que M. Binda l’interrompait constamment. M. Binda lui aurait demandé la raison pour laquelle il avait consigné toutes ses heures dans ses carnets de route, alors que la limite selon la loi est de 14 heures par jour; M. Cadieux aurait répondu qu’il avait l’habitude d’y consigner toutes ses heures. Au cours de cette réunion, le plaignant a rappelé à M. Butler – qui participait à la réunion par téléphone – qu’il lui avait ordonné de rester disponible auprès du groupe d’agents de la GRC 24 heures sur 24 et qu’il lui avait dit qu’il serait rémunéré le moment venu.

[53] M. Cadieux a été suspendu du 12 au 16 août 2010. Selon le témoin, ce n’est que le 26 août 2010 que M. Binda lui a transmis la lettre de suspension.

[54] M. Cadieux indique qu’en mars 2011, un répartiteur de l’entreprise lui a demandé de fournir ses carnets de route pour les derniers six mois de travail, puis pour les 12 derniers mois. Une fois qu’il eut remis ses carnets de route, M. Cadieux a été convoqué par l’employeur à une réunion, tenue le 15 avril 2011 à Montréal. MM. Butler, Davidson et Binda y représentaient l’employeur, et M. Al-Khafajy accompagnait M. Cadieux. Selon M. Cadieux, M. Al-Khafajy lui aurait indiqué que l’employeur souhaitait tenir cette réunion car il voulait faire pression sur le syndicat pour qu’il abandonne le grief contestant la suspension de cinq jours. M. Al-Khafajy lui aurait aussi indiqué que, malgré l’insistance de l’employeur, le syndicat refusait d’abandonner le grief car il était consolidé avec d’autres griefs d’employés de Toronto.

[55] M. Cadieux soutient qu’au cours de cette réunion, l’employeur a parcouru ses carnets de route et l’a questionné sur les anomalies que lui montrait l’employeur.

[56] Une deuxième réunion a eu lieu le 20 avril 2011, au cours de laquelle M. Cadieux a été congédié. Lors de cette courte réunion, l’employeur lui aurait montré plusieurs entrées faites dans ses carnets de route qui ne respectaient pas les règles et procédures, puis lui a remis une lettre de congédiement.

[57] En contre-interrogatoire, M. Cadieux a été interrogé sur les anomalies relevées dans ses carnets de route, sa suspension de cinq jours, puis la raison pour laquelle il avait réclamé 24 heures par jour pendant le Sommet du G-20. Questionné quant à savoir s’il avait communiqué avec son syndicat au cours du Sommet du G-20 pour clarifier la confusion liée aux instructions reçues par M. Butler, M. Cadieux a soutenu avoir communiqué, entre autres, avec M. Al-Khafajy et s’être fait dire de faire le travail qu’on lui demandait et qu’un grief serait déposé plus tard en cas de problème.

[58] M. Cadieux a admis ne pas avoir respecté les règles liées à la consignation des heures de service dans ses carnets de route lorsqu’il était affecté au Sommet du G-20, ajoutant s’être conformé aux instructions de M. Butler, qui lui avait demandé d’être disponible 24 heures sur 24.

[59] M. Cadieux a aussi été longuement interrogé par le procureur du syndicat sur les avertissements qu’il avait reçus de la part de l’employeur concernant la manière de remplir ses carnets de route et les différentes formations qu’il a dû suivre au cours de son emploi, en sus de celle de huit semaines qu’il avait reçue avant d’entreprendre ses fonctions de chauffeur.

[60] Relativement à la réunion du 15 avril 2011 avec les représentants de l’employeur, à laquelle participaient notamment M. Al‑Khafajy, M. Cadieux a indiqué que l’employeur lui a montré les irrégularités contenues dans ses carnets de route, mais qu’il a donné toutes les explications liées auxdites irrégularités.

[61] Quant à la convocation qui lui aurait été transmise par le syndicat, le 31 mai 2011, l’invitant à la réunion du comité exécutif syndical pour le lendemain à Toronto portant sur son grief de congédiement, M. Cadieux affirme n’avoir jamais reçu un tel avis ni avoir le souvenir que le syndicat l’ait appelé le 1er juin 2011.

[62] En ce qui concerne l’assemblée des membres tenue le 15 juin 2011 à Ottawa, portant entre autres sur le grief de congédiement de M. Cadieux, ce dernier soutient que seuls les membres y étaient convoqués, et que M. Al-Khafajy, la veille de cette rencontre, lui aurait dit que, comme il n’était plus membre du syndicat, il n’y était pas invité et que M. Laird s’opposait fortement à ce qu’il y soit présent.

[63] Relativement à la convocation du syndicat datée du 31 mai 2011 l’invitant à faire valoir sa position devant le comité exécutif pour une réunion du lendemain, M. Cadieux soutient que l’adresse électronique utilisée par le syndicat n’était pas la bonne, précisant que son adresse électronique est COOL Brian (frexxxxx@hotmail.com) et non janiceo.norma.n@gmail.com. M. Cadieux indique qu’il ignore d’où vient l’adresse électronique utilisée par le syndicat et qu’après vérifications, il s’est fait dire que son compte avait été « hameçonné ».

[64] Interrogé sur sa connaissance relative à la procédure de règlement des griefs, M. Cadieux déclare qu’il n’était pas au courant de cette procédure et que son syndicat ne lui a jamais mentionné la possibilité de faire valoir ses observations écrites ou orales devant le comité exécutif du syndicat. M. Cadieux indique de plus ne pas avoir discuté avec le syndicat de la possibilité d’en appeler de la décision du comité exécutif auprès du syndicat international.

[65] Ré-interrogé par son procureur, M. Cadieux déclare ne pas connaître l’existence du processus d’appel d’une décision du comité exécutif auprès du syndicat international.

2. M. Alexandro di Giuseppe

[66] M. di Giuseppe est un spécialiste autodidacte en sécurité informatique. Il détient plusieurs certificats de formation et une expérience auprès de grandes sociétés canadiennes dans le domaine de la gestion des incidents informatiques, du recouvrement de dossiers et d’enquêtes informatiques. M. di Giuseppe n’a pas été spécifiquement qualifié de témoin expert, mais ses qualifications professionnelles et ses expériences ont été reconnues par le Conseil pour les fins de son témoignage.

[67] M. di Giuseppe a indiqué qu’il est difficile de fournir une explication claire aux problèmes liés à l’adresse électronique de M. Cadieux. Il a toutefois reconnu que les problèmes d’hameçonnage sont très communs avec les services de courriels qui sont offerts gratuitement, tel que celui utilisé par le plaignant. Selon le témoin, il s’agit d’un problème répandu à grande échelle dans l’industrie.

[68] M. di Giuseppe a affirmé qu’à la lumière des données, il a noté que des pourriels (« spam ») avaient été envoyés à plusieurs contacts du plaignant et que M. Al-Khafajy en avait lui-même reçus. Il a pu également constater que le compte de messagerie électronique du plaignant avait probablement été piraté depuis juillet 2010 jusqu’à environ juin 2011.

[69] En contre-interrogatoire, M. di Giuseppe a convenu qu’il n’était pas impossible que M. Cadieux ait lui-même orchestré les problèmes liés à son adresse électronique. Toutefois, il a précisé que, dès le 13 avril 2011, M. Cadieux avait déjà alerté certains de ses contacts, dont M. Al-Khafajy, qu’il ne recevait pas de réponse à ses courriels. Il a aussi affirmé qu’il était possible que M. Cadieux ne se soit pas aperçu qu’il avait des problèmes liés à son adresse électronique.

[70] M. di Giuseppe a ajouté qu’il est possible que M. Laird ait répondu aux courriels transmis par M. Cadieux sans s’être aperçu que ceux-ci ne se rendaient pas à ce dernier, mais étaient plutôt transmis ailleurs. M. di Giuseppe soutient que l’on ne peut se fier à des services de courriels gratuits pour acheminer de la correspondance importante, laquelle exige souvent de courts délais de réponse.

[71] Finalement, M. Di Giuseppe soutient que M. Cadieux a reçu de l’aide de Microsoft pour nettoyer son ordinateur au cours de l’été 2011, lorsque M. Al-Khafajy l’eut avisé que son adresse électronique avait été piratée.

3. M. Denis Cadieux

[72] M. Denis Cadieux est le frère du plaignant. Il est chauffeur depuis 1992, d’abord avec Voyageur puis avec Greyhound depuis 1999. Il précise que lors du Sommet du G-20, l’employeur a manqué de chauffeurs et que ce dernier ne savait pas comment gérer la situation. C’était du jamais vu selon le témoin.

[73] M. Cadieux a indiqué que les membres en assemblée avaient voté pour le renvoi du grief de suspension en arbitrage, malgré le fait que le comité exécutif ne le recommandait pas. M. Cadieux ajoute que M. Al-Khafajy lui aurait dit que, lorsque l’employeur a su que le grief lié à sa suspension serait porté en arbitrage, c’est alors qu’il a demandé d’obtenir les carnets de route du plaignant en raison du fait qu’il ne souhaitait pas que le grief de suspension fasse l’objet d’un arbitrage.

[74] Relativement à l’assemblée des membres du syndicat tenue le 15 juin 2011 à Ottawa, portant entre autres sur le grief de congédiement du plaignant, M. Cadieux soutient qu’elle était présidée par M. Laird. Selon le témoin, M. Al-Khafajy l’aurait informé qu’il avait parlé au plaignant la veille et lui aurait dit « il doit être ici ». Constatant l’absence du plaignant, M. Glen Lawson aurait alors dit de « le [Brian] mettre sur le téléphone mains-libres ». M. Cadieux a alors contacté le plaignant et a mis l’appel en fonction mains-libres. Toutefois, selon le témoin, le plaignant ne pouvait entendre la conversation en raison de la mauvaise communication.

[75] En contre-interrogatoire, M. Cadieux a soutenu que M. Laird avait recommandé aux membres de ne pas renvoyer le grief de suspension à l’arbitrage, estimant le peu de chances de succès de le gagner. M. Laird aurait alors donné les raisons pour lesquelles il ne recommandait pas l’arbitrage du grief lié à la suspension, dont notamment la gravité des allégations portant sur les erreurs dans les carnets de route du plaignant et le fait que certains chauffeurs témoigneraient contre ce dernier. M. Cadieux a indiqué que M. Laird avait offert aux membres l’opportunité de poser des questions et qu’à la suite du vote, les membres ont décidé, malgré l’opinion de M. Laird, de poursuivre le traitement du grief en arbitrage.

4. M. Régent Cadieux

[76] M. Régent Cadieux est aussi le frère du plaignant. Il travaille pour Greyhound depuis plusieurs années comme chauffeur. M. Cadieux soutient que, pendant le Sommet du G-20 à Toronto, le plaignant a communiqué avec lui pour mentionner qu’il essayait de rejoindre M. Butler et que les répartiteurs lui avaient dit qu’il était obligé de remplir les carnets de route selon les heures qu’il effectuait.

[77] Interrogé relativement à l’assemblée des membres du syndicat tenue le 15 juin 2011, M. Cadieux a soutenu que M. Al‑Khafajy lui a dit qu’il avait recommandé au plaignant d’assister à l’assemblée mais qu’il lui avait aussi mentionné que cela pourrait causer des problèmes. Il a ajouté que, pendant la réunion, M. Al‑Khafajy a lu tous les reproches faits au plaignant quant à ses carnets de route. Il affirme qu’environ 14 membres participaient à l’assemblée.

[78] M. Cadieux soutient également qu’après l’assemblée des membres, au cours de laquelle les membres avaient voté pour porter le grief de suspension en arbitrage, M. Al‑Khafajy lui a dit que l’employeur, à titre de représailles, avait demandé les carnets de route du mois de mai du plaignant et ce, parce qu’il ne voulait pas que ce grief soit tranché en arbitrage.

5. M. Glen Lawson

[79] M. Lawson a travaillé comme chauffeur pendant plusieurs années chez Greyhound. Il est à la retraite depuis juillet 2014. Il était présent à l’assemblée du 15 juin 2011, à laquelle 14 membres assistaient. Il soutient que les carnets de route du plaignant ont fait l’objet d’une discussion et que les membres à Ottawa ont voté en faveur de renvoyer le grief de congédiement à l’arbitrage.

B. La preuve du syndicat

1. M. Moe Al-Khafajy

[80] M. Al-Khafajy est un chauffeur chez Greyhound depuis avril 2000. Il est aussi le président du syndicat depuis juillet 2014 et agent d’affaires syndicales depuis le 1er juillet 2011. Avant cette date, il était membre du comité exécutif syndical de 2006 à 2011. Il est responsable de deux unités de négociation, soit celle des chauffeurs de Greyhound (environ 400 membres), et celle des chauffeurs et mécaniciens chez un autre employeur, soit Barrie City Bus. Co. (comprenant environ 150 membres). Il dessert les membres des régions de Peterborough, Kingston, Ottawa et Montréal.

[81] M. Al-Khafajy précise que seuls le président et le secrétaire sont des employés à temps plein et rémunérés. Le vice-président occupe un poste à temps partiel. Les autres membres du comité exécutif occupent des postes non rémunérés.

[82] M. Al-Khafajy débute son témoignage en indiquant que la suspension de cinq jours du plaignant était due à des contraventions aux règles de consignations dans les carnets de route de ce dernier. Ce serait, selon le témoin, en mars 2011 qu’il a informé l’employeur que le grief de suspension irait de l’avant. Il a indiqué que lorsqu’un grief se rend au plus haut niveau, soit le palier trois, c’est alors que le comité exécutif du syndicat évalue le grief puis le présente aux membres, qui votent en assemblée pour déterminer si ledit grief sera renvoyé à l’arbitrage.

[83] Lors des assemblées des membres, M. Al-Khafajy soutient qu’un grief est habituellement présenté par un des membres du comité exécutif syndical précisant que le seul critère retenu est celui lié aux chances de succès dudit grief s’il est porté en arbitrage. Il précise que, par la suite, les membres procèdent au vote et qu’en cas d’égalité le président du comité exécutif tranche la question.

[84] M. Al-Khafajy a déclaré que, lors de la réunion des membres portant sur le grief de suspension de cinq jours du plaignant, malgré le fait que le comité exécutif syndical recommandait de ne pas porter le grief en arbitrage, les membres ont voté pour le renvoi dudit grief en arbitrage.

[85] M. Al-Khafajy a aussi expliqué que, lorsqu’un employé est congédié, le syndicat continue de le représenter jusqu’à ce que tous les recours soient épuisés. Il a précisé que celui-ci a droit de se présenter aux réunions des membres, mais qu’il ne peut pas voter étant donné qu’il ne paie plus de cotisations syndicales.

[86] M. Al-Khafajy a indiqué qu’avant la réunion d’enquête, tenue avec le syndicat et l’employeur le 29 juillet 2010, M. Cadieux lui aurait mentionné qu’il avait enregistré une conversation téléphonique qu’il avait eue avec M. Butler lui disant qu’il serait payé pour toutes les heures réclamées lors du Sommet du G-20. M. Al-Khafajy en a alors informé le président du syndicat de l’époque. M. Al-Khafajy souligne que le plaignant n’a pas fourni cet enregistrement ajoutant que cet élément aurait été utile pour assurer le succès du grief en arbitrage.

[87] Selon le témoin, ce serait au cours de l’été 2011, soit après la tenue du vote des membres sur le congédiement du plaignant, que M. Laird a avisé l’employeur que le grief de congédiement ne serait pas porté en arbitrage. M. Al-Khafajy ajoute que, la même journée, l’employeur aurait informé le syndicat qu’il compenserait la perte de salaire du plaignant liée à sa suspension de cinq jours, étant donné qu’il n’y avait plus de raison de poursuivre le traitement de ce grief puisque le plaignant avait été congédié.

[88] M. Al-Khafajy soutient qu’il a été impliqué dans la cause du plaignant, à partir du moment où l’employeur lui a demandé de fournir ses carnets de route. C’est lui qui a avisé le plaignant qu’il devait obtempérer à la demande de l’employeur, même si l’employeur les avait déjà en sa possession.

[89] M. Al-Khafajy a précisé que les chauffeurs se doivent de consigner dans leurs carnets de route tout ce qui peut surgir au fur et à mesure d’une affectation. Il a aussi confirmé que les règles sur les pauses et les heures de travail sont strictes. Ceci explique, précise-t-il, la raison pour laquelle un chauffeur qui aurait excédé les heures permises de service pourrait devoir voyager à titre de passager (« deadhead ») et que d’autres chauffeurs se voient assurer la relève dans ce cas. M. Al-Khafajy indique que les chauffeurs de relève n’ont pas de routes spécifiques; ils sont rémunérés selon les distances parcourues et sont en disponibilité. M. Al‑Khafajy a aussi décrit les règles portant sur les heures maximales de conduite et la tenue appropriée d’un carnet de route. Il a témoigné que chaque chauffeur est responsable de son propre carnet de route.

[90] En ce qui a trait au grief de congédiement du plaignant, M. Al-Khafajy soutient avoir déposé le grief et avoir géré les différentes étapes liées audit grief. Il ajoute que c’est M. Jeff Glover qui a présenté le grief de congédiement du plaignant à la réunion mensuelle du comité exécutif syndical. M. Al-Khafajy indique qu’une discussion a eu lieu, puis un vote a été tenu. Selon lui, sept membres ont voté contre le renvoi du grief à l’arbitrage. M. Al-Khafajy a affirmé que, lui-même et M. Laird n’ont pas voté et que M. Cadieux n’était pas présent. Il a indiqué que M. Laird avait tenté, en vain, de contacter M. Cadieux par téléphone puisqu’il savait que ce dernier avait des problèmes techniques avec ses courriels.

[91] M. Al-Khafajy a indiqué qu’il a été en charge du grief de congédiement du plaignant jusqu’au troisième palier et qu’ensuite M. Laird a pris la relève.

[92] M. Al-Khafajy soutient avoir parlé avec le plaignant la journée précédant la tenue de l’assemblée des membres le 15 juin 2011, laquelle visait entre autres à déterminer si le grief de congédiement de M. Cadieux serait renvoyé à l’arbitrage. M. Al‑Khafajy a demandé au plaignant de s’y présenter pour fournir des explications et répondre aux questions, notamment en raison du fait que le comité exécutif syndical ne recommandait pas que le grief soit renvoyé à l’arbitrage. M. Al-Khafajy a indiqué que M. Cadieux avait promis de s’y présenter. Avant le début de l’assemblée des membres, M. Al‑Khafajy a été informé par les frères du plaignant qu’il ne s’y présenterait pas.

[93] M. Al-Khafajy a déclaré que la rencontre a débuté avec une présentation de la situation financière du syndicat. Deux griefs ont ensuite été présentés à l’assemblée, dont celui du plaignant. Des discussions ont été tenues, des questions ont été posées et le vote a ensuite eu lieu. M. Al-Khafajy a indiqué que le résultat final des votes tenus à Ottawa, Toronto et London, a été de 17 contre le renvoi du grief en arbitrage et de 14 en faveur du renvoi. Le plaignant aurait été avisé du résultat du vote par le syndicat.

[94] En contre-interrogatoire, M. Al-Khafajy indique que c’est en raison des erreurs de compilation dans les carnets de route du plaignant lors du Sommet du G-20 que l’employeur a fait enquête, puis a suspendu le plaignant pour une période de cinq jours. Les erreurs invoquées par l’employeur n’étaient pas liées, selon M. Al-Khafajy, à la manière dont le plaignant avait rempli ses carnets de route mais au fait que ce dernier y avait inscrit trop d’heures.

[95] M. Al-Khafajy a soutenu qu’il a fait sa propre enquête relativement au Sommet du G-20, qu’il avait parlé au plaignant puis vérifié certaines informations auprès de Mme Caya, collègue du plaignant et chauffeur lors du Sommet du G-20. Selon M. Al-Khafajy, Mme Caya lui aurait dit que deux chauffeurs avaient quitté le Sommet du G-20 avant qu’elle et le plaignant n’arrivent et qu’ils ont dû faire le travail de quatre personnes.

[96] M. Al-Khafajy indique que l’employeur a demandé au plaignant de lui fournir ses carnets de route après qu’il eut reçu l’avis que le grief de suspension serait porté en arbitrage. Selon M. Al‑Khafajy, l’employeur a demandé les carnets de route de M. Cadieux à titre de représailles pour avoir contesté la suspension après les événements du Sommet du G-20. M. Al‑Khafajy soutient ne pas avoir eu l’opportunité d’examiner les carnets de route du plaignant avant la réunion du 16 avril 2011 avec l’employeur. Il précise que le syndicat ne demande pas de détails à l’employeur avant le début d’une telle rencontre.

[97] M. Al-Khafajy précise que, même si le syndicat demande une divulgation complète de la preuve, l’employeur refuse systématiquement de la lui remettre sous prétexte qu’elle lui sera fournie à une étape ultérieure. Il a indiqué que le syndicat assiste aux rencontres des différents paliers de griefs pour entendre les conclusions de l’employeur. M. Al-Khafajy soutient qu’aucune explication ne lui a été fournie par le comité exécutif syndical relativement à la décision de ne pas recommander le renvoi du grief de suspension en arbitrage.

[98] Selon le témoin, 30 minutes auraient été consacrées lors de la rencontre du comité exécutif syndical afférente au grief de congédiement du plaignant. Ce serait M. Jeff Glover puis lui‑même qui seraient intervenus sur le sujet. M. Al-Khafajy soutient que tout le comité exécutif syndical recommandait de ne pas procéder en arbitrage, car il estimait qu’il aurait peu de chance de succès en raison des sérieuses violations de la loi et des nombreuses erreurs aux carnets de route du plaignant. M. Al-Khafajy a indiqué que le syndicat n’avait pas obtenu de conseils juridiques relativement au grief de congédiement. Il a ajouté avoir tenté, au cours de cette réunion, d’appeler le plaignant mais ne pas se souvenir avoir réussi à lui parler, ajoutant qu’il savait que M. Cadieux avait des problèmes techniques liés à son courriel, d’où l’appel téléphonique.

2. M. Ian Laird

[99] M. Laird est chauffeur d’autobus depuis 27 ans. De 1988 à 1990, il a été représentant syndical. De 1990 à 1999, il a été un membre du comité exécutif syndical et représentait les chauffeurs. De 2005 à juillet 2014, il a été président du syndicat.

[100] M. Laird soutient que, dans le passé, cinq autres chauffeurs avaient été congédiés par l’employeur pour une première contravention aux règles applicables aux carnets de route. Pour tous ces cas, M. Laird indique que le syndicat n’avait pas procédé à l’arbitrage des griefs à cause du sérieux des contraventions. Il soutient que lorsqu’un chauffeur fait l’objet de mesures disciplinaires pour contraventions aux carnets de route, le syndicat fait alors enquête. Selon M. Laird, toute contravention aux règles de carnets de routes est prise au sérieux, car elle touche la sécurité du public.

[101] M. Laird soutient qu’il était présent à la première réunion d’enquête tenue par l’employeur à Montréal, qui portait sur les contraventions du plaignant liées au Sommet du G‑20. Il dit avoir pris connaissance des informations consignées dans les carnets de route du plaignant et avoir noté que M. Cadieux indiquait avoir été en service 24 heures par jour. Il dit avoir également noté d’autres violations dans les carnets de route du plaignant et en avoir avisé ce dernier. Le témoin aurait fourni des explications au plaignant sur la manière de remplir ses carnets de route, puisque la façon dont il l’avait fait n’était pas permise selon les règlements. Selon M. Laird, les carnets de route du plaignant liés au Sommet du G-20 contenaient de nombreuses erreurs.

[102] Après la réunion tenue à Montréal avec l’employeur, M. Laird soutient que M. Cadieux lui aurait dit qu’il avait enregistré la conversation téléphonique avec M. Butler lors du Sommet du G-20, au cours de laquelle M. Butler confirmait que les heures effectuées par le plaignant lors du Sommet du G-20 seraient payées. M. Laird soutient qu’il a demandé à M. Cadieux de lui remettre l’enregistrement en question, mais que ce dernier l’aurait renvoyé à la GRC. Par après, M. Cadieux aurait avisé M. Laird qu’il devrait s’adresser à la Cour fédérale pour obtenir les enregistrements, car il était impossible de les obtenir directement de la GRC.

[103] M. Laird a indiqué avoir présenté un grief concernant la suspension de cinq jours, étant donné que M. Cadieux s’était engagé à produire l’enregistrement de la conversation avec M. Butler l’autorisant à réclamer 24 heures de travail par jour lors du Sommet du G-20. M. Laird précise n’avoir pas obtenu cet enregistrement.

[104] M. Laird a affirmé avoir consulté les carnets de route ainsi que le dossier complet du plaignant. Il soutient que le dossier de M. Cadieux, après deux ans de services chez l’employeur, était terrible. M. Laird soutient avoir révisé le dossier attentivement et en avoir discuté avec le procureur du syndicat. Selon M. Laird, le procureur partageait son opinion mais, malgré cela, un grief a été déposé au nom du plaignant.

[105] M. Laird soutient que le syndicat a pris le dossier de M. Cadieux au sérieux, qu’il a invité ce dernier à la rencontre du comité exécutif du syndicat, tenue le 1er juin 2011, mais qu’il ne s’est pas présenté. Il ajoute avoir demandé à M. Al-Khafajy d’appeler M. Cadieux au cours de la réunion mais sans succès.

[106] Toujours en ce qui a trait au congédiement de M. Cadieux, M. Laird relate le déroulement de l’assemblée des membres du syndicat tenue le 15 juin 2011 à Ottawa. Lui-même et M. Al‑Khafajy auraient présenté les faits et facteurs pertinents sur lesquels le comité exécutif syndical se serait appuyé pour ne pas recommander de porter le grief en arbitrage. M. Laird soutient que les éléments présentés à la réunion portaient sur le comportement de M. Cadieux au cours de ses deux années de services, le dossier disciplinaire principalement lié aux carnets de route, les avertissements qu’avait reçus M. Cadieux, les conversations que M. Laird avait eues avec M. Cadieux relatives aux erreurs dans ses cahiers de route, puis la suspension de cinq jours du plaignant. M. Laird estime que les discussions sur le dossier de congédiement de M. Cadieux auraient duré entre 60 et 90 minutes.

[107] M. Laird a témoigné que M. Cadieux n’était pas à l’assemblée des membres lors du vote portant sur son grief de congédiement. Toutefois, les frères de M. Cadieux y étaient présents. M. Laird soutient que l’assemblée des membres a voté contre le renvoi du grief de congédiement à l’arbitrage.

[108] M. Laird soutient de plus que M. Cadieux n’a pas exercé de recours tel que prévu dans les mécanismes internes d’appel du syndicat, pour contester la décision des membres ou du comité exécutif syndical. Le syndicat a communiqué avec M. Cadieux pour l’aviser que son grief de congédiement ne procéderait pas à l’arbitrage puis, par la suite, l’employeur lui a transmis un chèque équivalant au paiement des cinq jours de suspension qu’il s’était vu imposer.

[109] En contre-interrogatoire, M. Laird a indiqué que le syndicat ne reçoit pas de copie des carnets de route des employés, bien que l’employeur les reçoit de façon quotidienne.

[110] En ce qui a trait aux événements du Sommet du G-20, M. Laird indique que M. Cadieux l’avait informé qu’il avait eu des problèmes de gestion du temps. Il soutient en outre que M. Cadieux lui aurait dit qu’il lui ferait parvenir l’enregistrement téléphonique au cours duquel M. Butler lui avait donné l’autorisation de réclamer toutes ses heures. M. Laird a indiqué que M. Butler avait nié avoir donné l’autorisation à M. Cadieux de travailler 24 heures sur 24 lors du Sommet du G-20.

[111] Le procureur du plaignant a demandé à M. Laird comment il expliquait le fait que l’employeur ait rémunéré le plaignant lors du Sommet du G-20, 16 heures par jour pendant six journées consécutives alors que les règles n’autorisent les employés à travailler que 14 heures. M. Laird a répondu ne pas pouvoir l’expliquer, tout en ajoutant que plusieurs chauffeurs avaient travaillé au Sommet du G-20, mais qu’aucun n’avait inscrit avoir effectué 24 heures dans leurs carnets de route.

[112] Relativement aux problèmes techniques liés à l’adresse électronique de M. Cadieux, M. Laird confirme avoir eu une discussion avec M. Al-Khafajy à ce sujet.

[113] Selon M. Laird, bien que le syndicat ait déposé un grief lié au congédiement de M. Cadieux, les contraventions aux règles qui ont mené à son congédiement étaient répétitives, constantes et sérieuses.

[114] M. Laird a soutenu qu’il doutait du fait que M. Butler ait autorisé le plaignant à réclamer 24 heures de travail par jour pour le Sommet du G-20. De plus, M. Cadieux ne lui avait jamais fourni l’enregistrement de la conversation téléphonique qu’il avait eue avec M. Butler démontrant le contraire.

3. M. Jeff Glover

[115] M. Glover est également chauffeur possédant plus de 29 ans de service. Il a été représentant syndical pendant six ans et est présentement vice-président du syndicat.

[116] M. Glover a témoigné que le dossier de M. Cadieux a été porté à l’attention du comité exécutif syndical par M. Al-Khafajy, mais qu’il n’était pas au courant de la façon dont celui-ci a fait enquête sur les événements qui ont mené à la suspension de cinq jours.

[117] Lors de la rencontre du comité exécutif syndical tenue le 1er juin 2011, M. Glover indique que le dossier de M. Cadieux a été examiné, y compris ses carnets de route, et qu’il a noté que ces derniers contenaient plusieurs anomalies. Selon M. Glover, le comité exécutif syndical a estimé que l’employeur avait eu raison de procéder au congédiement du plaignant. Le syndicat, selon M. Glover, se doit d’évaluer les chances de succès d’un grief. M. Glover a indiqué avoir eu l’opportunité d’être impliqué dans une soixantaine de séances d’arbitrage. Il a affirmé que le taux de succès du syndicat en arbitrage avait été d’environ 90 %. M. Glover soutient que l’arbitrage est coûteux et requiert beaucoup de temps et d’efforts. Il ajoute que le syndicat se doit d’examiner les chances de succès d’un grief avant de décider de le renvoyer en arbitrage, car ce sont les membres qui en défraient les coûts.

[118] En contre-interrogatoire, M. Glover admet avoir été mis au courant des problèmes de M. Cadieux qu’en juillet 2010. M. Glover soutient avoir été chauffeur au Sommet du G-20, tout comme M. Cadieux, et avoir remarqué que plusieurs autres chauffeurs avaient effectué trop d’heures de service.

[119] M. Glover indique que, lors de la réunion du 29 juillet 2010 avec l’employeur, M. Cadieux a reconnu avoir rempli ses carnets de route contrairement aux règles, mais a soutenu avoir agi ainsi par suite des instructions de M. Butler.

[120] M. Glover a déclaré que, lors de la rencontre du comité exécutif syndical le 1er juin 2011, le plaignant n’a pas fait valoir sa position écrite ou orale. Il a ajouté que M. Al-Khafajy avait tenté de rejoindre M. Cadieux pour l’inviter à participer à la discussion avec le comité exécutif syndical et à expliquer son point de vue pour aider le syndicat à comprendre la situation. M. Glover a soutenu que le syndicat n’avait pas accepté aveuglément la position de l’employeur dans le dossier de M. Cadieux; de plus, le fait que M. Cadieux n’ait pas participé à la réunion du comité exécutif syndical montre qu’il n’avait rien d’utile à ajouter.

4. M. David Butler

[121] M. Butler est gestionnaire chez Greyhound et a plus de 20 ans d’expérience avec l’employeur.

[122] M. Butler souligne d’entrée de jeu l’importance liée aux carnets de route des chauffeurs; ils doivent être remplis d’une manière conforme aux règlements. Il souligne que les heures de travail permises pour les chauffeurs ont à la fois des limites quotidiennes et hebdomadaires. La tenue des carnets de route et leur conformité à la règlementation ont pour but d’assurer la sécurité du public, selon M. Butler.

[123] M. Butler a indiqué que les chauffeurs reçoivent leurs carnets de route dès le premier jour où ils occupent le poste de chauffeur. Il souligne que M. Cadieux a reçu la même formation que tous les autres chauffeurs quant à la tenue des carnets de route. Il a indiqué que des séances de formation additionnelles sont fournies au besoin.

[124] M. Butler affirme que de nombreuses violations aux carnets de route de M. Cadieux ont été observées et que des séances de formation spéciales et des rappels annuels ont également été fournis à M. Cadieux sur la tenue des carnets de route. M. Butler a indiqué que, pendant ses deux années chez Greyhound, M. Cadieux est celui qui a reçu le plus de formation.

[125] M. Butler a affirmé que le dossier de M. Cadieux contenait plusieurs avis et mesures disciplinaires liés à de nombreuses violations des règles mises en place pour les chauffeurs chez Greyhound. Il a ajouté que M. Cadieux avait enfreint les règles beaucoup plus souvent que les autres chauffeurs. Il a indiqué que M. Cadieux avait été suspendu pendant 13 jours sur une période de deux ans, à titre de mesure disciplinaire. Il a précisé qu’une suspension de cinq jours était très sérieuse et qu’elle pouvait mener au congédiement.

[126] M. Butler a affirmé que tous les problèmes et autres contraventions de M. Cadieux chez Greyhound étaient liés à des réclamations monétaires. M. Butler a soutenu que les carnets de route de M. Cadieux, pour la période du Sommet du G-20, montrent qu’il a contrevenu aux heures permises de travail en réclamant d’être payé pour une période de 24 heures consécutives. Selon le témoin, le comportement du plaignant lors du Sommet du G-20 était motivé par la volonté d’obtenir des gains monétaires.

[127] M. Butler a témoigné que les chauffeurs assignés au Sommet du G-20 avaient comme instruction de demeurer disponibles, sur demande et, au besoin, en cas d’urgence. Selon le témoin, M. Cadieux a interprété cette directive comme voulant dire qu’il devait être en service 24 heures sur 24. M. Butler a soutenu qu’aucun autre chauffeur n’avait interprété cette directive de cette manière. M. Butler a fait valoir qu’il y avait une distinction entre être sur demande et être en service, précisant que lorsqu’un chauffeur est sur demande il ne touche pas de salaire.

[128] M. Butler se souvient d’avoir reçu au moins deux appels du plaignant pendant le Sommet du G-20. Il se souvient de lui avoir donné comme directive de demeurer en attente et disponible au besoin. M. Butler ajoute par ailleurs qu’il est impossible qu’il ait pu dire à M. Cadieux qu’il serait rémunéré pour une période de 24 heures. Il lui aurait plutôt dit qu’il serait payé pour le montant maximum permis par la convention collective. M. Butler a indiqué que le plaignant a agi contrairement à la directive qu’il lui avait donnée et à l’obligation qu’ont les chauffeurs d’observer les règles liées aux périodes de repos.

[129] M. Butler a soutenu que le syndicat a été mis au courant de l’affaire lorsque M. Cadieux a persisté auprès de ce dernier pour être rémunéré selon les heures qu’il avait consignées dans ses carnets de route.

[130] M. Butler a indiqué que des mesures disciplinaires avaient été imposées au plaignant par suite des erreurs observées dans ses carnets de route. Il a ajouté que la contravention aux heures minimales de repos avait mis à risque le personnel de la GRC, le public et la propre vie de M. Cadieux.

[131] M. Butler a également indiqué que d’autres violations avaient été identifiées en 2011 aux carnets de route du plaignant. Il a soutenu que les carnets de route indiquaient alors que le plaignant était en service, alors qu’il n’aurait pas dû l’être. M. Butler déclare avoir observé également le fait que le plaignant avait falsifié certains carnets de route.

[132] M. Butler a soutenu avoir tenu une enquête relativement aux carnets de route du plaignant pendant une période de 12 mois en 2010, après que M. Cadieux eut suivi une formation. À cette fin, une rencontre de deux heures a eu lieu avec M. Cadieux et M. Al-Khafajy à la gare d’autobus de Montréal. Au cours de cette rencontre, M. Butler indique avoir demandé des explications à M. Cadieux relativement à ses carnets de route, puisqu’ils contenaient de graves erreurs et contrevenaient aux règlements.

[133] M. Butler a souligné qu’au début, à titre de chauffeur, le plaignant remplissait ses carnets de route correctement. Il estime que la formation de M. Cadieux a été adéquate. Selon M. Butler, M. Cadieux savait comment remplir ses carnets de route et ses contraventions étaient volontaires. Les violations les plus flagrantes, selon M. Butler, étaient celles où le plaignant indiquait être en service alors qu’il ne l’était pas; cette manière de faire, selon lui, permettait à M. Cadieux de réclamer davantage de travail.

[134] M. Butler a soutenu que les antécédents de travail de M. Cadieux, comprenant ses 13 jours de suspension, ont fait en sorte que le lien de confiance était rompu et cela justifiait le congédiement de ce dernier.

[135] M. Butler a affirmé que la décision de congédier le plaignant a été prise collectivement par les membres de la gestion de l’employeur et que le dépôt de griefs par le syndicat n’a pas influencé leur décision.

[136] M. Butler a soutenu que M. Cadieux a eu l’opportunité d’expliquer tous les incidents qui lui étaient reprochés, mais qu’il ne l’a jamais fait de manière satisfaisante.

[137] Relativement au grief de cinq jours de suspension de M. Cadieux, M. Butler a indiqué que la décision de régler ce grief avec le syndicat a été prise quelques mois après le congédiement de M. Cadieux.

[138] En contre-interrogatoire, M. Butler a décrit les différentes règles qui régissent les carnets de route des chauffeurs expliquant aussi celles qui encadrent le statut d’un chauffeur lorsqu’il est en service ou disponible. Quant au Sommet du G-20, M. Butler insiste pour dire que lorsque M. Cadieux n’était pas en service, il était toutefois disponible durant certaines périodes; dans ce dernier cas, il n’était pas rémunéré. M. Butler soutient que M. Cadieux n’a jamais été au travail actif et rémunéré pour des périodes de 24 heures consécutives.

[139] Selon M. Butler, M. Cadieux était traité comme les autres chauffeurs qui étaient affectés au Sommet du G-20. Les chauffeurs exerçaient leurs fonctions en équipe et par quart de travail; lorsque le chauffeur n’effectuait pas de transport, il stationnait alors son véhicule. Ce n’est que lorsque le chauffeur était disponible qu’il pouvait effectuer un transport sur demande. Selon M. Butler, tous les autres chauffeurs ont suivi les règles, à l’exception de M. Cadieux. Il a précisé que le maximum d’heures qu’un chauffeur pouvait exiger était de 16 heures, et qu’il était impossible qu’un chauffeur soit rémunéré pour une période de 24 heures dans une même journée.

[140] M. Butler soutient avoir donné une deuxième chance à M. Cadieux après les incidents du Sommet du G-20 et lui avoir offert une formation supplémentaire. Malgré tout, soutient le témoin, M. Cadieux a continué à remplir ses carnets de route en consignant ses heures de façon erronée, tout cela, précise-t-il, pour obtenir des gains monétaires. Selon M. Butler, si certaines inscriptions ont été faites par erreur, d’autres l’ont été de manière délibérée.

5. Interrogatoire de M. Al-Khafajy par le nouveau procureur du syndicat

[141] Au cours de l’audience du Conseil, Me G. James Fyshe a été remplacé par Me Cynthia Watson comme procureur du syndicat. Ainsi, Me Cynthia Watson a demandé d’appeler une seconde fois à la barre des témoins M. Al-Khafajy, pour lui poser quelques questions supplémentaires. Le Conseil a acquiescé à cette demande.

[142] M. Al-Khafajy a soutenu qu’il n’examine pas les carnets de route des chauffeurs en qui il a confiance et que l’examen des carnets de route relève de la gestion. Il a ajouté comme précision ne pas se souvenir d’avoir examiné les carnets de route de M. Cadieux. Il se souvient toutefois d’avoir dit à M. Cadieux de toujours se conformer aux dispositions de la convention collective, des règlements et de la loi.

[143] M. Al-Khafajy a indiqué qu’il était le représentant de M. Cadieux lors de la réunion d’avril 2010 avec l’employeur portant sur l’examen des carnets de route du plaignant. Il a précisé qu’au cours de cette réunion, les originaux des carnets de route de M. Cadieux n’étaient pas disponibles mais il se peut que des photocopies l’étaient ainsi que d’autres documents.

V. Les plaidoiries

a. Le plaignant

[144] Le procureur du plaignant, Me Laurendeau, reconnaît que le fardeau de preuve dans le cadre d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste repose sur les épaules du plaignant. Le procureur invite par ailleurs le Conseil à examiner les fautes reprochées au syndicat, tant au niveau du grief déposé à l’encontre du congédiement du plaignant survenu le 20 avril 2011 qu’à celles reprochées quant au grief lié à la suspension de cinq jours.

[145] Selon le procureur, toute la présente affaire est liée aux événements qui se sont déroulés lors du Sommet du G-20. Il soutient que le principal argument appuyant la décision du syndicat de ne pas recommander le renvoi du grief de congédiement à l’arbitrage, lors des réunions de l’assemblée générale des membres tenues à Ottawa, Montréal et London, portait sur le fait que M. Cadieux avait déjà reçu une suspension de cinq jours en lien avec les événements du Sommet du G-20. Le procureur soutient qu’il faut alors se demander si le syndicat a mené une enquête exhaustive sur les événements liés au Sommet du G-20.

[146] Le procureur soutient que les trois membres du comité exécutif syndical qui ont témoigné sur ce sujet ont tous admis connaître peu de choses sur ce qui s’est véritablement passé au cours du Sommet du G-20. Selon le procureur, le syndicat s’est plutôt fié à ce que lui avait rapporté M. Butler à ce sujet et il n’est pas étonnant, dès lors, que M. Butler ait été l’un des principaux témoins du syndicat.

[147] Le procureur estime que le plaignant a toujours donné une version claire et détaillée de ce qui s’est produit au Sommet du G-20; toutefois, le syndicat a préféré épouser la version de l’employeur. Le procureur ajoute qu’il a été mis en preuve qu’au Sommet du G-20, deux équipes avaient été constituées pour offrir un service 24 heures sur 24 et, qu’à l’arrivée de M. Cadieux, l’équipe de jour a quitté. Le procureur soutient de plus que le plaignant a fourni sa version relativement à la teneur de sa conversation avec M. Butler, qui lui a demandé d’être en service 24 heures sur 24. Pourtant, le syndicat n’a entrepris aucune démarche pour obtenir l’enregistrement de cette conversation.

[148] Le procureur estime que le syndicat a adopté un comportement arbitraire à l’endroit du plaignant lorsque son président, M. Laird, a fait valoir lors de l’assemblée des membres que la suspension de cinq jours de M. Cadieux était ce qui lui nuisait le plus dans son dossier de congédiement, alors que le syndicat avait bâclé son enquête sur les événements entourant le Sommet du G‑20, que la suspension du plaignant était contestée et que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage.

[149] Le procureur soutient également que la lettre de congédiement du plaignant contenait un vice de procédure, que le syndicat aurait dû contester, puisqu’elle ne contient aucune précision sur ce que l’on reproche au plaignant et ce, contrairement à ce que prévoit la convention collective.

[150] Selon le procureur, la preuve montre que le syndicat n’avait pas en main les carnets de route du plaignant quand il a examiné son dossier de congédiement le 1er juin 2011. Il ne pouvait donc pas recommander aux membres de ne pas renvoyer le grief en arbitrage. Selon le procureur, le syndicat n’a pas pu évaluer correctement la teneur des fautes reprochées au plaignant par l’employeur. Il indique donc que le syndicat n’a pas effectué d’enquête sérieuse relativement aux erreurs reprochées au plaignant, afin d’assurer une défense pleine et entière. Le procureur soutient que ce qui a été invoqué lors de l’assemblée des membres sur le congédiement du plaignant, n’était que des généralités et ne fournissait aucun détail.

[151] Selon le procureur, un autre aspect lié au comportement arbitraire du syndicat a trait aux communications qui ont eu cours avec le plaignant. Jamais le syndicat n’a-t-il tenté de communiquer avec le plaignant pour avoir sa version des faits concernant les erreurs qui lui étaient reprochées dans ses carnets de route. Par la suite, des erreurs de communication n’ont pas permis au plaignant de participer à la rencontre du comité exécutif syndical, au cours de laquelle le grief de congédiement faisait l’objet de discussions, d’autant plus que le courriel transmis par M. Laird avait été envoyé à une adresse inconnue et ne donnait que 24 heures d’avis au plaignant pour se présenter à une réunion pourtant capitale.

[152] Le procureur du plaignant soutient que tout cela démontre que le syndicat a traité les griefs du plaignant d’une manière superficielle et a failli à son devoir de communication envers le plaignant, contrairement au devoir de représentation juste auquel est assujetti le syndicat.

b. Le syndicat

[153] La procureure du syndicat, Me Cynthia Watson, qualifie le présent syndicat comme étant un syndicat professionnel, qui a déployé d’importants efforts pour obtenir la mise en œuvre de règles régissant le statut de ses chauffeurs. Elle souligne notamment que l’ancien président, M. Laird, possède une vingtaine d’années d’expérience et connait bien l’importance des carnets de route.

[154] Elle soutient de plus que le syndicat dans la présente affaire a consulté son avocat, Me Fyshe, qui était d’avis que le grief de congédiement était voué à l’échec. Le syndicat s’est fié à cet avis.

[155] Selon la procureure, la preuve a montré que M. Laird a rencontré l’employeur relativement au dossier de M. Cadieux, a examiné les carnets de route du plaignant et en est venu à la conclusion que les erreurs répétées de ce dernier étaient inacceptables. Selon la procureure, lorsque M. Laird a fait valoir, lors de l’assemblée des membres sur le grief de congédiement, que M. Cadieux avait fait l’objet d’une suspension de cinq jours, cela avait pour but de démontrer que M. Cadieux aurait dû apprendre de ses erreurs. Elle soutient que M. Laird avait déjà averti M. Cadieux d’être attentif aux consignations faites dans ses carnets de route mais que, malgré cela, il n’a pas su apprendre de ses erreurs.

[156] La procureure estime également que le syndicat ne pouvait pas se permettre de renvoyer le grief de congédiement à l’arbitrage, car il était voué à l’échec et cela aurait causé un préjudice à ses membres. Elle souligne de plus que la preuve a montré que les carnets de route sont au cœur de la vie professionnelle d’un chauffeur. M. Laird a d’ailleurs témoigné que cinq membres ont déjà perdu leur emploi pour des erreurs liées à leurs carnets de route et que le syndicat n’avait pas contesté ces congédiements en arbitrage.

[157] La procureure estime de plus que le plaignant était en fait un très mauvais employé. Elle ajoute qu’il avait un dossier disciplinaire volumineux pour un employé n’ayant que deux années de service. Elle soutient aussi que, selon la preuve, certaines erreurs dans les carnets de route du plaignant s’avéraient être de la manipulation de la part de ce dernier, et ce, dans un but d’obtenir plus de travail au détriment de ses collègues. La procureure estime que le plaignant était un employé qui n’avait aucun respect pour les règles de procédures et pour ses collègues de travail.

[158] La procureure du syndicat ajoute que le plaignant a modifié son histoire en cours de route, en ce qu’il avait avisé son syndicat qu’il avait un enregistrement de sa conversation tenue avec M. Butler, alors qu’en vérité il n’avait rien de tel. Elle pose la question de savoir si c’était au syndicat d’entreprendre la démarche pour obtenir une décision de la cour afin de pouvoir avoir ledit enregistrement. Elle est d’avis qu’aucun syndicat n’aurait suivi une telle démarche. M. Laird connait M. Butler depuis plus de 20 ans et il ne croit pas que ce dernier ait pu dire à M. Cadieux de travailler 24 heures sur 24. La procureure estime que le témoignage de M. Butler était candide et honnête à ce sujet.

[159] La procureure du syndicat questionne enfin le comportement de M. Cadieux et son absence aux différentes réunions syndicales. Au sujet de la rencontre du comité exécutif syndical le 1er juin 2011, elle soutient que l’on ne peut reprocher au syndicat d’avoir transmis à la mauvaise adresse électronique l’invitation de M. Laird convoquant le plaignant à la réunion. En outre, elle ajoute qu’il est reprochable au plaignant qu’il n’ait pas assisté à l’assemblée des membres, au cours de laquelle il aurait pu défendre son dossier.

[160] La procureure soutient que le syndicat se devait de prendre tous les éléments du dossier du plaignant en considération, soit les erreurs dans ses carnets de route ainsi que son dossier disciplinaire, afin de prendre une décision; et c’est ce qu’il a fait.

[161] Me Watson termine en soulignant que la plainte a été déposée en dehors du délai prescrit par le Code, puisque M. Cadieux savait ou aurait dû savoir depuis le 21 juin 2011 ou au plus tard le 28 juin 2011 que le syndicat ne renverrait pas son grief de congédiement à l’arbitrage.

[162]  La procureure estime que, dans la présente affaire, le syndicat a fourni une représentation exceptionnelle au plaignant, représentation qui allait même au-delà des attentes en la matière; elle n’était pas parfaite, mais presque. Elle soutient que le fait d’accueillir la plainte de M. Cadieux ne servirait en rien à l’établissement de saines relations de travail.

c. Réplique du procureur du plaignant

[163] Le procureur du plaignant estime que la question du délai a déjà été traitée par la première décision du Conseil.

[164] Il précise par ailleurs qu’après la rencontre du 20 avril 2011, le syndicat aurait avisé le plaignant de prendre du repos et qu’il s’occuperait de son dossier. Le procureur soutient qu’un avis de 24 heures seulement a été transmis au plaignant pour l’aviser de la rencontre du comité exécutif syndical. Il souligne à cet égard que le syndicat ne l’a pas informé du dénouement de cette rencontre.

[165] En ce qui a trait à l’enregistrement de l’appel entre le plaignant et M. Butler au cours du Sommet du G-20, le procureur du plaignant indique que M. Cadieux a plutôt dit au syndicat que la conversation avait été enregistrée et non qu’il avait cet enregistrement.

[166] En ce qui a trait à l’avis juridique fourni par Me Fyshe à M. Laird, tel qu’il a été invoqué par la procureure du syndicat, MLaurendeau souligne qu’aucune preuve à ce sujet n’a été fournie.

VI. Analyse et décision

A. La question de la recevabilité de la plainte

[167] Le syndicat a soulevé une objection selon laquelle la plainte serait irrecevable parce qu’elle a été déposée auprès du Conseil plus de 90 jours après la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. Selon le syndicat, ce serait le 23 juin 2011 que le président du syndicat, M. Laird, aurait fait part au plaignant du résultat du vote tenu auprès des membres, et ce, dans un courriel transmis à M. Cadieux à l’adresse janiceo.norma.n@gmail.com, soit l’adresse électronique que M. Cadieux dit ne pas connaître. La plainte de M. Cadieux a été déposée le 30 septembre 2011. Le courriel de M. Laird dit ceci :

Bonjour Brian, le vote concernant ton congédiement a été rejeté après la tenue d’une série de réunions qui viennent tout juste de se terminer, alors que 17 membres (contre 14) se sont prononcés contre le renvoi du grief à l’arbitrage. Je t’enverrai une lettre officielle avant la semaine prochaine, par la poste si la grève est terminée ou par courrier. Nous procéderons avec ton autre dossier d’arbitrage. Ian

(traduction)

[168] La preuve a montré que l’adresse électronique utilisée par M. Laird le 23 juin 2011 n’était pas celle de M. Cadieux et qu’en fait, il est possible, selon M. di Giuseppe, que cette adresse électronique ait été créée par quelqu’un d’autre, tel que M. Cadieux l’a d’ailleurs soutenu.

[169] De plus, même si le plaignant a pu avoir été informé du résultat du vote de façon non officielle, soit par ses collègues ou ses frères qui sont des employés de Greyhound, le Conseil est d’avis, compte tenu du contexte et des circonstances entourant l’adresse électronique inconnue de M. Cadieux et utilisée par M. Laird le 23 juin 2011, que c’est la date du 5 juillet, soit lorsque le plaignant aurait reçu la lettre officielle du syndicat datée du 28 juin 2011, qui doit être considérée comme date de début du délai de 90 jours prescrit par le Code pour déposer une plainte suivant l’article 37.

[170] La plainte de M. Cadieux a été déposée le 30 septembre 2011, soit à l’intérieur du délai de 90 jours, et est donc recevable.

B. Bien-fondé de la plainte

[171] Le devoir de représentation juste du syndicat est décrit à l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[172] Les principes généraux qui régissent le devoir de représentation juste ont été énoncés comme suit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509 (Gagnon) :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

(page 527)

[173] Conformément à ces critères, le Conseil analyse la conduite du syndicat dans le contexte de sa gestion des griefs des employés. Il n’examine pas en appel la décision du syndicat de ne pas porter un grief à l’arbitrage, mais évalue plutôt la manière dont il a traité le grief. En bref, le Conseil se prononce sur le processus décisionnel du syndicat et non sur le bien-fondé du grief du plaignant (voir Coulombe, 1999 CCRI 25). Cela dit, même si le Conseil ne se prononce pas sur le bien-fondé du grief de l’employé, il peut analyser les faits pour déterminer si l’enquête menée par le syndicat reflétait la valeur et le sérieux de son cas (voir Pinel, 1999 CCRI 19).

[174] Dans Schiller, 2009 CCRI 435, le Conseil a examiné l’enquête qu’avait effectuée le syndicat :

[33] Un syndicat ne peut non plus agir de manière arbitraire en s’en tenant à un examen superficiel des faits ou du bien-fondé de l’affaire. Sa conduite sera qualifiée d’arbitraire s’il ne fait pas enquête pour savoir quelles étaient les circonstances entourant le grief ou s’il n’évalue pas l’affaire de manière raisonnable.

[34] Les dirigeants syndicaux peuvent se tromper de bonne foi, c’est-à-dire qu’ils peuvent faire erreur dans leur évaluation d’un grief, sans que cela constitue une conduite arbitraire. Comme le Conseil l’indique au paragraphe 37 de McRaeJackson, précitée :

[37] Par conséquent, le Conseil juge normalement que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation juste s’il a : a) fait enquête sur le grief et obtenu tous les détails relatifs à l’affaire, y compris la version de l’employé, b) déterminé si le grief était fondé, c) tiré des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief et d) informé l’employé des raisons de sa décision de ne pas donner suite au grief ou de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

[175] Le Conseil a décrit clairement, dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290, ce qui constitue une conduite arbitraire de la part du syndicat, et a souligné l’importance particulière que cela revêt notamment lorsque le congédiement d’un employé est en cause :

[26] Il n’existe pas de liste exhaustive des facteurs dont le syndicat doit tenir compte lorsqu’il décide de porter un grief à l’arbitrage ou non. Cela dit, quelques principes généraux sont incontournables.

...

[29] Le syndicat ne doit pas agir arbitrairement, en somme ne pas agir sans être capable d’expliquer ce qu’il a fait de façon objective ou raisonnable, en croyant aveuglément les arguments de l’employeur ou en ne déterminant pas si les questions soulevées par ses membres sont fondées en fait ou en droit (voir Presseault, précitée, mais voir aussi Sheobaran, 1999 CCRI 10, décision dans laquelle le Conseil a accueilli une plainte dans une affaire où le syndicat avait renvoyé l’employée à l’employeur plutôt que de lui venir en aide; et Henderson, précitée, où la décision du syndicat avait sapé l’ancienneté du plaignant).

[30] Il est arbitraire aussi de ne tenir compte que superficiellement des faits ou du bien-fondé d’une affaire, de même que de prendre une décision en faisant fi des intérêts légitimes de l’employé. Ne pas enquêter pour savoir quelles étaient les circonstances entourant le grief est également arbitraire, et ne pas évaluer raisonnablement l’affaire peut équivaloir aussi à une conduite arbitraire du syndicat (voir Mikedis (1995), 98 di 72 (CCRT no 1126), appel à la C.A.F. rejeté dans Seafarers’ International Union of Canada c. Nicholas Mikedis et autres, jugement prononcé à l’audience, dossier no A-461-95, 11 janvier 1996 (C.A.F.)). On peut aussi considérer comme arbitraire une attitude non concernée quant aux intérêts de l’employé (voir Bugay et autres, précitée), de même qu’une négligence grave et un mépris souverain à cet égard (voir Campbell, 1999 CCRI 8).

[31] Le devoir du syndicat implique que l’examen de sa conduite est plus poussé dans les cas de congédiement, de sanction disciplinaire grave sapant les gains de l’employé ou d’invalidité exigeant une adaptation...

[176] Bien qu’un important pan de la preuve ait porté sur la consignation des heures dans les carnets de route de M. Cadieux et les reproches liés aux erreurs qu’il ait pu commettre à cet égard, et qui auraient justifié à l’employeur de le suspendre pendant cinq jours puis de le congédier, il appartient à un arbitre de griefs de trancher ces questions.

[177] À la lumière de la jurisprudence précitée, de la décision rendue par la CAF dans Cadieux c. Syndicat uni du transport, section locale 1415, précitée, et en regard de la preuve qui lui a été administrée, le Conseil se doit d’examiner les questions suivantes à propos de l’enquête menée par le syndicat dans la présente affaire :

1)    Le syndicat a-t-il effectué une enquête superficielle ou approfondie relativement aux griefs de suspension et de congédiement du plaignant?

2)    Le syndicat a-t-il obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision éclairée relativement au congédiement du plaignant?

a. L’enquête touchant les griefs de suspension et de congédiement

[178] Les événements du Sommet du G-20 ayant conduit à la suspension de M. Cadieux sont au cœur de la présente affaire et se situent dans la chronologie des événements ayant mené au congédiement de M. Cadieux. Ainsi, le Conseil est d’avis qu’il est nécessaire d’examiner la conduite du syndicat à l’égard de ces deux griefs.

[179] L’enquête effectuée par le syndicat sur les événements ayant mené au congédiement de M. Cadieux ne convainc pas le Conseil que le syndicat a pris au sérieux les explications que lui avait fournies le plaignant. Selon le Conseil, l’enquête du syndicat a été bâclée et effectuée de manière superficielle.

[180] Les membres du comité exécutif du syndicat, dont M. Al-Khafajy était aussi le représentant syndical de l’unité de négociation dans laquelle M. Cadieux faisait partie, savait que des problèmes d’horaires et de disponibilités de chauffeurs avaient été rencontrés au cours du Sommet du G-20. Les reproches adressés au plaignant dans la lettre disciplinaire transmise en août 2010 ont trait aux événements du Sommet du G-20 et touchent strictement le fait que M. Cadieux avait indiqué dans ses carnets de route qu’il avait travaillé 24 heures sur 24 et qu’il avait réclamé d’être rémunéré pour les heures effectuées. La lettre disciplinaire dit ceci :

La société fait des vérifications aléatoires des carnets de route afin de s’assurer que les conducteurs de Greyhound respectent les lois du ministère des Transports ainsi que les politiques et les procédures de la société.

En effectuant une vérification de vos carnets de route, la société a relevé des violations à l’égard desquelles elle devait immédiatement prendre action et cela s’est soldé, le 20 juillet 2010, par votre suspension avec solde en attendant les résultats d’une enquête.

Deux audiences ont été tenues afin d’examiner les événements concernant les violations liées à des carnets de route pour le mois de juin 2010 et il a été établi que vous avez sciemment contrevenu aux heures de conduite autorisées pendant l’exercice de vos fonctions.

Étaient présents à l’audience du 29 juillet : I. Laird, J. Glover, M. Sadighi, D. Hickie, vous et moi‑même.

Étaient présents à l’audience du 12 août : M. Al-Khafajy, E. Lajoie, vous et moi-même.

Aux deux audiences, vous avez dit que vous compreniez les heures de conduite et que vous saviez qu’un conducteur doit se reposer pendant 8 heures au cours d’un jour ouvrable de 24 heures.

Après avoir examiné vos carnets de route pour juin 2010, il a été conclu que vous ne vous étiez pas reposé pendant 8 heures les 23, 24, 25, 26 et 27 juin 2010.

Vous avez mentionné que vous avez délibérément travaillé, sans prendre de repos, pendant un nombre d’heures plus élevé que le nombre d’heures de conduite autorisé parce que vous vous êtes senti obligé de servir le groupe de la GRC pendant qu’il travaillait au Sommet du G-8 afin de répondre à leurs besoins en ce qui concernait leurs activités prévues à l’horaire ou leurs périodes de temps libre.

Jamais un responsable de la société n’autoriserait un conducteur à violer les règlements du ministère des Transports et (ou) le Code de la route.

Vous avez été embauché et formé à titre de conducteur, vous occupez un poste de confiance et vous êtes souvent sans supervision. Il vous incombe de prendre des décisions visant à protéger les intérêts de la société et à vous assurer que vous respectez la loi.

Si, par suite de vos actions, il y avait eu accident ou infraction au Code de la route, la question de la responsabilité aurait été soulevée. Vous auriez pu mettre en péril votre santé et votre sécurité ainsi que celle des passagers. La réputation de la société aurait été ternie.

La promotion de la sécurité est un élément auquel Greyhound Canada accorde une très grande importance dans le cadre de son entreprise. C’est pourquoi vous devez suivre des formations, dispensées sous forme de modules, pendant 6 à 8 huit semaines avant de pouvoir devenir conducteur à temps plein et devez suivre des séances de formation IP au cours de votre emploi.

Le non-respect de la politique et des procédures de la société sera passible de mesures disciplinaires progressives.

Vous avez violé les dispositions suivantes du livre des règlements qui s’appliquent aux conducteurs :

...

Par conséquent, vous avez fait l’objet d’une suspension de cinq jours sans solde. Les journées de suspension ont été les 12, 13, 14, 15 et 16 août (journée de formation de recyclage sans solde). Le 17 août 2010, vous avez suivi une deuxième journée de formation de recyclage sans solde.

Il est très important que vous respectiez les règlements des autorités canadiennes et américaines en matière de transport, les politiques et les procédures de la société et que vous suiviez toutes les formations de recyclage dispensées par la société. La société vous a fourni les outils et les connaissances nécessaires pour être un conducteur d’autocar professionnel.

En conclusion, la suspension de cinq jours constitue la dernière étape du processus disciplinaire. Toute autre infraction à l’égard de votre travail entraînera votre congédiement.

Conduisez prudemment

(traduction)

[181] La preuve montre aussi que les deux réunions qui ont eu lieu les 29 juillet et 12 août 2010 avec les représentants syndicaux, M. Cadieux et l’employeur, étaient aussi liées aux événements du Sommet du G-20. C’est du moins ce que reflète également la lettre de suspension transmise au plaignant à la fin août 2010. Dans cette lettre, l’employeur reproche au plaignant d’avoir travaillé 24 heures sur 24, contrairement aux règles de sécurité, et nie qu’un représentant de l’entreprise l’ait autorisé à contrevenir aux règlements et à la loi touchant les mesures de sécurité. Lors de la réunion du 29 juillet 2010, M. Cadieux a expliqué que M. Butler lui avait ordonné de rester disponible pour répondre aux besoins du groupe de la GRC, et ce, 24 heures sur 24, et lui avoir dit qu’il serait rémunéré le moment venu. Dans son témoignage, M. Butler ne nie pas avoir parlé avec M. Cadieux lors du Sommet du G-20, mais il soutient avoir donné comme directives de demeurer en attente et disponible au besoin; il nie avoir dit à M. Cadieux qu’il serait payé 24 heures par jour.

[182] Le grief déposé par M. Al-Khafajy le 6 septembre 2010 contestant la suspension de cinq jours est formulé ainsi :

Présenté par : Moe Al-Khafajy, SUT, section locale 1415                   6 septembre 2010

Le 26 août 2010, Wayne Binda, directeur de district, a envoyé une lettre disciplinaire au chauffeur Brian Cadieux concernant une infraction liée aux carnets de route.

...

M. Binda a mentionné dans sa lettre que M. Cadieux a sciemment enfreint les règles liées au nombre d’heures de conduite permises alors qu’il était en service. M. Cadieux ne faisait que suivre les instructions de son superviseur.

M. Cadieux et Mme Caya avaient reçu des Opérations l’ordre direct de « ne laisser les agents de la GRC en plan, sans autobus ni chauffeur, en aucune circonstance ».

M. Binda a aussi mentionné dans sa lettre qu’« un dirigeant de l’entreprise ne permettrait jamais à un chauffeur d’enfreindre le règlement du ministère des Transports ou le Code de la route » alors que, en fait, M. Butler a donné aux chauffeurs l’ordre d’être disponibles et d’être prêts à déplacer les autobus à tout moment, 24 heures par jour, en espérant que la GRC n’aurait pas besoin de leurs services plus longtemps que le nombre d’heures permises par jour.

M. Cadieux a été formé pour suivre les instructions de son superviseur et faire preuve de discipline, afin de protéger les intérêts de l’entreprise.

...

Je présente un grief pour contester la suspension de cinq jours ...

(traduction)

[183] Ainsi, le libellé du grief allègue que « M. Cadieux et Mme Caya avaient reçu des Opérations l’ordre direct de « ne laisser les agents de la GRC en plan, sans autobus ni chauffeur, en aucune circonstance » et que « M. Butler a donné aux chauffeurs l’ordre d’être disponibles et d’être prêts à déplacer les autobus à tout moment, 24 heures par jour » (traduction).

[184] Le témoignage de M. Al-Khafajy confirme le libellé du grief qu’il a déposé et qui conteste la suspension du plaignant. Il a déclaré que les erreurs invoquées par l’employeur relativement aux carnets de route de M. Cadieux en juin 2010 n’étaient pas liées à la manière que le plaignant avait rempli ses carnets de route, mais au fait que le plaignant y avait consigné trop d’heures. C’était donc la parole de l’un contre l’autre. M. Butler a-t-il, oui ou non, dit à M. Cadieux qu’il serait rémunéré 24 heures par jour?

[185] M. Laird, alors président du syndicat, affirme que le grief de suspension a été déposé parce que M. Cadieux s’était engagé à produire l’enregistrement de la conversation téléphonique qu’il avait eue avec M. Butler au cours du Sommet du G-20. Il reproche donc à M. Cadieux de ne pas avoir produit cet enregistrement. Pour cette raison, le grief lié à la suspension de M. Cadieux ne tenait plus la route, aux dires de M. Laird. Le comité exécutif syndical n’a d’ailleurs pas recommandé à l’assemblée des membres de renvoyer le grief de suspension en arbitrage même si, dans les faits, les membres ont voté en faveur.

[186] M. Cadieux a affirmé, lors de son témoignage, avoir fait des démarches auprès de son fournisseur de services cellulaires, FIDO, sans succès. Ensuite il s’est adressé à la GRC pour obtenir les transcriptions des conversations qu’il avait eues avec M. Butler au cours du Sommet du G-20, mais la GRC lui aurait dit qu’il lui faudrait obtenir une ordonnance de la Cour pour ce faire. M. Cadieux a tout de même, de son propre chef, pu obtenir de la GRC une description de la présence du groupe d’agents dont il avait la responsabilité et de leurs activités au cours du Sommet du G‑20, détails qu’il a transmis à son syndicat.

[187] De l’avis du Conseil, le comportement du syndicat afférent aux événements du Sommet du G-20 montre qu’il a agi de manière arbitraire en croyant aveuglément la version de l’employeur et en ignorant la preuve qu’il avait déjà à sa disposition. La preuve a démontré que le syndicat était au courant des circonstances particulières entourant le Sommet du G-20 et savait qu’il y avait une surcharge de travail pour les chauffeurs bilingues affectés à un groupe de la GRC. En effet, M. Al‑Khafajy s’était fait dire par Mme Caya que deux chauffeurs avaient quitté le Sommet du G-20 avant qu’elle et M. Cadieux n’arrivent et qu’ils avaient dû faire le travail de quatre personnes.

[188] Selon le Conseil, les circonstances entourant le Sommet du G-20 étaient si inhabituelles qu’il aurait été nécessaire pour le syndicat de porter une attention particulière au dilemme devant lequel s’est retrouvé M. Cadieux qui avait compris, peut-être à tort, qu’il devrait être en service 24 heures sur 24 et qu’il serait rémunéré, le cas échéant. Or, le syndicat a conclu que, sans l’enregistrement de la conversation entre M. Cadieux et M. Butler lors du Sommet du G‑20, le grief n’avait aucune chance de succès, et ce, sans avoir pris en compte les autres éléments de preuve à sa disposition.

[189] À l’assemblée des membres portant sur le grief de suspension du plaignant, ces derniers ont décidé de renvoyer le grief de suspension en arbitrage, et ce, contrairement à la recommandation du comité exécutif du syndicat. Peu de temps après, l’employeur a entamé la révision des carnets de route du plaignant et a décidé de le congédier.

[190] Relativement à son congédiement, le plaignant reproche essentiellement à son syndicat de ne pas l’avoir rencontré ni discuté du grief de congédiement, après qu’il ait reçu sa lettre de congédiement le 20 avril 2011, et de ne pas lui avoir donné l’opportunité de se faire entendre lors de la réunion du comité exécutif du syndicat le 1er juin 2011. Il reproche également au syndicat d’avoir recommandé aux membres réunis en assemblée générale, le 15 juin 2011 à Ottawa, de retirer le grief de congédiement en invoquant le dossier disciplinaire du plaignant, soit la suspension de cinq jours qui lui avait été imposée le 26 août 2010 en lien avec les événements du Sommet du G-20.

[191] C’est le 15 avril 2011 que M. Cadieux fut convoqué à une réunion avec l’employeur pour réviser ses carnets de route de la dernière année, qu’un répartiteur lui avait demandé de lui remettre au préalable. M. Al-Khafajy accompagnait M. Cadieux à cette réunion. Il a admis ne pas avoir eu l’opportunité d’examiner les carnets de route du plaignant avant la réunion, et précisé que le syndicat ne demande habituellement pas de détails à l’employeur avant la tenue d’une rencontre. M. Cadieux a été congédié le 20 avril 2011. L’employeur lui reprochait essentiellement d’avoir enfreint les règles relatives à la tenue de ses carnets de route. La lettre de congédiement faisait, entre autres, mention de sa suspension de cinq jours en août 2010, qui était, rappelons-le, liée aux événements du Sommet du G-20.

[192] Le 23 avril 2011, le syndicat a déposé un grief pour contester le congédiement de M. Cadieux. Le syndicat n’a ni contacté ni rencontré M. Cadieux par la suite, pour discuter du grief de congédiement.

[193] Encore plus étonnant est le fait que le syndicat n’ait jamais rencontré le plaignant entre la date de son congédiement, soit le 20 avril, et la date de la réunion du comité exécutif du syndicat, le 1er juin 2011, pour examiner avec lui ce que l’employeur lui reprochait et s’enquérir de son point de vue. La preuve montre que lors des rencontres disciplinaires avec l’employeur, tenues avant le congédiement du plaignant, le syndicat n’avait pas en main les carnets de route du plaignant sur lesquels l’employeur s’est appuyé pour le congédier, même si on l’accusait entre autres d’avoir falsifié ses carnets de route pour faire des gains financiers.

[194] Selon le témoignage de M. Glover, le comité exécutif syndical avait en main le dossier de M. Cadieux à la réunion du comité du 1er juin 2011, et estimait que l’employeur avait eu raison de procéder à son congédiement. M. Glover a admis du même souffle n’avoir jamais examiné lui‑même les carnets de route du plaignant. Le comité exécutif syndical n’a pas recommandé, le 1er juin 2011, le renvoi du grief de congédiement du plaignant à l’arbitrage. Pourtant, rien dans la preuve indique quels documents le comité exécutif syndical avait en main pour prendre sa décision.

[195] Pour ces motifs, le Conseil est d’avis que le syndicat a fait une enquête superficielle sur les événements ayant mené à la suspension et au congédiement du plaignant, et ce, en omettant de prendre en compte la version des faits du plaignant.

b. Le processus décisionnel du syndicat au sujet du grief de congédiement

[196] Le syndicat reproche à M. Cadieux de ne pas s’être présenté à la réunion du comité exécutif du syndicat tenue le 1er juin 2011, au cours de laquelle le grief de congédiement a fait l’objet d’une discussion. Ce n’est que la veille, soit vers 11 heures, le 31 mai 2011, que M. Laird, alors président du syndicat, a convoqué M. Cadieux par courriel. L’avis en question dit ceci :

De : « ATU1415President » <president@atulocal1415.ca>

À : <janiceo.norma.n@gmail.com>

Envoyé : 31 mai 2011 10:52 AM

Objet : Re: Procédures sur la façon d’obtenir une copie des appels

Bonjour Brian. Les membres du comité exécutif se réunissent demain pour discuter de votre congédiement. Serez‑vous libre vers 11 h pour répondre par téléphone aux questions du comité, le cas échéant? Les membres du syndicat seront invités à se prononcer sur le renvoi de votre grief à l’arbitrage à la prochaine ronde de réunions, soit le 14 juin à Toronto, le 16 juin à Ottawa et le 23 à London. Ian

(traduction)

[197] Ainsi, on lui demandait dans ce courriel « seras-tu libre vers 11 h pour répondre par téléphone aux questions du comité exécutif? » (traduction).

[198] Or, la preuve a montré que, le 13 avril 2011, lorsque M. Cadieux a été convoqué à la réunion du 15 avril 2011 par l’employeur, il a avisé M. Al-Khafajy par courriel de bien vérifier si l’adresse électronique utilisée était la bonne puisqu’il était possible qu’il y ait eu un problème avec son compte de messagerie électronique. Dans ce courriel, M. Cadieux lui a rappelé son adresse électronique. Le plaignant a déclaré qu’il n’avait jamais reçu le courriel de M. Laird, non plus d’appel de la part des membres du comité exécutif la veille ou la journée du 1er juin 2011.

[199] L’adresse électronique utilisée par M. Laird n’était pas celle utilisée habituellement par M. Cadieux. La preuve a montré que l’adresse électronique de M. Cadieux eut pu être compromise, voire piratée. M. di Giuseppe a indiqué que des problèmes d’hameçonnage sont très communs avec les services de courriels comme celui utilisé par le plaignant.

[200] Les alinéas 7b) et 7c) des règlements du syndicat sont libellés ainsi :

7. GRIEFS

...

b.            Au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et avant que les membres se prononcent sur l’arbitrage, le membre doit défendre sa cause devant le comité exécutif, de vive voix ou par écrit, dans le cadre d’une réunion régulière. Si le membre ne fait pas de représentation au comité exécutif, ce dernier fonde sa recommandation sur les éléments de preuve au dossier.

c.            Les membres se prononceront dans le cadre d’un vote secret à l’occasion des assemblées générales à savoir s’il faut renvoyer à l’arbitrage tout grief touchant les intérêts d’un membre. La majorité simple l’emportera. Les votes relatifs à l’arbitrage auront lieu uniquement dans les villes de Toronto, de London et d’Ottawa pour l’unité de négociation de Greyhound. ... Seuls les membres appartenant à l’unité de négociation concernée peuvent voter relativement à l’arbitrage.

(traduction)

[201] Même si le courriel de M. Laird avait été envoyé à la bonne adresse électronique du plaignant, et même si un membre du comité exécutif ‒ comme l’ont laissé entendre MM. Laird, Glover ou Al-Khafajy ‒ a tenté sans succès de rejoindre le plaignant au cours de la réunion que tenait le comité exécutif syndical le 1er juin 2011, un préavis d’à peine 24 heures amène le Conseil à remettre en doute l’équité procédurale du syndicat envers le plaignant, à qui on demandait de défendre la cause portant sur son congédiement. C’est au cours de cette réunion importante que le comité exécutif du syndicat devait décider s’il allait recommander ou non l’arbitrage à l’assemblée des membres. Le comité exécutif syndical a ultimement décidé de ne pas recommander le renvoi du grief de congédiement à l’arbitrage, et ce, compte tenu en particulier du grief de suspension de cinq jours portant sur les événements entourant le Sommet du G-20.

[202] De plus, la décision du comité exécutif n’a pas été communiquée au plaignant. Les membres, tels que le prévoient les règlements du syndicat, ont été invités à se prononcer sur la question de savoir si le grief serait renvoyé à l’arbitrage. Comme l’a montré la preuve, les réunions se sont tenues les 14, 15 et 21 juin, respectivement à Toronto, Ottawa et London.

[203] Le syndicat reproche également au plaignant de ne pas s’être présenté à la réunion du 15 juin à Ottawa, alors que M. Al-Khafajy l’avait invité la veille à s’y présenter.

[204] Selon le témoin Lawson et le témoin Denis Cadieux, frère du plaignant, les membres à la réunion d’Ottawa, soit environ 14, ont voté en faveur du renvoi du grief de congédiement en arbitrage, malgré la recommandation du syndicat, car ils estimaient que des erreurs dans les carnets de route étaient chose commune pour tous les chauffeurs. Le résultat final du vote a appuyé la recommandation de ne pas renvoyer le grief à l’arbitrage. M. Laird a donc transmis l’avis suivant à M. Cadieux, le 28 juin 2011 :

Sujet : Vote sur le renvoi à l’arbitrage

Cher Brian, comme vous le savez, le vote sur le renvoi à l’arbitrage a été tenu à Toronto le 14 juin, à Ottawa le 15 juin, et à London le 21 juin. Selon le résultat, 17 membres ont voté contre le renvoi de cette affaire à l’arbitrage et 14 ont voté en faveur.

Fraternellement,

Ian Laird, Président

Syndicat uni du transport, section locale 1415

(traduction)

[205] Le Conseil est d’avis que le fait que M. Cadieux ne se soit pas présenté à l’assemblée des membres à Ottawa est un facteur qui pourrait être tenu en compte dans l’évaluation de la conduite du syndicat dans la présente affaire. Toutefois, la présence du plaignant à cette assemblée aurait eu peu d’incidence sur le résultat final, car les membres d’Ottawa ont voté en faveur du renvoi du grief à l’arbitrage. De toute manière, comme l’a indiqué M. Al‑Khafajy dans son témoignage, les personnes congédiées ont le droit de se présenter aux assemblées, mais ils ne peuvent pas voter. Rien n’indique non plus, suivant les règlements du syndicat, que M. Cadieux aurait eu l’opportunité de présenter son point de vue. Du moins, le libellé de l’alinéa 7c) des règlements du syndicat n’en fait pas état, contrairement au libellé de l’alinéa 7b), lequel précise que « le membre doit défendre sa cause devant le comité exécutif » (traduction).

[206] M. Laird a déclaré que le comité exécutif avait recommandé de ne pas renvoyer le grief de congédiement à l’arbitrage en s’appuyant notamment sur le dossier disciplinaire du plaignant, soit la suspension de cinq jours qui lui avait été imposée en lien avec les événements du Sommet du G-20. Pourtant, faut-il le rappeler, le grief de suspension du plaignant lié aux événements du Sommet du G-20 avait été renvoyé à l’arbitrage, malgré la recommandation contraire du syndicat. Or, le syndicat n’a pas tenté d’examiner le lien entre le grief de suspension et le grief de congédiement, ni de l’expliquer à l’assemblée.

[207] Le Conseil est d’avis que le comité exécutif du syndicat a agi de façon arbitraire en s’appuyant sur la suspension de cinq jours imposée au plaignant pour justifier sa décision de ne pas renvoyer le grief de congédiement à l’arbitrage. De ce fait, le syndicat a induit en erreur l’assemblée des membres en invoquant la suspension de cinq jours, qui devait alors faire l’objet d’un arbitrage et n’avait pas encore été réglé.

[208] Tel que l’a si clairement énoncé le Conseil dans McRaeJackson, précitée, « [30] [il] est arbitraire aussi de ne tenir compte que superficiellement des faits ou du bien-fondé d’une affaire, de même que de prendre une décision en faisant fi des intérêts légitimes de l’employé. »

[209] Le Conseil estime qu’à la lumière de la preuve qui lui a été présentée, le syndicat a fait une enquête superficielle et n’a pas évalué ni obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision éclairée dans le cadre de son enquête, tant sur la suspension que sur le congédiement du plaignant.

[210] En l’espèce, le Conseil conclut par conséquent que le syndicat a agi de manière arbitraire et a enfreint l’article 37 du Code. Il accueille donc la plainte de M. Cadieux.

VII. Mesures de redressement

[211] Conformément aux dispositions de l’alinéa 99(1)b) du Code, le Conseil est habilité à rendre des ordonnances de redressement de nature à aider un employé à exercer les droits ou les recours que, à son point de vue, le syndicat aurait dû exercer en son nom ou l’aider à exercer.

[212] En vertu du paragraphe 99(2) du Code, le Conseil peut aussi rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe 99(1), une ordonnance qu’il est juste de rendre pour obliger le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation du Code.

[213] Cependant, avant d’exercer les pouvoirs dont il est investi, le Conseil confie l’affaire à M. Jean-Daniel Tardif, Directeur régional (Greffier) de la Région de l’Est du Canada et Agent des relations industrielles, pour qu’il aide les parties à trouver un terrain d’entente sur la question du redressement.

[214] Étant donné que les employeurs sont des parties intéressées dans le cas d’affaires fondées sur l’article 37 du Code, lorsqu’il est question de redressement, il est nécessaire de leur signifier un avis pour les inviter à prendre part aux discussions sur cette question.

[215] Les parties auront 30 jours à compter de la date des présents motifs pour en venir à un règlement. Dans l’éventualité où leurs efforts se solderaient par un échec, le Conseil rouvrira l’affaire et, tel qu’il a été convenu avec les parties en début d’audience, il se prononcera sur les mesures de redressement à accorder après avoir entendu les observations des parties.

[216] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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