Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Canadian Airport Workers Union,

requérant,

et

Sécurité préembarquement Garda inc.,

intimée,

et

Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale,

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 31008-C

Référence neutre : 2015 CCRI 793

Le 15 octobre 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Me Judith MacPherson, c.r., et de M. Patric F. Whyte, Vice‑présidents.

Procureurs inscrits au dossier

Me Denis W. Ellickson, pour le Canadian Airport Workers Union;

Me Michel A. Brisebois, pour Sécurité préembarquement Garda inc.;

Me Amanda Pask, pour l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale.

Les motifs de la présente décision ont été rédigés par Me Judith F. MacPherson, c.r., Vice‑présidente.

I. La demande de réexamen

[1] Le 2 avril 2015, le Canadian Airport Workers Union (CAWU ou le requérant) a présenté une demande en vertu de l’article 18 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) afin que soit réexaminée la décision Sécurité préembarquement Garda inc., 2015 CCRI 764 (RD 764), dans laquelle le Conseil a rejeté la demande d’accréditation du CAWU au motif que celle‑ci n’était pas étayée par une preuve d’adhésion valide et fiable. Dans la décision RD 764, le banc initial a fondé sa conclusion sur les résultats de l’enquête confidentielle menée par l’agent des relations industrielles (ARI) du Conseil, laquelle a révélé de nombreuses irrégularités dans la collecte des frais d’adhésion de 5 $ et dans les cartes d’adhésion signées. Le banc initial a conclu que les abondantes irrégularités entachaient l’ensemble de la preuve d’adhésion du CAWU au point où le Conseil ne pouvait accepter la véracité d’aucun des éléments de preuve ni se fier à ceux‑ci pour ordonner la tenue d’un scrutin de représentation. Le Conseil considère comme un vice de fond et non de forme le non-respect des exigences relatives à la preuve d’adhésion prévues par le Code et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement). Le Conseil a également conclu que le requérant avait présenté, à l’appui de sa demande, un certificat d’exactitude inexact signé par un de ses représentants.

[2] À titre d’information contextuelle, le 5 janvier 2015, le CAWU a présenté sa demande d’accréditation visant à déloger l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (l’AIMTA) en tant qu’agent négociateur chez Sécurité préembarquement Garda inc. (l’employeur), pour une unité d’employés fournissant des services de contrôle de sécurité avant l’embarquement à l’aéroport international Pearson, à l’aéroport de Buttonville et à l’aéroport du centre-ville de Toronto. La convention collective en vigueur conclue entre l’AIMTA et l’employeur expirait le 31 mars 2015.

[3] Le requérant était auparavant l’agent négociateur accrédité de cette unité. En janvier 2012, l’AIMTA a présenté une demande visant à déloger le requérant et a été accréditée à la suite d’un scrutin de représentation qui s’est soldé en sa faveur.

II. Question en litige

[4] Le Conseil doit déterminer s’il doit réexaminer la décision RD 764 au motif qu’il aurait commis une erreur de droit ou de principe qui remette véritablement en question son interprétation du Code ou d’un principe, ou qu’il n’aurait pas respecté les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale.

III. Position des parties

A. Le CAWU

[5] Dans la présente demande, le CAWU allègue que le Conseil a commis une erreur de droit ou de principe et lui a fait subir un déni de justice naturelle en rejetant sa demande sur la base du rapport confidentiel de l’ARI. Le requérant soutient que la tenue d’un scrutin ou d’une audience aurait dû être ordonnée parce que :

a.   l’historique de représentation des employés de l’unité et les circonstances entourant le présent litige font l’objet d’allégations contradictoires qui jettent un doute sur la fiabilité de la preuve d’adhésion;

b.   le Conseil a l’obligation fondamentale de s’assurer de la volonté exacte des employés en ce qui concerne le choix d’un syndicat, et cette obligation demeure même si, aux termes de l’article 35 du Règlement, le Conseil est tenu de préserver la confidentialité des déclarations que les employés font à l’ARI, sauf si la communication de ces éléments contribuerait à la réalisation des objectifs du Code;

c.   la mesure de redressement qui permettrait de résoudre les allégations contradictoires à propos de la preuve d’adhésion est un scrutin de représentation tenu en vertu du paragraphe 29(1) du Code, lequel prévoit que le Conseil peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour ordonner la tenue d’un scrutin quand il n’est pas certain de la volonté des employés en ce qui concerne le choix d’un syndicat, ou quand il ne peut établir avec certitude la fiabilité de la preuve d’adhésion;

d.   le Conseil devrait s’appuyer sur le rapport d’un ARI seulement quand les allégations d’irrégularité sur lesquelles il porte ne sont pas fondées. Lorsque les allégations d’irrégularité sont fondées, comme dans l’affaire dont avait été saisi le banc initial, le Conseil ne devrait pas se fonder sur le rapport d’un ARI, car ces affaires soulèvent d’importantes questions de crédibilité, qui doivent être tranchées au moyen d’une audience ou, s’il existe des préoccupations en matière de confidentialité, au moyen d’un scrutin.

[6] Le requérant avance que, même si l’article 16.1 du Code confère au Conseil le pouvoir de trancher toute question dont il est saisi sans tenir d’audience, il ne doit pas procéder ainsi quand cela aurait pour effet de priver une partie d’une possibilité raisonnable de participer au processus décisionnel, ni quand le Conseil dispose d’éléments de preuve contradictoires dont la résolution est essentielle à la décision. Le requérant soutient que le Conseil a agi de manière inéquitable à son endroit en fondant ses conclusions sur le rapport confidentiel de l’ARI, lequel n’a pas été communiqué aux parties, ce qui a fait en sorte que le requérant n’a pas pu prendre connaissance des détails contenus dans cet élément de preuve. Le requérant affirme que le Conseil avait l’obligation d’ordonner la tenue d’un scrutin ou de tenir une audience, ce qui aurait permis au requérant de contre‑interroger les témoins dont les déclarations constituaient le fondement des allégations.

[7]Le requérant avance que l’article 35 ne libère pas le Conseil de son obligation de tenir une audience quand il existe des éléments de preuve contradictoires. Le requérant affirme également que le Conseil a commis une erreur de droit et de principe quand il a, à tort, accordé plus d’importance à l’article 35 qu’à son devoir de respecter les principes d’équité et de justice naturelle, ce qu’il a fait en accordant la primauté à la protection de la vie privée des employés aux dépens de leur droit fondamental d’appuyer le syndicat de leur choix, et en ne se demandant pas si la communication du rapport de l’ARI était conforme à l’esprit de l’article 35. Le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur en refusant d’appliquer l’exception en matière de communication prévue à l’article 35 afin de permettre au CAWU d’évaluer adéquatement la fiabilité et la validité de la preuve d’adhésion. Le requérant fait valoir qu’il s’agit d’un objectif fondamental du Code et également de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Bien qu’il ait mentionné la Charte, le requérant n’a pas présenté d’arguments de fond portant sur celle‑ci relativement à la décision RD 764.

[8] Le requérant soutient que le Conseil a indûment restreint son pouvoir discrétionnaire en refusant d’ordonner un scrutin de représentation en vertu du paragraphe 29(1) du Code ou, subsidiairement, de tenir une audience à l’égard des allégations d’irrégularité dans la preuve d’adhésion. Le requérant affirme que le rejet de sa demande, sur la foi d’allégations non fondées qui se trouvent dans le rapport de l’ARI, a causé un préjudice aux employés touchés, car ceux‑ci ont été privés, dans les faits, du droit de choisir eux‑mêmes un syndicat.

[9] À titre de redressement, le CAWU demande une ordonnance annulant la décision RD 764, renvoyant les questions en suspens à un banc du Conseil aux fins d’une audience, et exigeant la communication des allégations d’irrégularité et du rapport de l’ARI ainsi que de tout autre document qui pourrait être jugé pertinent. De plus, il demande que le banc de révision tienne une audience afin de rendre une décision quant au bien‑fondé de la demande de réexamen.

B. L’AIMTA

[10] L’AIMTA avance que la demande du CAWU devrait être rejetée, car il n’existe aucun motif valable justifiant le réexamen de la décision RD 764. Elle fait valoir que la demande présentée par le CAWU dans le cadre d’un maraudage a été rejetée à juste titre, sur la base des nombreuses irrégularités que le processus d’enquête confidentiel du Conseil a révélées dans la preuve d’adhésion.

[11] L’AIMTA souligne que le CAWU a présenté deux autres demandes de réexamen qui ont été rejetées; celles‑ci concernaient les mêmes parties, et le CAWU y demandait également la communication du rapport de l’ARI afin de contester les conclusions du Conseil à l’égard de la preuve d’adhésion dans une demande d’accréditation.

[12] L’AIMTA avance que les arguments du CAWU sont contraires aux politiques et aux principes fondamentaux du droit et des relations du travail. Selon elle, le CAWU soutient une position dénuée de sens du point de vue des relations du travail, qui est en outre incompatible avec la jurisprudence de même qu’avec le souci du Conseil de maintenir la paix industrielle, lorsqu’il demande au Conseil d’adopter une approche « corrective » en ordonnant la tenue d’un scrutin, eu égard aux irrégularités que l’enquête du Conseil a révélées dans la preuve d’adhésion. L’AIMTA soutient que, selon cette approche, un syndicat maraudeur serait en mesure d’obtenir un scrutin soit en obtenant le soutien de la majorité, soit en présentant des éléments de preuve au Conseil de sorte que celui‑ci y relève des irrégularités, ce qui ne ferait qu’encourager les méfaits et récompenser un syndicat maraudeur pour avoir présenté une preuve d’adhésion entachée d’irrégularité.

[13] L’AIMTA allègue que le CAWU a déraisonnablement décrit Sécurité préembarquement Garda inc., 2012 CCRI LD 2733 (LD 2733) comme une affaire dans laquelle le Conseil a adopté une approche corrective en ordonnant la tenue d’un scrutin, plutôt que l’approche différente qu’il a adoptée dans la présente affaire. L’AIMTA avance que, dans la LD 2733, les allégations d’irrégularité dans la preuve d’adhésion ont été résolues grâce à l’enquête de l’ARI, et non par suite du scrutin.

[14] L’AIMTA soutient qu’il serait préjudiciable aux enquêtes du Conseil que, suivant la proposition du CAWU, la confidentialité de ces enquêtes dépende de la teneur du rapport de l’ARI, car l’ARI du Conseil ne serait alors jamais en mesure de garantir la confidentialité du processus d’entrevues, qui est essentielle à l’efficacité des enquêtes et fondamentale au regard des objectifs du Code.

[15] L’AIMTA fait valoir que la jurisprudence du Conseil concorde avec la décision RD 764, selon laquelle, dans une affaire de maraudage, le Conseil doit être convaincu de l’appui de la majorité pour ordonner la tenue d’un scrutin. En outre, même dans une demande d’accréditation initiale, le type d’irrégularités relevées dans cette affaire entraîne le rejet de la demande, et non l’ordre de tenir un scrutin. L’AIMTA soutient que le CAWU n’a pas obtenu l’appui de la majorité minimale requise pour que le Conseil ordonne un scrutin de représentation, car un certain nombre d’employés ont révoqué l’adhésion qu’ils avaient demandée au CAWU avant la date de présentation de la demande. L’AIMTA affirme également qu’aucun scrutin ne pouvait être ordonné tant que le Conseil n’avait pas procédé à un examen et ne s’était pas prononcé quant à la portée des éléments de preuve relatifs à la révocation et à la volonté des employés à la date à laquelle l’AIMTA a présenté sa demande au Conseil.

[16] L’AIMTA avance que les arguments du CAWU selon lesquels le Conseil aurait dû tenir une audience afin de résoudre les allégations d’irrégularité ne sont pas pertinents, car, dans la décision RD 764, le Conseil n’a pas rejeté une demande d’accréditation sur la base d’allégations non fondées relatives à la preuve d’adhésion, mais plutôt sur la base de son enquête confidentielle, comme il est autorisé à le faire.

C. La réplique du CAWU

[17] Dans sa réplique, le CAWU avance que les allégations de l’AIMTA sont non fondées, quant aux méfaits qui découleraient de la décision du Conseil d’ordonner la tenue d’un scrutin, car l’argument du CAWU à cet égard vaut uniquement pour les faits en l’espèce. Le CAWU fait valoir que le Conseil dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour ordonner la tenue d’un scrutin comme il l’entend, et qu’en ordonnant un tel scrutin dans le présent litige, le Conseil ne restreindrait pas son pouvoir discrétionnaire dans les affaires futures.

[18] Quant à l’affirmation de l’AIMTA selon laquelle le Conseil a suivi une approche identique dans la LD 2733 et dans la décision RD 764, le CAWU affirme que le Conseil a fait preuve d’une plus grande souplesse à l’égard des allégations d’irrégularité dans la LD 2733 que dans la décision RD 764. Le CAWU fait observer que dans Sécurité préembarquement Garda inc., 2012 CCRI LD 2748 (LD 2748), le Conseil a rejeté la demande de réexamen du CAWU et déclaré que, dans la LD 2733, il n’avait pas tenu compte des cartes d’adhésion contestées et avait évalué le reste de la preuve d’adhésion, qu’il avait jugé fiable, avant d’ordonner la tenue d’un scrutin. Le CAWU fait valoir qu’en revanche, dans la décision RD 764, le Conseil a conclu qu’un échantillon des cartes d’adhésion prétendument irrégulières avait entaché l’ensemble de la preuve.

D. L’employeur

[19] L’employeur n’a pas fourni d’observations et ne s’est pas prononcé sur la demande.

IV. Analyse et décision

[20] En l’espèce, le CAWU a demandé la tenue d’une audience. L’article 16.1 du Code confère au Conseil le pouvoir discrétionnaire de trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience, même si une partie en a fait la demande. De plus, le Conseil n’est pas tenu d’aviser les parties de son intention de ne pas tenir d’audience (NAV CANADA, 2000 CCRI 468, confirmée dans NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, 2001 CAF 30; et Raymond c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2003 CAF 418). Il est attendu des parties qu’elles présentent tous leurs arguments au Conseil au moment du dépôt de la plainte ou de la présentation de la demande (Oneida of the Thames EMS, 2011 CCRI 564). Ayant pris connaissance de tous les documents au présent dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher cette demande sans tenir d’audience.

[21] Après avoir soigneusement examiné les observations des parties et la documentation en l’espèce, le Conseil n’est pas convaincu, pour les motifs exposés ci‑après, que, dans la décision RD 764, le banc initial a commis une erreur de droit ou de principe, ou a enfreint les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale, quand il a décidé de rejeter la demande d’accréditation que le CAWU avait présentée afin de déloger le syndicat en place.

A. Le droit – Demandes de réexamen

[22] L’article 22 du Code précise que les décisions du Conseil sont définitives. Bien qu’en vertu de l’article 18 du Code, le Conseil dispose du pouvoir discrétionnaire de réexaminer ses décisions, il ne le fera que dans des circonstances exceptionnelles. Le pouvoir de réexamen du Conseil ne constitue pas un moyen de porter en appel une décision antérieure ni une occasion de plaider de nouveau une affaire, et il ne constitue pas non plus une tribune pour contester les faits et les questions tranchés par le banc initial. Ainsi, en réexamen, le Conseil ne substitue pas son opinion et son évaluation de la preuve à celles du banc initial, et il ne remet pas en question l’exercice du pouvoir discrétionnaire du banc initial. En outre, le désaccord d’une partie à propos des conclusions de fait du banc initial ne constitue pas un motif de réexamen. Une demande de réexamen n’est pas non plus l’occasion, pour une partie, d’obtenir une nouvelle audience ou de présenter de nouveaux arguments devant un nouveau banc (Williams c. Section Locale 938 de la Fraternité Internationale des Teamsters, 2005 CAF 302).

[23] Il incombe au requérant qui présente une demande en vertu de l’article 18 d’établir les motifs qui justifieraient le réexamen de la décision en cause. Un banc de révision ne décide pas s’il souscrit ou non à la décision initiale; il se prononce plutôt sur la question de savoir si le requérant a démontré l’existence d’un motif de réexamen valable. Dans Buckmire, 2013 CCRI 700 (Buckmire), le Conseil a résumé les principaux motifs de réexamen :

[45] On peut donc résumer comme suit les principaux motifs de réexamen :

a) des faits nouveaux que le requérant n’a pas pu porter à la connaissance du banc initial, mais qui auraient vraisemblablement amené le Conseil à tirer une autre conclusion;

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code ou d’un principe;

c) le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3 du Règlement.

[24] Dans la présente demande, le CAWU soutient que le Conseil devrait réexaminer la décision RD 764 pour les motifs décrits aux points b) et c) ci‑dessus. Dans Buckmire, le Conseil énonce les obligations du requérant concernant la présentation d’une demande de réexamen pour ces motifs :

[42] Si une erreur de droit ou de principe est alléguée, les éléments exigés pour la présentation du dossier demeurent les mêmes que ceux énumérés dans Kies 413, précitée :

1. une description du droit ou du principe en cause;

2. l’erreur exacte que le banc initial a commise dans l’application de ce droit ou principe;

3. la manière dont la présumée erreur remet véritablement en question l’interprétation donnée au Code par le banc initial.

...

[44] Conformément à la description donnée dans Kies 413, précitée, une demande présentée par une partie doit dans ce cas contenir au moins ce qui suit :

1. l’identification du principe exact de justice naturelle ou d’équité procédurale;

2. une description de la manière dont le banc initial n’a prétendument pas respecté ce principe.

[25] Le Conseil appliquera ces principes et exigences aux observations du CAWU ainsi qu’à ses arguments en faveur du réexamen.

B. Bien-fondé de la demande de réexamen

[26] Dans la décision RD 764, le banc initial a expliqué que le Conseil se fondait sur la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation pour établir la volonté des employés, citant l’article 30 de son Règlement. Il a également souligné à quel point il est important, pour la bonne conduite du processus du Conseil, que la preuve d’adhésion soit entièrement conforme aux exigences du paragraphe 31(1) du Règlement :

[10] Lorsqu’il est saisi d’une demande d’accréditation, le Conseil doit d’abord déterminer si la preuve d’adhésion présentée par le requérant pour appuyer sa demande est valide et suffisante. Lorsque le Conseil propose d’utiliser les cartes d’adhésion signées pour accréditer un agent négociateur, ou avant qu’il ordonne la tenue d’un scrutin, il est d’importance primordiale que la preuve d’adhésion sur laquelle le Conseil s’appuiera pour prendre ses décisions soit juste et fiable. La norme que le Conseil applique lorsqu’il vérifie la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation est très rigoureuse.

[27] Il convient de souligner qu’à la date où le CAWU a présenté sa demande initiale pour déloger le syndicat en place, soit le 5 janvier 2015, le paragraphe 29(1) du Code conférait au Conseil le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation. Ainsi, dans la décision RD 764, le banc initial a invoqué le principe de longue date selon lequel un syndicat qui présente une demande pour en déloger un autre doit démontrer qu’il a le soutien de la majorité des membres de l’unité avant que la tenue d’un scrutin de représentation soit ordonnée :

[7] Dans le contexte d’une demande visant à déloger un syndicat, la politique du Conseil, qui est bien établie, veut que le requérant démontre qu’il a l’appui de la majorité des employés de l’unité. Si le requérant répond à ce critère, le Conseil ordonne la tenue d’un scrutin de représentation dans presque tous les cas. Cette politique s’appuie sur la prémisse que, lorsque le Conseil a accrédité un syndicat pour représenter les employés d’une unité de négociation, on présume que celui‑ci continue d’avoir l’appui d’une majorité des employés de l’unité jusqu’à ce que cette présomption soit écartée par une preuve démontrant le contraire. Le Conseil cherche aussi à préserver la paix industrielle et, en adoptant une politique selon laquelle le syndicat qui cherche à déloger un autre syndicat doit démontrer qu’il a l’appui de plus de la moitié des membres de l’unité, il s’assure que les employés souhaitent sérieusement changer d’agent négociateur avant que la tenue d’un scrutin soit ordonnée (Canadien Pacifique Express et Transport (1988), 73 di 183 (CCRT n° 682); et Société Radio-Canada (1993), 91 di 165 (CCRT n° 1004) voir page 172).

[28] Le paragraphe 29(1) a depuis été abrogé par la Loi sur le droit de vote des employés (L.C. 2014, ch. 40), laquelle est entrée en vigueur le 16 juin 2015 et a modifié le Code, de sorte que le Conseil doit désormais tenir un scrutin de représentation obligatoire si au moins 40 % des employés de l’unité sont membres du syndicat qui présente la demande. Bien entendu, le Conseil demeure tenu, d’une part, d’examiner avec soin la preuve d’adhésion présentée à l’appui de toute demande d’accréditation, afin de s’assurer de sa validité, et, d’autre part, de respecter ses politiques et ses pratiques existantes à cet égard.

[29] Dans la décision RD 764, le banc initial a énoncé la question principale dont il était saisi :

[11] Dans la présente affaire, la question clé que le Conseil doit trancher est celle de savoir si la preuve d’adhésion qui accompagne la demande est valide et suffisante, comme l’exigent les articles 30 et 31 du Règlement pour établir qu’une majorité des employés de l’unité souhaitent être représentés par le requérant.

[30] En l’espèce, le requérant soutient essentiellement que, dans la décision RD 764, le banc initial a commis une erreur de droit ou de principe et a enfreint les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en ne communiquant pas le rapport de l’ARI, en ne tenant pas d’audience pour résoudre les questions liées à la crédibilité, et en n’ordonnant pas la tenue d’un scrutin de représentation afin de vérifier quelle était la volonté des employés.

[31] Dans la décision RD 764, le banc initial a souligné l’importance de préserver la confidentialité de la volonté des employés dans le processus d’enquête du Conseil visant la preuve d’adhésion à l’appui d’une demande d’accréditation – ce qui s’applique notamment au travail de l’ARI et au rapport qu’il fournit de manière confidentielle au Conseil :

[12] Afin de pouvoir conclure, aux termes de l’alinéa 28c) du Code, que le requérant a répondu au critère permettant d’accorder une accréditation ou d’ordonner un scrutin de représentation, le Conseil a mis en place un processus selon lequel il délègue ses pouvoirs d’enquête aux agents des relations industrielles (ARI) du Conseil de sorte que ceux‑ci puissent vérifier et évaluer la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation.

[13] Lorsque des allégations mettent en doute la validité de la preuve d’adhésion présentée par un requérant, l’ARI enquête sur ces allégations et s’entretient de manière confidentielle avec certains employés, en tenant compte de tous les renseignements fournis par l’une ou l’autre des parties à la demande. L’ARI présente les résultats de son enquête au Conseil dans un rapport confidentiel afin de protéger la confidentialité de la volonté des employés, conformément à l’article 35 du Règlement. Ce processus est bien établi et a été examiné dans la jurisprudence du Conseil (voir IMS Marine Surveyors Ltd., 2001 CCRI 135 au paragraphe 16; TD Canada Trust du Grand Sudbury (Ontario), 2006 CCRI 363; et confirmée en contrôle judiciaire : TD Canada Trust c. Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes, 2007 CAF 285).

[14] Les cours de justice ont toujours protégé ce processus et la nécessité de préserver la confidentialité des résultats de l’enquête compte tenu de la nature délicate de la volonté des employés, protégée par l’article 35 du Règlement (voir Maritime-Ontario Freight Lines Ltd. c. Section locale 938 des Teamsters, 2001 CAF 252).

[32] Dans la décision RD 764, le banc initial a examiné le rapport confidentiel préparé par son ARI, à qui un certain nombre d’employés ont confirmé qu’ils n’avaient ni payé les frais d’adhésion ni signé de carte. Le banc initial a aussi passé en revue les pratiques et la jurisprudence du Conseil concernant la façon de traiter les irrégularités relevées dans la preuve d’adhésion :

[15] En l’espèce, dans le cadre de son enquête, l’ARI désignée par le Conseil a communiqué avec un nombre considérable d’employés et leur a posé une série de questions pour évaluer la validité des renseignements figurant sur les cartes d’adhésion. Tout au long de son enquête, l’ARI était parfaitement au courant des allégations soulevées aussi bien par le CAWU que par l’AIMTA, et elle a tenu compte des renseignements confidentiels spécifiques fournis au Conseil. Un certain nombre d’employés avec qui l’agente s’est entretenue et pour lesquels une carte d’adhésion signée avait été présentée ont confirmé qu’ils n’avaient pas payé les droits exigés de 5 $ ou qu’ils n’avaient pas signé de carte d’adhésion.

[16] Le Conseil prend au sérieux les exigences relatives à la preuve d’adhésion et a toujours affirmé que le défaut de se conformer aux exigences du Code et du Règlement est un vice de fond et non de forme. Cela est d’autant plus important que le Conseil se fonde sur la preuve d’adhésion pour décider s’il convient ou non d’accorder une accréditation ou d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation, accordant ainsi au requérant des droits et des privilèges fondamentaux en vertu du Code. Le Conseil et son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), ont appliqué de manière constante une norme rigoureuse pour examiner la preuve d’adhésion produite par un syndicat requérant.

[17] Dans American Airlines Incorporated (1981), 43 di 114; et [1981] 3 Can LRBR 90 (CCRT n° 301), le CCRT s’est prononcé clairement sur ce type d’irrégularité dans la preuve d’adhésion et sur ses conséquences :

Le Conseil désire souligner encore une fois, comme il a été mentionné dans City and Country Radio Ltd., supra, et Banque de Commerce Canadienne Impériale,Sioux Lookout, Ontario, supra, qu’en traitant des cas d’accréditation, il a mis en place une façon de faire comprendre l’importance de leurs actions à l’employé qui signe une carte et au syndicat qui demande l’accréditation. En même temps que les modifications promulguées par le Parlement en 1978 qui indiquent clairement qu’il préfère que des preuves littérales soient utilisées pour établir que la majorité des employés appuient le syndicat, le Conseil a porté les droits minimums d’adhésion de 2 $ à 5 $. À notre avis, un employé qui doit payer 5 $ pour adhérer à un syndicat réfléchira à l’importance de son acte avant de verser le montant. Le syndicat doit ensuite certifier au Conseil que l’argent a été personnellement versé par l’employé qui a signé la carte d’adhésion. En cas d’irrégularité dans cette procédure, le Conseil rejettera la requête en accréditation pour ce seul motif.

(pages 129-130; c’est nous qui soulignons)

[18] Dans l’affaire K.D. Marine Transport Ltd. (1982), 51 di 130; et 83 CLLC 16,009 (CCRT no 400), le CCRT a poussé l’analyse plus loin lorsqu’il a indiqué que les conséquences seraient immédiates et graves dans les affaires de ce genre :

Le Conseil est parfaitement conscient de la nécessité d’obtenir des preuves sur les adhésions syndicales et accorde beaucoup d’importance à l’authenticité des documents démontrant les désirs des employés. Toute fraude ou falsification de cartes de membres ou des dossiers, comme des signatures contre-faites, des cartes postdatées ou antidatées, ou méthodes incorrectes de paiement des frais d’adhésion, pourrait entraîner des conséquences immédiates et graves ...

(pages 144; et 16,076)

[33] Le banc de révision n’est pas convaincu que le banc initial a commis une erreur de droit ou de principe ou a enfreint les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale quand il a cité les dispositions législatives et les principes que le Conseil applique en ce qui concerne la confidentialité des enquêtes qu’il mène sur la preuve d’adhésion, ni quand il a décrit la norme appliquée pour examiner cette preuve ainsi que les conséquences qu’entraînent les demandes qui ne sont pas étayées par une preuve valide et fiable.

[34] Dans la décision RD 764, le banc initial a conclu que les nombreuses irrégularités contenues dans la preuve d’adhésion du requérant entachaient l’ensemble de celle‑ci, de sorte que le banc ne pouvait en accepter la véracité ni s’y fier pour ordonner la tenue d’un scrutin :

[19] En l’espèce, le Conseil conclut, en se fondant sur les résultats de l’enquête menée par l’ARI, à la présence de nombreuses irrégularités dans les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande d’accréditation. De l’avis du Conseil, la nature et les proportions des irrégularités qui ont été décelées ont pour conséquence d’altérer l’ensemble de la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande dans la mesure où le Conseil n’est pas disposé à en accepter la véracité et à s’y fier pour ordonner la tenue d’un scrutin de représentation.

[35] Dans la décision RD 764, le banc initial a également examiné les observations que le CAWU a présentées dans son certificat d’exactitude et a affirmé ce qui suit :

[20] Il importe aussi de souligner que le Conseil exige que le requérant lui présente un certificat d’exactitude pour appuyer sa demande d’accréditation. Le paragraphe 4 du certificat d’exactitude est libellé comme suit :

4. Que les cotisations syndicales ou les droits d’adhésion inscrits comme ayant été payés ont de fait été versés par les employés intéressés, en leur propre nom et aux dates indiquées.

[21] En l’espèce, le certificat d’exactitude a été signé par un représentant du requérant le 9 janvier 2015 et a été présenté au Conseil. Cependant, contrairement à ce que dit le certificat, le Conseil a conclu à la présence d’irrégularités dans la perception des droits d’adhésion de 5 $ et dans les signatures figurant sur certaines cartes d’adhésion, ce qui donne lieu à un vice important dans la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande. Par conséquent, le Conseil rejette la demande.

[36] Le CAWU n’a pas convaincu le Conseil que le banc initial n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux dispositions législatives et aux principes qu’applique le Conseil. Le CAWU allègue que, dans la décision RD 764, le Conseil a suivi une approche « différente » de l’approche « corrective » qu’il avait adoptée dans les affaires précédentes concernant les mêmes parties; toutefois, le banc de révision estime qu’aucun motif n’a été établi pour justifier le réexamen de la décision du banc initial consistant à rejeter la demande en vertu de son pouvoir discrétionnaire, à la lumière de la conclusion selon laquelle la nature et l’ampleur des irrégularités avaient entaché l’ensemble de la preuve d’adhésion. Le Conseil juge en outre qu’aucune erreur ni aucun manquement aux principes de justice naturelle n’a été démontré quant au fait que le banc initial a suivi la pratique de longue date qui consiste à fonder sa décision sur les conclusions confidentielles du rapport que l’ARI a transmis confidentiellement au Conseil, à la suite de son enquête confidentielle. De l’avis du Conseil, la conclusion du banc initial selon laquelle la non‑conformité de la preuve d’adhésion au Code et au Règlement équivalait à un vice de fond et non de forme concorde avec la jurisprudence du Conseil dans de telles circonstances, le but visé étant de préserver l’intégrité du processus du Conseil (North America Construction (1993) ltée, 2014 CCRI 745).

[37] Contrairement à ce qu’affirme le CAWU, dans la décision RD 764, le banc initial ne devait pas décider lequel des deux syndicats les employés souhaitaient avoir comme représentant. La question à trancher était plutôt celle de savoir si la demande d’accréditation qui lui avait été présentée était étayée par une preuve d’adhésion valide, conformément aux exigences des articles 30 et 31 du Règlement. Ayant conclu que la preuve d’adhésion qui accompagnait la demande n’était pas fiable, le banc initial a rejeté la demande pour ce motif dans la décision RD 764. Par conséquent, la question de savoir quel syndicat les employés souhaitaient avoir comme représentant ne s’est pas posée.

[38] En ce qui a trait à l’argument du CAWU selon lequel le Conseil doit se fier au rapport confidentiel de l’ARI uniquement quand les allégations d’irrégularité dans la preuve d’adhésion ne sont pas fondées, le Conseil n’est pas d’accord, et il n’accepte pas qu’une audience doive avoir lieu quand les allégations d’irrégularité sont fondées. Le banc de révision estime qu’une telle approche minerait non seulement l’exigence selon laquelle une demande doit être étayée par une preuve d’adhésion valide, mais aussi l’efficacité du processus d’enquête du Conseil, dans le cadre duquel la confidentialité de la volonté des employés doit être protégée.

[39] Le Conseil ne souscrit pas à l’affirmation du requérant selon laquelle le Conseil a rejeté sa demande sans tenir d’audience ni ordonner la tenue d’un scrutin sur la base de ce que le requérant décrit comme des allégations non fondées concernant sa preuve d’adhésion. De l’avis du Conseil, le banc initial a adéquatement tenu compte, dans la décision RD 764, de l’importance de la confidentialité dans le processus d’enquête du Conseil, et il s’est appuyé sur la jurisprudence établie (K.D. Marine Transport Ltd. (1982), 51 di 130; et 83 CLLC 16,009 (CCRT n° 400)). Le banc initial a ordonné la tenue d’une enquête sur la preuve d’adhésion et a décidé qu’il prendrait des mesures par suite des résultats de cette enquête. Malgré l’argument du requérant selon lequel le Conseil a commis une erreur de droit ou de principe ou a manqué à un principe de justice naturelle, le requérant n’a pas convaincu le banc de révision que le Conseil avait commis une erreur ou n’avait pas respecté un principe de justice naturelle.

[40] Par ailleurs, le Conseil n’est pas d’avis que le banc initial s’est appuyé sur des « allégations non fondées à propos de la preuve d’adhésion » pour en arriver à sa décision, comme le laisse entendre le CAWU. Le banc initial indique, au paragraphe 15 de la décision RD 764, que l’enquête confidentielle a révélé qu’un certain nombre d’employés au nom desquels une carte d’adhésion signée avait été présentée n’avaient pas payé les droits exigés de 5 $ ou n’avaient pas signé de carte d’adhésion. Le banc initial a conclu que la preuve d’adhésion n’était pas fiable, car elle contenait de nombreuses irrégularités, et il a décidé de rejeter la demande pour ce motif. Le CAWU n’a pas convaincu le Conseil que le banc initial a commis une erreur de droit ou de principe, ou un déni de justice naturelle à l’endroit du requérant en tirant cette conclusion.

[41] Le requérant avance que le Conseil a commis une erreur de droit ou de principe lorsqu’il a refusé d’exercer le vaste pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 29(1) du Code pour ordonner la tenue d’un scrutin de représentation, étant donné les constatations du rapport confidentiel de l’ARI relatives à des allégations d’irrégularité dans la preuve d’adhésion. À l’appui de cet argument, le CAWU a invoqué la décision TD Canada Trust du Grand Sudbury (Ontario), 2006 CCRI 363 (TD Canada Trust) – qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans TD Canada Trust c. Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes, 2007 CAF 285 – pour soutenir que, quand le rapport confidentiel d’un ARI corrobore des allégations d’irrégularité, le Conseil ne devrait pas accepter ces conclusions d’emblée, mais devrait utiliser une autre méthode pour vérifier la volonté des employés, comme un scrutin de représentation. Le banc de révision ne souscrit pas à l’interprétation du CAWU en ce qui concerne la décision TD Canada Trust, précitée.

[42] Dans TD Canada Trust, précitée, la demande n’avait pas été présentée dans le contexte d’un maraudage, et les irrégularités alléguées n’étaient pas de la même nature que celles qui ont été examinées par le banc initial dans la décision RD 764. Dans la décision RD 764, comme l’a mentionné le banc initial au paragraphe 11, la question que le Conseil devait trancher était celle de savoir si la demande du syndicat maraudeur était étayée par une preuve d’adhésion valide et suffisante, comme l’exige le Règlement, pour établir qu’une majorité des employés souhaitaient être représentés par le requérant. La situation était différente dans TD Canada Trust, précitée : le Conseil examinait alors une demande d’accréditation initiale, et il devait vérifier la volonté des employés dans un système fondé sur les cartes d’adhésion, dans un contexte où les allégations d’irrégularité voulaient que le syndicat ait intimidé et contraint des employés pendant sa campagne de syndicalisation.

[43] Ainsi, la décision TD Canada Trust, précitée, est utile en l’espèce seulement dans la mesure où y est énoncé le principe qui veut que, en définitive, il revienne au banc saisi d’une demande d’accréditation de décider comment il procédera en présence d’irrégularités fondées dans la preuve d’adhésion, cette décision étant tributaire des faits propres à chaque affaire. Le banc de révision n’est donc pas convaincu que le banc initial a commis une erreur lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire lui permettant de s’appuyer sur les résultats de l’enquête confidentielle de l’ARI, d’une part, pour fonder sa conclusion selon laquelle la nature et l’ampleur des irrégularités mises en lumière dans le rapport entachaient l’ensemble de la preuve d’adhésion et, d’autre part, pour rejeter la demande en conséquence.

[44] Le requérant affirme en outre que, dans la décision RD 764, le banc initial a commis une erreur en décidant de ne pas tenir d’audience, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, et a enfreint un principe de justice naturelle en ne permettant pas au requérant de contre‑examiner les éléments de preuve dont disposait le Conseil. De l’avis du Conseil, le CAWU n’a pas démontré que le banc initial a manqué à l’équité procédurale ou à un principe de justice naturelle quand il a décidé de ne pas tenir d’audience. Le Conseil tient rarement une audience dans le cas de demandes d’accréditation. Qui plus est, dans une lettre datée du 6 janvier 2015, le Conseil a avisé les parties que :

... l’article 16.1 du Code habilite le Conseil à trancher toute affaire ou question dont il est saisi, y compris la détermination de l’unité habile à négocier collectivement, sans tenir d’audience. Dans un tel cas, le Conseil tranchera la demande en se fondant sur les observations écrites des parties ainsi que sur la lettre d’entente/le rapport de l’agent enquêteur. Il est donc dans l’intérêt véritable des parties de présenter des observations complètes, exactes et détaillées à l’appui de leurs positions respectives et de coopérer pleinement à l’enquête de l’agent du Conseil.

(page 4; souligné dans l’original)

[45] Dans la décision RD 764, le banc initial a conclu qu’il n’avait pas besoin de tenir une audience pour statuer sur la demande dont il était saisi. Comme le banc initial a conclu qu’il pouvait se fier au rapport confidentiel de l’ARI, le Conseil n’est pas convaincu qu’il y a eu déni de justice naturelle à l’égard du requérant quand le banc initial a décidé de fonder sur les résultats de l’enquête, sans d’abord tenir une audience, sa conclusion selon laquelle la preuve d’adhésion n’était pas valide. Comme il a été souligné, le Conseil peut décider comment il traitera les irrégularités constatées dans la preuve d’adhésion, en tenant compte de leur nature et de leur ampleur de même que du type de demande dont il est saisi. Il incombe toujours au syndicat, y compris dans le cas d’une demande visant à déloger un autre syndicat, d’étayer sa demande au moyen d’une preuve d’adhésion fiable et exacte.

[46] De plus, le Conseil juge que le requérant n’a pas démontré que, dans la décision RD 764, le banc initial avait accordé plus d’importance à la confidentialité de la volonté des employés qu’à l’équité procédurale. La décision de rejeter la demande est résumée aux paragraphes 19, 20 et 21 de la décision RD 764. Le Conseil applique depuis longtemps sa politique consistant à ne pas communiquer les rapports d’enquête confidentiels préparés par ses ARI, et les cours reconnaissent de longue date que le Conseil a le droit de ne pas communiquer ces rapports afin d’encourager les travailleurs à se prévaloir de ses procédures d’accréditation, conformément à l’article 35 du Règlement.

[47]  Dans Maritime-Ontario Freight Lines Ltd. c. Section locale 938 des Teamsters, 2001 CAF 252, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’opposition du Conseil à la production d’une preuve d’adhésion confidentielle dans le contexte d’un contrôle judiciaire. Bien que le contexte soit différent de celui en l’espèce, et qu’il soit fait référence à l’article 25 du Règlement, et non à l’article 35, le juge en chef Richard (selon le titre qu’il portait alors) a expliqué en ces termes pourquoi la Cour appuyait le processus du Conseil visant à protéger la confidentialité de la preuve d’adhésion :

[9] L’office fédéral s’est opposé à la demande de communication de documents présentée par la demanderesse en vertu de la règle 318 (2) et il a motivé son objection.

[10] L’office fédéral s’est appuyé sur l’article 25 du Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations industrielles, DORS/91‑622 (le Règlement), qui est rédigé dans les termes suivants :

25. Le Conseil ne peut divulguer à qui que ce soit des éléments de preuve qui, à son avis, pourraient révéler l’adhésion à un syndicat, l’opposition à l’accréditation d’un syndicat ou la volonté de tout employé d’être ou de ne pas être représenté par un syndicat, à moins qu’il n’estime qu’une telle divulgation contribuerait à la réalisation des objectifs de la Loi.

25. The Board shall not disclose to anyone evidence that could, in the Board’s opinion, reveal membership in a trade union, opposition to the certification of a trade union or the wish of any employee to be represented by or not to be represented by a trade union, unless the Board considers that such disclosure would be in furtherance of the objectives of the Act.

[11] L’office fédéral a également déclaré qu’en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), L‑2 (le Code), et conformément aux principes et politiques bien établis en matière de relations du travail, ces documents sont à l’usage exclusif du Conseil qui s’en sert pour déterminer si, dans un cas donné, le syndicat demandeur représente une majorité des employés d’une unité de négociation que le Conseil estime appropriée pour les fins de la négociation collective.

[12] La demande de la demanderesse fondée sur la règle 317 doit être examinée au regard de la portée de la clause privative de l’office fédéral et de la politique publique concernant la confidentialité des renseignements relatifs à l’adhésion en matière de relations du travail.

[13] Dans son ouvrage Canadian Labour Law, 2e éd. (Aurora : Canada Law Book, 1993), au par. 5.380, George Adams note ce qui suit :

[TRADUCTION] Il est admis depuis longtemps que la confidentialité de la preuve relative à l’adhésion est une garantie essentielle que les conseils des relations du travail doivent assurer s’ils souhaitent encourager les travailleurs à se prévaloir de leur procédure d’accréditation.

[14] Dans l’arrêt Canada (Conseil des relations du travail) c. Transair Ltd., [1977] 1 R.C.S. 722, aux pages 741 et 742 (Transair), la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de se prononcer sur l’opportunité de communiquer des renseignements protégés par une disposition semblable du Règlement. Le juge en chef Laskin a déclaré ce qui suit :

Le Conseil pouvait agir en se fondant sur le rapport sans le rendre public à cet égard, vu les dispositions de l’art. 29(4) du Règlement, une fois assuré que l’enquête requise avait été tenue. Cela ne faisait aucun doute en l’espèce...

À mon avis, la Cour fédérale s’est trompée en déclarant que le Conseil était tenu d’autoriser le contre-interrogatoire sur les chiffres et encore plus de permettre toutes autres questions ne pouvant aboutir qu’à identifier les membres de l’unité. L’article 29(4) du Règlement, portant que le Conseil doit traiter comme confidentielles les preuves qui lui sont présentées relativement à l’adhésion syndicale des membres, vient renforcer l’économie de la Loi en ce qui concerne les pouvoirs du Conseil en matière de détermination de l’adhésion syndicale.

[48] À la lumière de la jurisprudence qui précède, le Conseil conclut qu’il n’a pas été démontré qu’un quelconque motif justifierait qu’il réexamine la décision du banc initial de respecter la politique de non‑divulgation dans le contexte de la décision RD 764.

[49] Par ailleurs, le Conseil souligne que, dans la décision RD 764, le banc initial a confirmé à juste titre l’importance accordée à l’exigence relative à une preuve d’adhésion valide, étant donné que le Conseil se fie à celle‑ci pour décider d’accorder l’accréditation ou d’ordonner la tenue d’un scrutin – ce qui peut donner accès au requérant à des droits et à des privilèges prévus au Code. Ainsi, tel que le précise la décision RD 764, le Conseil a appliqué de manière constante une norme rigoureuse pour examiner la preuve d’adhésion produite par un syndicat requérant. Compte tenu des privilèges à accorder, tout requérant a l’obligation d’assurer l’exactitude de la preuve d’adhésion qu’il présente (Genesee & Wyoming inc., exploitée sous la raison sociale Huron Central Railway HCRY, 2007 CCRI 388). Le processus du Conseil exige que des frais soient payés, que des demandes d’adhésion soient signées et remplies conformément à toutes les exigences du Règlement, et que le requérant le certifie au moyen d’un certificat d’exactitude dont il doit faire attester l’authenticité et qu’il doit présenter au Conseil.

V. Conclusion

[50]  Pour tous les motifs qui précèdent, le requérant n’a pas convaincu le Conseil que, dans la décision RD 764, le banc initial a commis une erreur de droit ou de principe, ou a manqué à un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale, quand, s’appuyant sur les résultats de l’enquête confidentielle de l’ARI, il a décidé de rejeter la demande du CAWU au motif qu’elle n’était pas étayée par une preuve d’adhésion valide. Puisque le requérant n’a démontré l’existence d’aucun motif justifiant le réexamen de la décision RD 764 par le banc de révision, la demande de réexamen est rejetée.

[51] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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