Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada,

plaignante,

et

Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique,

intimée,

et

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada; Unifor; Syndicat des Métallos, TC section locale 1976,

intervenants.

Dossier du Conseil : 30590-C

Référence neutre : 2015 CCRI 790

Le 23 septembre 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de MGinette Brazeau, Présidente, ainsi que de Me Richard Brabander et M. Norman Rivard, Membres.

Ont comparu

Me Michael Church, pour la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada;

Me Nizam Hasham, pour la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique;

M. Bob Fitzgerald, pour Unifor;

Me Simon‑Pierre Paquette, pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada;

Me Shaheen Hirani, pour le Syndicat des Métallos, TC section locale 1976.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.

I. Introduction

[1] Le 18 août 2014, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (la CFTC ou la plaignante) a déposé une plainte auprès du Conseil, dans laquelle elle alléguait que la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP Rail ou l’employeur) avait enfreint l’alinéa 94(1)a) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) lorsqu’elle avait opposé son veto au renouvellement du mandat de Me Michel Picher au poste d’arbitre en chef du Bureau d’arbitrage et de médiation des chemins de fer du Canada (BACF). Le syndicat allègue que, par sa conduite, CP Rail a fait échouer la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage prévue dans les conventions collectives conclues entre les parties et est de ce fait intervenue dans l’administration du syndicat et dans sa représentation des employés de l’unité de négociation.

[2] Cette plainte de pratique déloyale de travail était également accompagnée d’une demande fondée sur l’article 19.1 du Code visant à obtenir une ordonnance provisoire confirmant qu’une entente avait été conclue en vue de renouveler le mandat de Me Picher au poste d’arbitre en chef du BACF (dossier du Conseil n30592-C).

[3] Dans la décision‑lettre 3288, datée du 23 septembre 2014, le Conseil a rejeté la demande d’ordonnance provisoire pour défaut de compétence à l’égard des modalités du redressement demandé.

[4] Le Conseil a ensuite mis au rôle une audience concernant la plainte de pratique déloyale de travail et a entendu des témoignages et des arguments relatifs à cette affaire les 9, 10, 13, 14 et 16 avril 2015.

[5] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil a décidé de rejeter la présente plainte sur le fond.

II. Contexte et faits

[6] Le BACF a été établi en janvier 1965 par un protocole d’entente (PE) entre CP Rail, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et plusieurs syndicats représentant leurs employés. Le nombre de membres du BACF s’est ensuite accru lorsque plusieurs autres entreprises des secteurs du transport ferroviaire, du camionnage et des télécommunications y ont adhéré, puis le BACF est revenu à sa situation antérieure, ne regroupant que CP Rail et le CN ainsi qu’un certain nombre de syndicats représentant leurs employés. Le PE a été modifié pour la dernière fois en 2004 avec l’accord de toutes les parties. Les différentes conventions collectives conclues entre les compagnies de chemin de fer et les syndicats comprennent des dispositions qui décrivent le BACF comme étant le mécanisme de résolution des différends pour le règlement définitif des griefs, conformément à l’exigence énoncée à l’article 57 du Code. Comme la décision du Conseil est susceptible d’avoir une incidence sur les autres parties au PE, plusieurs d’entre elles ont demandé et obtenu la qualité d’intervenantes en l’espèce.

[7] Conformément au PE, un comité d’administration (le Comité), constitué de représentants de chacun des signataires, s’occupe de l’administration du BACF, y compris de la nomination des arbitres et du renouvellement de leur mandat. Les coûts de fonctionnement du BACF ainsi que les honoraires et les dépenses des arbitres sont divisés à parts égales entre les employeurs et les syndicats signataires. Les décisions du Comité sont prises par consensus.

[8] Depuis 2004, le PE prévoit la nomination d’au plus trois arbitres, dont un arbitre en chef jouant le rôle de conseiller auprès des deuxième et troisième arbitres pour toute question liée à l’exécution de leurs fonctions. Les contrats avec les arbitres sont d’une durée d’un an et sont renouvelables avec l’accord de tous les membres du Comité. Me Picher est l’arbitre principal depuis 1986 et a été désigné arbitre en chef du BACF en 2004.

[9] Les membres du Comité se réunissent généralement en mars et en novembre de chaque année pour discuter de questions budgétaires et administratives ainsi que de la nomination des arbitres ou du renouvellement de leur mandat. En mars 2014, les membres du Comité se sont réunis et ont convenu de proposer de renouveler le mandat de Me Picher et de Me Christine Schmidt et d’augmenter leurs honoraires de 2 %. M. Barry Kennedy, représentant d’Unifor au sein du Comité, s’est vu confier la tâche de prendre contact avec les deux arbitres pour discuter du renouvellement de leurs mandats. Le 11 juillet 2014, M. Kennedy a écrit aux membres du Comité pour les informer que l’arbitre Picher avait remis en question l’augmentation d’honoraires proposée, puisqu’il croyait que l’augmentation salariale moyenne prévue dans les conventions collectives du secteur ferroviaire était de 3 %. Le Conseil a appris que, par le passé, le Comité avait pour pratique d’offrir la même augmentation au moment du renouvellement des mandats. Les membres du Comité ont ensuite échangé une série de courriels à propos d’une augmentation de 2 % ou de 3 %.

[10] Le 14 juillet 2014, pendant la période où les membres du Comité échangeaient ces courriels, Me Picher a rendu une décision arbitrale concernant un mécanicien de locomotive de CP Rail, dans laquelle il faisait droit au grief et ordonnait la réintégration de l’employé dans son poste. Le chef de la direction de CP Rail a dénoncé et critiqué publiquement la décision de Me Picher; l’employeur a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour supérieure du Québec et demandé à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la décision.

[11] Le lendemain, soit le 15 juillet 2014, M. Myron Becker, représentant de CP Rail au sein du Comité, a envoyé un courriel aux membres du Comité précisant que CP Rail n’était pas prête à renouveler le mandat de Me Picher.

III. Témoignages et positions des parties

A.  La CFTC

[12] Le syndicat allègue que la décision et la conduite de CP Rail en ce qui a trait au renouvellement du mandat de l’arbitre en chef du BACF ont miné sa capacité et sa responsabilité de représenter les membres de l’unité de négociation. Il prétend que CP Rail a entrepris de « saboter » (traduction) le BACF en guise de représailles contre le syndicat et en réaction à une décision de l’arbitre défavorable à l’employeur.

[13] Dans les éléments de preuve qu’il a fournis, le syndicat a présenté des déclarations que le chef de la direction a faites durant un appel avec des actionnaires et des analystes les 4 et 5 décembre 2012. Dans ces déclarations, le chef de la direction décrit la CFTC sous un jour défavorable et laisse entendre qu’il « lui rendr[a] la pareille » (traduction) pour l’arrêt de travail qui avait eu lieu plus tôt cette année‑là.

[14] Le syndicat prétend que les déclarations du chef de la direction montraient clairement que, si le syndicat, sa direction ou ses membres empêchaient de quelque façon que ce soit l’employeur d’enregistrer des bénéfices records, ils en subiraient les conséquences. Il soutient que la conduite de l’employeur relativement au non‑renouvellement du mandat de Me Picher devrait être considérée dans ce contexte et être assimilée à une attaque directe et délibérée contre le syndicat.

[15] Le syndicat a aussi fourni dans ses éléments de preuve des déclarations publiques que le chef de la direction a faites peu après que l’arbitre du BACF, Me Picher, eut décidé d’annuler la décision de CP Rail de congédier un employé qui avait obtenu un résultat positif à un test de dépistage des drogues après avoir causé le déraillement d’une locomotive qui venait de franchir un aiguillage de liaison sur une voie principale. Le syndicat a démontré que la décision de CP Rail de ne plus appuyer le renouvellement du mandat de Me Picher coïncidait avec cette décision défavorable à l’employeur. Selon les éléments de preuve, rien n’indiquait, avant le 15 juillet 2014, que CP Rail avait l’intention de ne pas appuyer le renouvellement du mandat de Me Picher.

[16] M. Doug Finnson, président de la CFTC, a décrit l’état de la relation entre l’employeur et le syndicat depuis le changement de direction à CP Rail en 2012. Plus précisément, M. Finnson a témoigné que les commentaires formulés par le chef de la direction pendant l’appel avec les actionnaires et les analystes du CP le 4 décembre 2012 n’étaient rien d’autre qu’une déclaration de guerre contre le syndicat et qu’ils ont suscité la confrontation à tous les égards. M. Finnson a indiqué qu’il y a ensuite eu des attaques contre la convention collective, que les licenciements ont augmenté et que le nombre de griefs est monté en flèche.

[17] M. Finnson a précisé que, au moment de l’audience, le nombre de griefs n’avait jamais été aussi élevé et que le syndicat était aux prises avec un arriéré de dossiers non réglés parce que l’employeur avait décidé de ne plus accorder de prolongations automatiques des délais, lesquelles permettaient de régler certaines affaires avant qu’il soit nécessaire de recourir à l’arbitrage. Selon M. Finnson, cette décision de l’employeur fait en sorte que presque tous les griefs seront désormais renvoyés à l’arbitrage, ce qui créera une accumulation de dossiers que le BACF ne sera tout simplement pas en mesure de traiter rapidement et de manière rentable.

[18] Selon les prédictions de M. Finnson, un nombre sans précédent de griefs sera envoyé au BACF, et celui‑ci sera incapable de les traiter puisqu’il n’a pas été conçu pour gérer tous les griefs. Ce système n’a été conçu que pour régler rapidement les affaires toujours en litige à la suite d’une procédure interne d’enquête et de règlement des différends sous la responsabilité des parties.

[19] Dans son témoignage, M. Finnson a laissé entendre qu’un nouvel arbitre aura de la difficulté à maintenir en place une procédure d’arbitrage rapide en raison de son manque d’expérience dans le secteur ferroviaire ainsi que des subtilités des conventions collectives, ce qui entraînera rapidement une paralysie du bureau sous une accumulation d’affaires non réglées.

[20] Selon les éléments de preuve fournis par le syndicat, la semaine d’arbitrage que le BACF avait prévue en septembre 2014 a été annulée parce que le mandat de Me Picher n’a pas été renouvelé et qu’il était trop tard, en juillet ou en août, pour trouver un arbitre disponible dont le choix aurait convenu à toutes les parties.

[21] En contre‑interrogatoire, M. Finnson a admis que, selon les règles du BACF, une partie peut refuser que les services d’un arbitre en particulier soient retenus. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le syndicat s’était opposé à dix propositions d’arbitre le 12 août 2014, soit environ une semaine avant le dépôt de la présente plainte, M. Finnson n’a fourni aucune explication. Il a admis en contre‑interrogatoire que trois arbitres instruisaient les affaires du BACF au moment de l’audience : Me Schmidt, Me John Stout et Me Marilyn Silverman. Il a aussi mentionné que le syndicat insistait sur le fait qu’il fallait un arbitre bilingue.

[22] Bien que plusieurs courriels et copies de procès‑verbaux aient été présentés en preuve pour démontrer les efforts qui ont été déployés afin de trouver d’autres arbitres, le syndicat admet qu’il n’a pas accepté au départ les autres candidatures proposées parce qu’il croyait qu’une entente était intervenue concernant le renouvellement du mandat de Me Picher. Le syndicat avait déposé une plainte auprès du Conseil pour que celui‑ci intervienne au moyen d’une ordonnance provisoire confirmant l’entente. Dans son témoignage, M. Paul Boucher, représentant de la CFTC au sein du Comité, a admis que ce n’est qu’après que le Conseil eut refusé de rendre une ordonnance provisoire que le syndicat a envisagé la possibilité de retenir les services d’autres arbitres pour le BACF.

[23] Dans son témoignage, M. Boucher a souligné l’importance de l’expertise au BACF. Il a ajouté que le changement d’avis de CP Rail concernant le renouvellement du mandat de Me Picher avait entraîné un arriéré d’affaires non réglées. M. Boucher a aussi souligné dans son témoignage la nécessité d’avoir un arbitre bilingue, et il a mentionné, à cet égard, que Me Schmidt n’avait du français qu’une connaissance limitée.

[24] M. Roland Hackl, vice‑président de la CFTC, a témoigné que la décision de CP Rail d’opposer son veto au renouvellement du mandat de Me Picher a restreint la capacité du syndicat de faire instruire des affaires. Il a affirmé que « justice différée est justice refusée » (traduction) et qu’il est maintenant difficile pour le syndicat d’aider ses membres. Il a ajouté que seuls les cas de licenciement étaient instruits et qu’il pourrait falloir de deux à trois ans pour faire instruire les autres affaires. Il a indiqué que l’arbitrage des griefs est crucial pour le syndicat : c’est ce que veulent voir les membres et c’est la façon dont le syndicat sert ses membres. Le syndicat fournit ce service par l’entremise du BACF. En réinterrogatoire, M. Hackl a précisé qu’il ne voit aucun problème à ce que le choix d’un arbitre soit refusé, pour autant que le refus soit opposé en temps opportun et selon les règles du BACF.

[25] Le syndicat prétend que la décision de l’employeur de ne plus appuyer le renouvellement du mandat de Me Picher n’avait rien à voir avec l’écart entre une augmentation de 2 % ou de 3 %, mais qu’il s’agissait d’une attaque directe de l’employeur à l’égard d’un système qui a permis au syndicat de fournir à ses membres une représentation efficiente et efficace. Il affirme que la décision de CP Rail nuit davantage à la CFTC qu’à tout autre agent négociateur, en particulier à un moment où le nombre de griefs est élevé, et compte tenu de la décision de l’employeur de refuser d’accorder des prolongations de délai pour y donner suite.

[26] Le syndicat prétend aussi que la conduite de l’employeur au cours des derniers mois est assimilable à un comportement qui va à l’encontre du Code. Il demande au Conseil de conclure que la décision de l’employeur de ne plus appuyer le renouvellement du mandat de Me Picher, sa décision de refuser d’accorder des prolongations généralisées pour le traitement des griefs, ses manquements au Code, qui ont été confirmés dans plusieurs décisions du Conseil, et le moment où sont survenus chacun de ces événements constituent une attaque contre la représentation par le syndicat de ses membres. Le syndicat soutient que le Conseil devrait prendre en compte le contexte et l’historique de la relation entre cet employeur et la CFTC, et il invite le Conseil à appliquer les dispositions du Code dans le but précis d’empêcher l’employeur de se dégager des ententes qu’il conclut avec le syndicat.

[27] Le syndicat demande au Conseil d’exercer son pouvoir déclaratoire pour ordonner à l’employeur de cesser d’intervenir dans la procédure du BACF, afin de bien faire comprendre à l’employeur que ce type de conduite va à l’encontre du Code.

B. CP Rail

[28] CP Rail affirme que le syndicat ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve que lui impose l’alinéa 94(1)a) du Code, puisqu’aucun élément de preuve ne permet de croire que sa capacité de représenter ses membres a été entravée. Elle soutient que, même si le syndicat est en désaccord avec les interventions et la conduite de l’employeur, cela ne signifie pas automatiquement qu’il y a eu pratique déloyale de travail et manquement au Code.

[29] L’employeur indique que sa participation au BACF est volontaire et qu’il ne revient pas au Conseil d’évaluer la décision de l’un ou l’autre des membres du BACF d’accepter ou non de renouveler le mandat d’un arbitre. Il affirme avoir fait ce que le PE lui permettait de faire, comme à tout autre membre du BACF – à savoir accepter ou rejeter le choix d’un arbitre –, et que sa décision se fondait sur une raison opérationnelle.

[30] L’employeur souligne que le Comité avait discuté du remplacement de Me Picher et avait entrepris des travaux pour trouver d’autres arbitres en 2012 et en 2013.

[31] Il affirme que le BACF a été créé au moyen d’une entente privée conclue au sein d’un groupe de participants, mais qu’il ne s’agit pas du seul mécanisme d’arbitrage définitif des griefs mis en place conformément au Code. Pour appuyer cette affirmation, il donne des exemples de situations où d’autres agents négociateurs ont eu recours à une procédure d’arbitrage ponctuelle différente de celle du BACF.

[32] M. Becker, vice‑président adjoint, Relations du travail, à CP Rail et représentant de l’employeur au sein du Comité du BACF, a fait part dans son témoignage des raisons pour lesquelles il a retiré son appui au renouvellement du mandat de Me Picher en juillet 2014. Il a indiqué que, en mars 2014, il avait d’abord appuyé le renouvellement du mandat de Me Picher en fonction d’une augmentation d’honoraires de 2 %, et qu’il a retiré son appui lorsqu’on a demandé au Comité d’approuver une augmentation d’honoraires de 3 %. En contre‑interrogatoire, M. Becker a ensuite indiqué qu’il en était venu à la conclusion qu’il avait perdu confiance en l’arbitre à cause de certaines décisions, même si quelques‑unes des décisions invoquées favorisaient en réalité l’employeur. Il a aussi témoigné qu’il ne savait pas qu’il était possible de discuter de tout problème lié à la procédure ou d’autres préoccupations avec les membres du Comité du BACF pour que des changements soient apportés ou que des directives soient données aux arbitres. M. Becker a témoigné que, à la suite de la décision de ne pas renouveler le mandat de Me Picher, il s’est concentré sur la recherche de nouvelles solutions pour traiter les griefs.

[33] CP Rail conteste le fait qu’elle doive fournir des raisons pour justifier sa décision de ne pas appuyer le renouvellement du mandat d’un arbitre puisque jamais les autres signataires du PE n’ont eu à se justifier de ne pas vouloir offrir un contrat à un arbitre ou renouveler un mandat existant.

[34] M. Douglas Fisher, directeur des relations du travail et de la stratégie au CN, est le représentant du CN au sein du Comité depuis 2000. Témoignant pour l’employeur, il a expliqué la procédure suivie pour renouveler le mandat des arbitres ou pour trouver de nouveaux arbitres. Son expérience de longue date au sein du BACF lui a permis de fournir un compte rendu détaillé de la façon dont le Comité prend ses décisions concernant le renouvellement des liens contractuels avec les arbitres. Il a témoigné que les décisions relatives à la sélection de nouveaux arbitres ou au renouvellement des mandats ont toujours été prises par consensus, et que jamais un membre du Comité n’a eu à justifier une décision concernant la nomination d’un arbitre ou le renouvellement d’un mandat.

[35] Dans son témoignage, M. Fisher a mentionné que les membres du Comité ont discuté de la question touchant l’augmentation des honoraires des arbitres Picher et Schmidt, et qu’ils ont convenu de proposer une augmentation de 2 % afin de freiner les dépenses. Il a précisé que M. Kennedy a été désigné pour représenter le Comité et négocier les modalités particulières du renouvellement des mandats de Me Picher et Me Schmidt. Selon M. Fisher, M. Kennedy n’a pas parlé aux deux arbitres avant le mois de juillet 2014.

[36] De l’avis de M. Fisher, n’importe quel membre du BACF était libre de ne pas appuyer le renouvellement du mandat de Me Picher. Il a toutefois précisé dans son témoignage qu’il avait téléphoné à M. Becker pour discuter des conséquences de la décision de ce dernier, compte tenu du moment où elle avait été prise, et pour bien lui faire comprendre que, à son avis, sa décision plaçait tous les membres du BACF dans une position difficile parce qu’elle les laisserait sans arbitre et qu’elle créerait des vides dans le calendrier d’arbitrage en raison de la date d’expiration du contrat.

[37] Dans son témoignage, M. Fisher a aussi souligné les efforts déployés par les parties pour trouver d’autres arbitres et a précisé qu’aucun des arbitres disponibles pour les dates de septembre n’a été retenu par consensus. Il a affirmé que ce n’est qu’après que le Conseil eut rendu sa décision concernant la demande d’ordonnance provisoire le 23 septembre 2014 que d’autres arbitres ont été envisagés pour les dates restantes où devait siéger le BACF. Par conséquent, les dates d’arbitrage que le BACF avait prévues en septembre et en décembre 2014 ont été perdues parce que les parties n’arrivaient pas à s’entendre sur le choix d’un arbitre disponible aux dates en question.

[38] L’employeur laisse entendre que le syndicat est en partie responsable des dates d’arbitrage perdues parce qu’il a catégoriquement refusé de collaborer afin de trouver des arbitres remplaçants de juillet à septembre 2014.

[39] M. Fisher a aussi mentionné que des dates d’arbitrage étaient normalement fixées pour au plus 22 affaires par mois et que, en moyenne, 9 ou 10 affaires sont instruites et tranchées. Les autres sont réglées, reportées ou abandonnées. Il a témoigné que, au moment de l’audience, il y avait environ 60 à 70 affaires en attente d’arbitrage au BACF, précisant que le volume le plus élevé d’affaires en attente jamais enregistré par le BACF est de 275 cas, en 1992‑1993.

[40] CP Rail demande au Conseil de conclure qu’aucune entente n’avait été conclue pour nommer Me Picher et, en outre, qu’il n’y a jamais eu d’entente entre Me Picher et les parties en vue du renouvellement de son mandat auprès du BACF. Elle affirme qu’elle ne peut être tenue responsable d’aucune intervention eu égard au droit du syndicat de représenter ses membres, parce que le syndicat a lui‑même quitté les discussions du Comité sur la nomination des arbitres et que, s’il n’a pas réussi à bien représenter ses membres, il en est l’unique responsable.

C. CN

[41] L’intérêt exprimé par le CN à l’égard de la présente instance a trait au PE du BACF et à la préservation de la nature privée de l’entente conclue entre ses signataires. Le CN presse le Conseil de garder à l’esprit que la présente décision aura des répercussions sur toutes les parties au PE, et il soutient qu’il n’appartient pas au Conseil d’intervenir dans les règles de gouvernance que les parties ont elles‑mêmes élaborées et incorporées dans le PE. Il affirme que le BACF n’est pas une création de la loi, mais plutôt une création des parties, et que ce sont donc les parties qui devraient pouvoir décider de la façon de corriger tout problème lié à ses processus. Il rappelle au Conseil que les décisions du Comité sont prises par consensus parce que c’est de cette façon que les parties ont conçu la structure de gouvernance du BACF.

[42] Le CN affirme que le BACF est un énorme avantage pour le système des relations du travail dans le secteur ferroviaire. C’est un mécanisme d’arbitrage simplifié et accéléré dont bénéficient les parties qui acceptent d’être liées par les règles du BACF. Cependant, il affirme que les problèmes qui sont survenus découlent des propres décisions des parties et de la structure qu’elles ont elles‑mêmes choisie. Le CN met le Conseil en garde de ne pas imposer d’exigence qui obligerait les parties à justifier leurs décisions d’accepter ou de rejeter le choix d’un arbitre, puisque cela serait contraire au PE conclu entre les parties et ne favoriserait pas de saines relations du travail. Les parties devraient se préoccuper avant tout de la sélection d’arbitres qui conviennent à tous les signataires plutôt que d’avoir à défendre leurs décisions d’accepter ou de rejeter le choix d’un arbitre en particulier.

[43] Le CN fait valoir que, même si les éléments de preuve présentés par les parties portent principalement sur la question de savoir si une entente avait été conclue en vue de renouveler le mandat de l’arbitre ou si un contrat avait été passé, aucune modalité du PE du BACF n’empêche une partie de retirer son appui à n’importe quel moment, jusqu’à ce que le contrat soit confirmé et conclu avec l’arbitre. Le CN est d’avis que les événements survenus en 2014 ont amené les parties à examiner la procédure, mais qu’il incombe aux parties, non pas au Conseil, de trouver une solution pour la suite.

D. Unifor

[44] Dans ses observations écrites, Unifor affirme qu’il appuie et accepte sans réserve la position de la CFTC. Il n’a présenté aucun élément de preuve ou argument de vive voix à l’audience.

E. Syndicat des Métallos, section locale 1976

[45] De façon similaire, le Syndicat des Métallos, section locale 1976, adopte et appuie pour l’essentiel la position de la CFTC. Il a rappelé les répercussions de la conduite de CP Rail sur la capacité du syndicat de s’acquitter de ses obligations liées à la représentation des employés dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Il n’a présenté aucun élément de preuve à l’audience.

IV. Analyse et décision

[46] Le syndicat allègue qu’il y a eu manquement à l’alinéa 94(1)a) du Code et, plus précisément, que l’employeur est intervenu dans sa représentation des employés de l’unité de négociation. L’alinéa 94(1)a) est libellé comme suit :

94. (1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci.

[47] Ni l’une ni l’autre des parties ne conteste le fait que, dans une plainte fondée sur l’alinéa 94(1)a) du Code, c’est au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve.

[48] Il y a peu de jurisprudence sous le régime du Code portant expressément sur la question de savoir si la protection prévue au paragraphe 94(1) s’applique à la représentation des employés par le syndicat lors de l’arbitrage des griefs. Dans l’affaire ATV New Brunswick Limited (CKCW-TV) (1978), 29 di 23; et [1979] 3 Can LRBR 342 (CCRT no 149), le Conseil a formulé les commentaires suivants au sujet de l’alinéa 94(1)a) :

L’alinéa 184(1)a) [maintenant l’alinéa 94(1)a)] prévoit la formation d’un syndicat, l’administration d’un syndicat et la représentation des employés par un syndicat. À notre point de vue, cette énumération correspond de façon générale aux trois fonctions fondamentales prévues par le Code dont on vise à assurer la protection. Ces fonctions sont les suivantes :

1. La formation d’un syndicat. C’est le stade initial, et elle peut être considérée comme la première étape en vue de négocier collectivement. Le syndicat doit avoir un statut reconnu.

2. L’administration du syndicat. Ici on vise à protéger la personne morale et on englobe des questions comme les élections des officiers, la collecte de sommes d’argent, l’engagement de ces sommes à titre de dépenses, les réunions générales des membres, etc., en un mot toutes les questions de nature interne d’un syndicat considéré comme une entreprise. On vise à ce que l’employeur ne contrôle pas le syndicat avec lequel il négociera, pour assurer ainsi que les négociations soient menées à distance.

Dans la présente affaire, le syndicat prétend qu’« administration » comprend aussi l’application d’une convention collective, et que, en conséquence, les tentatives de l’employeur de convaincre un employé de ne pas présenter un grief ou de ne pas assister à une audition quelconque, quand le grief émane du syndicat et fait donc partie de son administration, étaient une ingérence dans l’administration. Nous ne sommes pas d’accord avec cette interprétation. Le mot « administration » à l’alinéa 184(1)a), désigne l’administration du syndicat en tant qu’organisation chargée de négocier collectivement – ce qui n’inclut absolument pas l’application de la convention collective. Le problème peut se présenter sous une autre « facette » quand certains droits du syndicat, qui peuvent être enchâssés dans une convention collective, sont violés par un employeur. Il peut s’agir d’« une ingérence dans l’administration d’un syndicat ». Dans certains cas une telle violation peut constituer une pratique déloyale. C’est la situation qui peut se présenter, par exemple, dans le cas où l’employeur refuserait de remettre au syndicat les cotisations qu’il a prélevées sur les salaires de ses employés comme le prévoit la convention collective. Le syndicat pourrait alors présenter un grief en vertu du contrat, mais pourrait aussi déposer une plainte de pratique déloyale de travail à l’encontre de l’employeur s’il prouve : 1) que les cotisations syndicales sont essentielles à son administration; 2) que l’employeur témoigne d’un « animus » anti‑syndical.

Cette question n’est pas d’actualité dans l’instance et nous ne la commenterons pas plus avant. Cette affaire nous aura servi d’exemple pour illustrer nos vues sur l’interprétation générale à donner à l’alinéa 184(1)a) sous le rapport de l’ingérence dans l’administration d’un syndicat.

3. La représentation des employés par un syndicat. Nous sommes d’avis que la « représentation » dont il s’agit ici se rapporte principalement à celle résultant de la négociation collective. L’objectif principal de l’alinéa 184(1)a) est de protéger les droits de négociation de l’agent négociateur pour négocier collectivement. C’est à cause de cet alinéa que l’employeur ne peut négocier des conditions de travail directement avec ses employés, collectivement ou individuellement, sans la permission du syndicat. C’est un corollaire nécessaire qui protège les droits donnés au syndicat par le paragraphe 136(1) du Code.

(pages 28-29; et 346-347)

[49] Dans Société canadienne des postes (1985), 63 di 136 (CCRT no 544), le Conseil a examiné un certain nombre d’affaires portant sur l’alinéa 184(1)a) (maintenant l’alinéa 94(1)a)) et a avancé que la protection contre l’intervention de l’employeur s’applique à tous les aspects des fonctions et des responsabilités du syndicat :

Ces décisions illustrent à quel point l’alinéa 184(1)a) est un corollaire nécessaire au droit fondamental d’un employé d’adhérer à un syndicat. Il protège non seulement l’exercice du droit de l’employé d’être représenté mais aussi celui de son syndicat de faire son travail et de le représenter sans entraves de la part de l’employeur. Le droit à la représentation constitue en outre une obligation statutaire du syndicat en vertu de l’article 136.1 [maintenant 37]. Nous reproduisons le texte tel qu’il se lisait au moment du dépôt de cette plainte et également tel qu’il se lit maintenant :

« 136.1 Lorsqu’un syndicat est accrédité à titre d’agent négociateur d’une unité de négociation, il doit, de même que ses représentants, représenter tous les employés de l’unité de négociation de façon juste et sans discrimination.

(c’est nous qui soulignons) »

Depuis juillet 1984, ce texte se lit :

« 136.1 Le syndicat ou ses représentants ayant fonction d’agent négociateur d’une unité de négociation ne peuvent pas agir de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi envers quelque employé de l’unité quant à leurs droits dans le cadre de la convention collective qui leur est applicable ».

Le texte de l’article 136.1 ancien et présent, et celui de l’alinéa 184(1)a) emploient les mots « représenter » ou « représentation ». Il doit bien s’agir là de cette même représentation dans laquelle l’employeur ne doit pas s’ingérer.

(page 156)

[50] L’alinéa 94(1)a) du Code comporte deux objectifs : protéger le droit d’association fondamental que garantit l’article 8 du Code; et protéger le rôle exclusif du syndicat pour ce qui est de représenter les employés de l’unité de négociation. L’analyse du Conseil dans Société canadienne des postes, précitée, révèle que le type de représentation que protège l’alinéa 94(1)a) est vaste :

... Cette protection est en fait à l’image des multiples facettes, sans cesse en évolution, que peut prendre cette « liberté(s) fondamentale(s) » (pour citer le titre qui coiffe l’article 110 du Code) que constitue le droit de se syndiquer. L’alinéa 184(1)a) interdit aussi bien les atteintes volontaires qu’involontaires à ce droit. Sa protection vise à la fois les gestes qui cherchent à miner le statut de l’agent négociateur et ceux qui en ont tout simplement l’effet. Elle s’étend aussi à ceux dont l’impact porte atteinte à l’intégrité de l’unité de négociation que représente le syndicat. Cette protection persiste enfin aussi bien en l’absence qu’en présence d’une convention collective. De tout cela découle le caractère, qualifié plus tôt d’« omnibus », de la protection de l’alinéa 184(1)a)…

(page 160)

[51] Il ressort clairement de l’examen de ces affaires que la protection prévue à l’alinéa 94(1)a) du Code vise principalement à garantir que les droits des employés qui choisissent d’être représentés collectivement puissent être exercés librement et sans intervention, et à garantir qu’il ne soit pas porté atteinte au statut légitime du syndicat dans son rôle d’agent négociateur exclusif des employés de l’unité. Voir Banque canadienne impériale de Commerce (succursales North Hills et Victoria Hills) (1979), 34 di 651; [1979] 1 Can LRBR 266; et 80 CLLC 16,001(CCRT n° 173).

[52] De façon générale, on considère que le droit de représentation exclusif de l’agent négociateur englobe le droit de négocier les modalités d’emploi des employés de l’unité de négociation qu’il représente et d’interdire aux employeurs de négocier d’autres modalités directement avec les employés. Cependant, le Conseil a conclu que le mot « représentation » ne doit pas être interprété de manière restrictive (Société canadienne des postes (1987), 71 di 215; et 87 CLLC 16,060 (CCRT n° 654)).

[53] L’autre aspect de la protection prévue à l’alinéa 94(1)a) concerne le fait que l’employeur ne doit pas intervenir dans la représentation légitime des employés par le syndicat. La conclusion quant à la question de savoir si la conduite de l’employeur constitue une intervention illégale repose sur des faits, qui varient selon la nature de chaque affaire. Selon la jurisprudence du Conseil, il est clair que celui‑ci juge généralement qu’il y a eu intervention lorsque la conduite de l’employeur a pour effet de porter atteinte au statut du syndicat ou de compromettre l’intégrité de l’unité de négociation (Société Radio-Canada (1991), 85 di 27; et 15 CLRBR (2d) 154 (CCRT n° 865)).

[54] Dans Société canadienne des postes, précitée, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) a conclu que l’employeur était intervenu dans la représentation du syndicat, contrevenant ainsi au Code, en privant les employés du droit d’être aidés par un représentant syndical. Le CCRT n’a toutefois pas tranché en faveur du syndicat quant à son allégation selon laquelle l’employeur avait enfreint l’alinéa 94(1)a) (alors l’alinéa 184(1)a)) en ne consultant pas le syndicat avant de créer de « nouveaux » postes non syndiqués, pour lesquels l’employeur a embauché les employés qui faisaient ce travail au sein de l’unité de négociation sous une classification différente. En ce qui concerne le type de changement apporté par l’employeur qui constituerait une intervention dans la représentation des employés de l’unité de négociation par le syndicat, le CCRT a précisé ce qui suit :

De quels changements peut‑on parler en pareils cas?

Une réponse empirique s’impose. Sans prétendre à une réponse exhaustive ni définitive, chaque espèce devant être traitée individuellement, on peut penser qu’une décision susceptible d’avoir un impact radical et substantiel à l’égard des membres d’une unité de négociation ou de leur agent négociateur tomberait dans cette catégorie. Bref, on ne parle pas ici d’affaires courantes, ni de changements cosmétiques. Tout comme la fermeture d’une entreprise, la relocalisation d’une usine, l’attribution à des tiers de contrats pour du travail exécuté par les syndiqués pourraient, selon les circonstances, appartenir à ce groupe. Nous en pensons autant d’une modification apportée à l’organisation d’une entreprise entraînant l’abolition globale et définitive d’un nombre important de postes au sein d’une unité de négociation surtout si on l’assortit de la création parallèle de nouveaux postes hors de l’unité.

En l’espèce, il s’agit d’une initiative patronale susceptible d’entraîner des effets radicaux pour l’agent négociateur qui se voit privé du quart de ses effectifs. En effet, l’unité de négociation regroupe environ 200 employés et elle se trouve, d’un coup, vidée de cinquante employés. Effets radicaux aussi pour ces derniers, qui se voient menaçés de perdre certaines conditions de travail négociées, en outre d’être désormais considérés comme exclus de toute unité. Finalement, ils seront privés par le fait même du droit fondamental à la représentation...

(pages 162-163)

[55] Dans TELUS Communications inc., 2003 CCRI 222, on a demandé au Conseil de se prononcer sur la question de savoir si la mise en œuvre unilatérale par l’employeur de nouveaux paramètres liés à la mesure du rendement constituait une intervention dans la représentation des employés de l’unité de négociation par le syndicat. En concluant que l’alinéa 94(1)a) n’avait pas été enfreint, le Conseil a formulé les commentaires suivants concernant l’incidence de la conduite d’un employeur sur sa conclusion :

[67] Enfin, le syndicat a allégué que le caractère déraisonnable des attentes et des normes prévues dans les lettres d’attentes et dans le PPP démontrait qu’elles étaient abusives. Bien que l’employeur soit libre d’établir des attentes déraisonnables, leur mise en application risque de lui créer des difficultés sous le régime de la convention collective et devant le Conseil ou un arbitre. Toutefois, l’établissement de normes déraisonnables ne constitue pas un manquement à la capacité d’un syndicat de représenter ses membres conformément à l’alinéa 94(1)a).

[68] En résumé, le Conseil ne voit aucune preuve que le programme de gestion du rendement révisé que TELUS a mis en œuvre unilatéralement pourrait être considéré comme ayant un « impact radical et substantiel à l’égard des membres d’une unité de négociation ou de leur agent négociateur ». Il faut se rappeler que, bien que le PPP révisé puisse susciter une certaine anxiété chez les employés et le syndicat, il n’appartient pas à la catégorie que le Conseil a établie précédemment dans l’affaire Société Radio-Canada (825), précitée...

[56] Il va sans dire que le Conseil s’attend à ce que la représentation par un syndicat accrédité des employés de l’unité de négociation réponde à des normes élevées. Compte tenu de l’accréditation et de la formule Rand, le syndicat est légalement tenu, aux termes de l’article 37 du Code, de représenter tous les employés de l’unité également et d’une manière qui ne soit ni arbitraire ou discriminatoire, ni empreinte de mauvaise foi. Le rôle que joue le syndicat dans la représentation d’employés à l’arbitrage est un devoir important, qu’il doit remplir en tant que représentant exclusif des employés de l’unité de négociation. Comme ils bénéficient de la représentation syndicale, les employés n’ont pas le droit individuel de présenter des griefs ou de demander une autre représentation durant la procédure de règlement des griefs.

[57] Étant donné que la jurisprudence du Conseil va dans le sens d’une interprétation libérale de ce qui constituera la représentation par un syndicat, au sens de l’alinéa 94(1)a), le Conseil est disposé en l’espèce à accepter que la représentation du syndicat puisse englober la représentation des employés dans le cadre de la procédure d’arbitrage. Cela ne signifie toutefois pas que le syndicat doit représenter les employés durant la procédure d’arbitrage. Il ressort clairement de la jurisprudence du Conseil concernant l’article 37 que ces décisions relèvent exclusivement de la compétence du syndicat, pour autant qu’elles ne soient pas prises de manière arbitraire ou discriminatoire, ou empreintes de mauvaise foi.

[58] En l’espèce, la question que doit trancher le Conseil est donc de savoir si, par sa conduite, l’employeur est effectivement intervenu dans la capacité du syndicat de représenter les employés à l’arbitrage ou a porté atteinte au statut du syndicat à titre d’agent négociateur exclusif de ces employés.

[59] Le syndicat a invité le Conseil à conclure que la décision de l’employeur de ne pas renouveler le mandat de l’arbitre Picher a affecté directement sa capacité de représenter les employés dans le cadre de la procédure d’arbitrage, parce que cette décision était une attaque directe contre un système qui revêt une importance cruciale en ce qui a trait à la capacité du syndicat de résoudre les griefs rapidement. De l’avis du syndicat, il s’agit là d’un manquement à l’alinéa 94(1)a) du Code. Le syndicat soutient que les membres du Comité s’étaient entendus par consensus pour renouveler le mandat de l’arbitre Picher et que, en décidant aussi tard dans le processus de retirer son accord, l’employeur a laissé les parties sans arbitre, ce qui a entraîné l’annulation des dates d’arbitrage prévues en septembre.

[60] Devant le Conseil, M. Finnson a témoigné qu’un nombre élevé de griefs avaient été présentés et que la décision récente de l’employeur de ne plus accorder de prolongations de délais ferait en sorte qu’un grand nombre de ces griefs seraient renvoyés au BACF aux fins d’arbitrage. Cependant, aucun élément de preuve n’a été présenté au Conseil pour démontrer que cela se produisait bel et bien. M. Finnson a aussi témoigné que, au moment de l’audience, trois arbitres instruisaient les affaires renvoyées au BACF.

[61] Le syndicat a fourni des données semblant indiquer que les affaires de licenciement à CP Rail constituaient une forte proportion de la charge de travail du BACF, et qu’il serait en conséquence difficile de faire instruire d’autres types d’affaires, mais aucun élément de preuve ne permet de croire que, dans l’ensemble, le nombre d’affaires présentées au BACF avait augmenté de façon marquée au moment de l’audience. Le syndicat souligne que ses membres sont furieux contre l’employeur, et contre le syndicat lui‑même parce qu’il ne fait pas avancer les griefs assez rapidement. Or, aucun élément de preuve direct n’a été fourni pour étayer cette affirmation.

[62] Le BACF a été créé, lorsque les parties se sont entendues sur le PE, pour répondre à l’exigence prévue à l’article 57 du Code, soit celle de disposer d’un mécanisme de règlement définitif et exécutoire des différends qui surviennent pendant la durée des conventions collectives. Cependant, au‑delà de cette exigence, le Code ne prescrit ou ne garantit pas de forme ou de modèle d’arbitrage en particulier. En outre, il n’impose pas de délai précis pour l’arbitrage des griefs. Le Code prévoit cependant que, si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la nomination d’un arbitre, le ministre du Travail, et non le Conseil, peut choisir et nommer des arbitres de grief.

[63] Le Conseil admet que la décision prise par CP Rail en juillet 2014 de ne plus appuyer le renouvellement du mandat de l’arbitre Picher a entraîné la dissolution du consensus au sein du Comité à propos de ce renouvellement. Le Conseil admet aussi que cette décision a entraîné une modification de la répartition des tâches d’arbitrage au BACF ainsi que du calendrier des séances. Cependant, le Conseil souligne aussi le fait que, pendant une certaine période, lorsque le Comité examinait des solutions de rechange, le syndicat a refusé que les services de n’importe quel autre arbitre soient retenus. Le Conseil accepte que le syndicat s’est opposé à dix propositions d’arbitre, et qu’il a affirmé avec insistance qu’une entente avait été conclue en vue du renouvellement du mandat de Me Picher et que cette entente devait être exécutée. Tout cela a entraîné la perte de journées d’arbitrage en septembre et en décembre 2014.

[64] Le syndicat a affirmé que la perte de l’arbitre Picher entraînerait une accumulation intenable d’affaires non réglées qui viendrait à bout du système du BACF, mais il n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que l’annulation de ces dates a entraîné un arriéré important. Dans son témoignage, M. Finnson a indiqué que, au moment de l’audience, l’arriéré était de 56 affaires. Ce nombre a été confirmé par M. Fisher, qui a évoqué un arriéré de 60 à 70 affaires. M. Fisher a aussi témoigné que l’arriéré le plus élevé avait été enregistré en 1992‑1993, avec 275 dossiers à traiter. En outre, aucun élément de preuve ne démontre que le syndicat n’a pas été en mesure de s’acquitter de ses responsabilités relatives à la représentation des employés.

[65] Le Conseil souligne que, au cours des mois qui ont suivi la décision de l’employeur de ne pas appuyer le renouvellement de l’arbitre en chef du BACF, le syndicat a continué de déployer des efforts en vue de négocier collectivement avec l’employeur, et que les membres de l’unité de négociation ont exercé leur droit de grève le 15 février 2015. Les parties ont ensuite convenu de renvoyer le différend qui les opposait dans le contexte des négociations collectives à une procédure de médiation-arbitrage aux termes de l’article 79 du Code. Le Conseil conclut que le syndicat a en fait continué de représenter avec vigueur les membres de l’unité, et qu’il a été en mesure d’exercer ses droits en vertu du Code. Les membres sont peut‑être irrités par les mesures prises par l’employeur et la position qu’il adopte à l’égard de plusieurs questions, mais il n’en demeure pas moins que le syndicat n’a jamais cessé de représenter les employés de l’unité de négociation en présentant des griefs et en représentant ses membres à l’arbitrage. Le syndicat a aussi représenté ses membres tout au long du processus de négociation collective, et ceux‑ci lui ont donné un mandat clair pour ce qui est de l’exercice de leur droit de grève. Enfin, aucun élément de preuve ne démontre que le non‑renouvellement du mandat de l’arbitre Picher a porté atteinte au statut du syndicat ou à la confiance que les employés ont en lui.

[66] En se fondant sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés, le Conseil n’est tout simplement pas en mesure de conclure que la décision de l’employeur de ne plus appuyer le renouvellement du mandat de l’arbitre Picher, dans le contexte du système du BACF, a eu des répercussions radicales et importantes sur l’aptitude du syndicat à s’acquitter de sa responsabilité en tant que représentant exclusif des membres de l’unité de négociation. Bien que la décision prise sur le tard par l’employeur de ne plus appuyer le renouvellement du mandat de l’arbitre Picher ait plongé dans la consternation tous les signataires du PE eu égard à l’avenir du BACF en tant qu’institution, en plus d’avoir causé une certaine anxiété à la CFTC et à ses membres, le Conseil estime que cette décision ne peut pas être considérée comme une intervention au sens de l’alinéa 94(1)a) du Code.

[67] Qui plus est, le comportement allégué par le syndicat en l’espèce n’est tout simplement pas suffisant pour conclure à un manquement. Il est évident que les relations sont tendues entre les parties. Des allégations semblables ont été formulées dans Air Canada, 2001 CCRI 131, et le Conseil s’est exprimé ainsi, en ce qui concerne le contexte des relations du travail :

[41] Le syndicat a soutenu que les relations de travail entre les parties s’étaient détériorées durant la période qui a précédé le dépôt de la présente plainte. Il se peut que ce soit vrai, mais la détérioration des relations entre l’employeur et le syndicat n’est pas nécessairement un facteur pertinent pour l’application du critère juridique lié à l’ingérence de l’employeur, à moins que, par voie de conséquence, le syndicat soit devenu plus vulnérable à l’ingérence de l’employeur. Le syndicat a affirmé que l’employeur n’était pas digne de confiance; encore une fois, c’est là un argument qui n’est pas nécessairement jugé pertinent. En fait, la question à trancher est celle de savoir si la relation entre le syndicat et les membres s’était à ce point détériorée que les membres ne jugeaient plus le syndicat capable de défendre leurs intérêts dans les négociations avec l’employeur, ou, du moins, ne lui accordaient plus la même confiance. Les éléments de preuve produits dans le cadre de la plainte en instance indiquent que le syndicat a continué d’exercer une influence considérable sur ses membres au cours de la période en litige et que ces derniers n’ont jamais cessé de se tourner vers lui pour obtenir aide et conseils. En dépit de la relation difficile qui existait avec Air Canada, rien n’indique que le SCFP était particulièrement vulnérable à l’ingérence de l’employeur dans la représentation de ses membres.

(c’est nous qui soulignons)

[68] De même, en l’espèce, les relations du travail entre les deux parties sont difficiles, mais le Conseil n’a pas été convaincu que les membres de l’unité ont perdu confiance en leur syndicat ou en sa capacité de les représenter adéquatement dans le cadre de la procédure de règlement des griefs ou du processus de négociation collective.

[69] La plupart seront d’accord pour dire que le BACF joue un rôle essentiel pour la résolution des griefs dans le secteur ferroviaire, et cette instance est au service des parties depuis environ 40 ans. Le modèle fondé sur un bureau d’arbitrage spécialisé commun, qui fournit des services de résolution accélérée des griefs, est reconnu comme innovateur et rentable.

[70] Le moment où CP Rail a décidé de ne plus appuyer le renouvellement du mandat de l’arbitre en chef du BACF, et la désinvolture avec laquelle elle a pris cette décision, n’ont guère aidé à améliorer une relation déjà difficile avec la CFTC. En tant qu’arbitre en chef, Me Picher ne serait pas facile à remplacer, et les conséquences de la conduite de CP Rail étaient prévisibles pour quiconque connaît bien le processus et le secteur ferroviaire.

[71] Bien que les parties aient consacré beaucoup de temps durant l’audience à la présentation d’éléments de preuve liés à diverses discussions et décisions concernant le renouvellement ou le non‑renouvellement du mandat des arbitres du BACF, le Conseil ne peut et ne veut pas intervenir dans la mise en œuvre d’une entente privée qui régit un modèle consensuel établi pour la nomination d’arbitres de grief dans le secteur ferroviaire. Par conséquent, le Conseil ne tranchera pas la question de savoir s’il existait ou non une entente visant à renouveler le mandat de l’arbitre Picher. En outre, le Conseil n’est pas tenu de le faire, puisque la question dont il est saisi en l’espèce a trait à la conduite de l’employeur et qu’il doit déterminer si cette conduite a une incidence sur la capacité du syndicat de représenter les employés de l’unité de négociation.

[72] Le Conseil n’est pas convaincu que la conduite de l’employeur, aussi contestable qu’elle puisse paraître aux yeux du syndicat compte tenu des circonstances, a nui à la capacité du syndicat de présenter des griefs au nom des employés de l’unité de négociation ou de renvoyer ces griefs à l’arbitrage. Bien que le syndicat presse le Conseil de conclure que la conduite et les actions de l’employeur sont assimilables à une pratique déloyale de travail, le syndicat ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer en quoi, par sa conduite, l’employeur a porté atteinte à sa capacité de représenter ses membres, telle que celle‑ci est protégée en vertu de l’alinéa 94(1)a) du Code.

[73] Pour ces motifs, le Conseil rejette la plainte.

[74] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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