Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Parrish & Heimbecker, limitée,

plaignante,

et

Association des employeurs maritimes,

intimée,

et

Association internationale des débardeurs, section locale 1654,

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 30790-C

Référence neutre : 2015 CCRI 786

Le 21 juillet 2015

[Le Conseil a décidé de rendre à nouveau la présente décision, non publiée jusqu’à maintenant, sous la forme de motifs de décision afin de la rendre plus accessible à la communauté des relations du travail.]

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de MAnnie G. Berthiaume, Vice-présidente, et de MM. Daniel Charbonneau et André Lecavalier, Membres.

Procureurs inscrits au dossier

Me Morton G. Mitchnick, pour Parrish & Heimbecker, limitée;

Me John Mastoras, pour l’Association des employeurs maritimes;

Me Ronald A. Pink, c.r., pour l’Association internationale des débardeurs, section locale 1654.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Annie G. Berthiaume, Vice-présidente.

I. Nature de la plainte

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. En l’espèce, le Conseil est convaincu que les éléments de preuve présentés et les observations écrites détaillées des parties lui suffisent pour trancher l’affaire sans tenir d’audience.

[2] Le Conseil est saisi d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée en vertu du paragraphe 97(1) du Code le 28 novembre 2014 par Parrish & Heimbecker, limitée (P&H ou la plaignante), qui allègue violation du paragraphe 34(6) du Code par l’Association des employeurs maritimes (l’AEM ou l’intimée). P&H allègue que l’AEM a manqué à son devoir de représentation juste (DRJ) lorsqu’elle a réglé un grief déposé contre P&H par l’Association internationale des débardeurs, section locale 1654 (la section locale 1654 de l’AID ou le syndicat).

[3] L’AEM est le représentant patronal désigné nommé par le Conseil en vertu de l’article 34 du Code à l’égard de tous les employeurs dans le secteur du débardage faisant affaire au port de Hamilton.

[4] La section locale 1654 de l’AID est l’agent négociateur accrédité de tous les employés des employeurs du secteur du débardage au port de Hamilton, conformément à l’ordonnance rendue par le Conseil le 8 mars 1991 et confirmée dans l’ordonnance du Conseil no 5893-U (l’ordonnance d’accréditation).

[5] P&H est une société agro-industrielle intégrée dont les activités englobent le commerce du grain, la minoterie, la provenderie, l’agriculture et la production alimentaire et qui possède des terminaux dans plusieurs ports canadiens, dont le port de Hamilton, où elle a commencé à exercer ses activités en 2008.

[6] Dans le grief dont il est question en l’espèce, qui a été présenté le 3 octobre 2011, le syndicat affirmait que P&H avait enfreint la convention collective en faisant appel à son propre personnel permanent plutôt qu’à des membres de la section locale 1654 de l’AID pour effectuer des activités de débardage au terminal du port de Hamilton. Les activités en question concernaient le chargement du grain à bord de navires au terminal de P&H. P&H a nié avoir enfreint la convention collective et a contesté l’affirmation selon laquelle le travail en question constituait des tâches de débardage visées par la convention collective conclue entre le syndicat et l’AEM. L’AEM est également d’avis que le travail en question constituait des activités de débardage.

[7] Les allégations formulées par P&H dans sa plainte ont trait principalement au fait que, à la suite de la décision sommaire rendue par le Conseil le 28 août 2014 à l’égard d’un renvoi fondé sur l’article 65 du Code (le renvoi fondé sur l’article 65) entre les mêmes parties, et parce que certaines questions soulevées dans le grief n’étaient pas réglées, l’AEM a décidé de régler ledit grief par voie d’une entente de règlement intervenue entre elle et le syndicat le 12 septembre 2014. P&H avance que l’entente du 12 septembre 2014 a été conclue à la hâte, sans son consentement, et que l’AEM a fait fi de son opposition, prenant le parti de la section locale 1654 de l’AID. Plus précisément, P&H soutient qu’elle ne souscrivait pas au règlement proposé, car elle ne pouvait pas évaluer sa position par rapport au litige sans avoir pris connaissance des motifs détaillés de la décision du Conseil à propos du renvoi fondé sur l’article 65. P&H affirme que l’AEM l’a privée d’une audience qui lui aurait permis d’exposer l’ensemble des arguments qu’elle souhaitait invoquer pour sa défense quant au bien‑fondé du grief.

[8] La question que le Conseil doit trancher est de savoir si l’AEM a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi envers P&H lorsqu’elle a traité le grief et lorsqu’elle l’a réglé le 12 septembre 2014.

[9] P&H demande au Conseil de conclure que l’AEM a manqué à son DRJ en réglant le grief malgré l’opposition de P&H. Ainsi, P&H demande au Conseil d’annuler l’entente conclue entre l’AEM et le syndicat et d’ordonner que le grief fasse l’objet d’une audience en consultation avec la plaignante. Enfin, P&H demande d’être autorisée à présenter ses divers arguments à l’arbitrage et à être représentée par un procureur de son choix.

II. Les faits non contestés

A.  Le grief et le renvoi fondé sur l’article 65

[10] Une ordonnance d’accréditation par région géographique visant les employeurs du secteur du débardage était en vigueur dans le port de Hamilton en vertu de l’article 34 du Code. Pendant toutes les périodes pertinentes, une convention collective couvrant la période allant de 2010 à 2017 (la convention collective) était en vigueur entre le syndicat et l’AEM. Selon les articles 1.02 et 2.03 de la convention collective, les activités de débardage sont réservées aux membres de la section locale 1654 de l’AID.

[11] P&H exerce des activités au port de Hamilton depuis 2008. Ces activités comprennent, entre autres, le chargement du grain à bord des navires. Au départ, P&H utilisait un hangar loué à l’Autorité portuaire de Hamilton. En 2011, elle a commencé à exploiter un terminal nouvellement construit au quai 10 du port de Hamilton. P&H dispose de son propre personnel au sol, mais fait également appel, au besoin, à une entreprise d’arrimage qui doit, selon la convention collective, lui prêter assistance à son terminal.

[12] À la suite d’un incident où la section locale 1654 de l’AID a cru que P&H avait eu recours à son propre personnel pour effectuer des activités de débardage, en novembre 2009 ou vers cette période, la section locale 1654 de l’AID a présenté une demande visant à ce que P&H soit ajoutée à la liste des employeurs couverts par l’ordonnance d’accréditation par région géographique en vigueur au port de Hamilton. Cette demande a été réglée au moyen d’un protocole d’entente (PE) conclu entre P&H, la section locale 1654 de l’AID et l’AEM le 10 août 2010. Le 31 août 2010, le Conseil a rendu l’ordonnance no 615-NB (dossier du Conseil no 27820-C), laquelle intégrait le PE en tant que règlement définitif et complet de la demande de la section locale 1654 de l’AID visant à ajouter P&H en tant qu’employeur lié par l’ordonnance d’accréditation par région géographique.

[13] Dans le PE et l’ordonnance no 615-NB, P&H a reconnu qu’elle était un employeur lié par l’ordonnance d’accréditation par région géographique en vigueur au port de Hamilton et a consenti à respecter la convention collective, à moins qu’elle ne passe un contrat concernant des activités de débardage avec une entreprise d’arrimage déjà visée par la convention collective. De plus, conformément au deuxième paragraphe du PE, les dispositions de la convention collective relatives aux besoins en main‑d’oeuvre applicables au concurrent de P&H, James Richardson International (Richardson), s’appliquaient également à P&H, dans la mesure où les activités de débardage de P&H étaient « fonctionnellement comparables et conformes en tout point » (traduction) aux activités menées au terminal de Richardson. Plus précisément, selon l’article 13 de la convention collective, quand Richardson effectue le chargement de grain à bord de navires à ses quais de Hamilton, les exigences relatives aux besoins en main‑d’oeuvre concernent uniquement le personnel à bord du navire, soit trois membres du syndicat, y compris le chef des travaux. Une exception prévoit qu’il n’est pas nécessaire que ce soit des membres du syndicat qui conduisent les « chargeuses » de l’entreprise qui se trouvent sur les quais, c’est‑à‑dire dans les terminaux de l’entreprise (l’exception Richardson).

[14] Jusqu’à la date de présentation du grief, P&H faisait appel à une entreprise d’arrimage pour ses activités de débardage; or, elle a eu recours à l’un de ses chauffeurs de chargeuse frontale pour aider au chargement des navires à son terminal. P&H est d’avis qu’elle n’était pas tenue d’embaucher un membre de la section locale 1654 de l’AID, étant donné que les travaux en question étaient des travaux « au sol » comparables à ceux de Richardson et n’étaient donc pas considérés comme des activités de débardage visées par la convention collective applicable.

[15] La section locale 1654 de l’AID n’était pas de cet avis et, le 3 octobre 2011, le syndicat a présenté un grief, affirmant que P&H avait enfreint les articles 1.02 et 2.03 de la convention collective, notamment en effectuant des travaux de débardage dans le port de Hamilton sans faire appel à de la main‑d’oeuvre fournie par la section locale 1654 de l’AID. À titre de redressement, la section locale 1654 de l’AID a demandé d’être indemnisée de façon rétroactive pour la perte de salaire et d’avantages sociaux, et ce, jusqu’à la date à laquelle P&H a entrepris le travail en cause, pour un montant de 57 000 $. La section locale 1654 de l’AID a également demandé une ordonnance exigeant que P&H respecte la convention collective et le PE en employant des membres de la section locale 1654 de l’AID en tant qu’opérateurs de chargeuses (le grief concernant les opérateurs de chargeuses frontales).

[16] L’AEM était également d’avis que le travail en cause, réalisé par un opérateur de chargeuse, était directement lié au chargement des navires et était donc considéré comme une activité de débardage. Dans des lettres datées du 25 janvier et du 27 mars 2012, M. Joe Walsh, représentant en relations du travail pour l’AEM, a demandé que P&H verse les salaires et les avantages sociaux dus au syndicat.

[17] Dans une lettre datée du 14 septembre 2012, P&H, en s’appuyant sur l’exception Richardson figurant dans le PE et en rappelant à l’AEM qu’elle avait fait appel à une entreprise d’arrimage liée par la convention collective, a nié avoir enfreint cette convention collective et a maintenu sa position selon laquelle celle-ci ne s’étendait pas au travail d’opérateur de chargeuse frontale en question puisqu’il ne s’agissait pas d’une activité de débardage.

[18] Dans une lettre datée du 5 octobre 2012, l’AEM a répondu à P&H et a résumé la conclusion de son enquête à l’égard du grief. L’AEM a avisé P&H que, comme aucune chargeuse frontale ni aucune autre machine n’étaient utilisées dans le chargement des navires chez Richardson, les opérations de P&H n’étaient pas fonctionnellement comparables à celles de Richardson. L’AEM a de nouveau demandé que P&H verse les salaires et avantages sociaux appropriés à la section locale 1654 de l’AID ou suggère un autre redressement.

[19] Comme les parties n’étaient pas en mesure de s’entendre sur la question, le 13 juin 2013, le syndicat et l’AEM ont chargé l’arbitre Christopher Albertyn d’instruire le litige. Dans un courriel daté du 26 juin 2013, P&H a été avisée que le grief avait été renvoyé à un arbitre. L’audience devait au départ avoir lieu le 28 mars 2014.

[20] De juin au début septembre 2013, les procureurs de l’AEM, de la section locale 1654 de l’AID et de P&H ont discuté de la façon dont l’AEM donnerait suite au grief. Compte tenu de la position de P&H selon laquelle le travail d’opérateur de chargeuse frontale ne constituait pas une activité de débardage visée par la convention collective, l’AEM et P&H ont suggéré que la question soit soumise au Conseil, en vertu de l’article 65 du Code.

[21] Le 17 septembre 2013, P&H, qui n’adhérait pas à la façon dont l’AEM s’acquittait de son mandat en tant que représentant désigné des employeurs, a demandé le consentement de celle‑ci pour se charger elle‑même de l’affaire. Par ailleurs, étant donné que l’AEM n’avait pas encore présenté la demande de renvoi fondé sur l’article 65 au Conseil, P&H a avisé l’AEM qu’elle procèderait au renvoi en question.

[22] Le 27 septembre 2013, le procureur qui représentait l’AEM à ce moment‑là a avisé le procureur de P&H qu’il présenterait une demande de renvoi fondé sur l’article 65, étant donné que l’AEM estimait que la position de la section locale 1654 de l’AID à l’égard du grief était fondée. Toutefois, l’AEM a avisé P&H qu’elle s’en remettait au Conseil pour ce qui est de trancher la question de savoir si la convention collective s’étendait au travail d’opérateur de chargeuse frontale. Le renvoi fondé sur l’article 65 a été présenté le même jour.

[23] L’audience d’arbitrage du grief prévue initialement pour mars 2014 a donc été mise en suspens jusqu’au 17 septembre 2014, en attendant la décision du Conseil relative au renvoi fondé sur l’article 65, lequel a été instruit sur trois jours en mai 2014. P&H a participé à l’audience en tant que partie devant le Conseil, de même que le syndicat et l’AEM.

[24] Avant l’audience d’arbitrage du grief prévue pour septembre 2014, le 28 août 2014, le Conseil a rendu une décision sommaire énonçant sa conclusion selon laquelle P&H était une partie liée par la convention collective en vigueur entre l’AEM et le syndicat dans le port de Hamilton pour le travail en cause. La décision rendue par le Conseil le 28 août 2014 a été suivie de motifs datés du 18 septembre 2014.

B. La décision sommaire du Conseil et le renvoi fondé sur l’article 65

[25] Dans le renvoi fondé sur l’article 65, l’AEM a décrit la question à trancher comme un conflit de compétence entre la section locale 1654 de l’AID et P&H, lequel avait été soulevé dans le grief concernant les opérateurs de chargeuses frontales présenté le 3 octobre 2011. L’AEM a demandé au Conseil de déterminer la portée des activités de débardage, selon son ordonnance d’accréditation par région géographique.

[26] Dans sa réponse au renvoi, présentée le 15 octobre 2013, P&H a reconnu que, avant le grief en cause, elle avait, au moyen de son propre personnel au sol et de celui d’une entreprise d’arrimage, chargé du grain à bord de sept navires. P&H a affirmé que, cependant, tout le grain lui appartenait et qu’elle expédiait celui‑ci dans le cadre de ses activités habituelles d’achat et de vente de grains. S’appuyant sur la décision Rideau Bulk Terminal inc., 2011 CCRI 608 du Conseil, P&H a soutenu que, en tant qu’employeur qui envoie ou reçoit des produits pour son propre compte, le travail en cause n’était donc pas visé par l’ordonnance d’accréditation par région géographique.

[27] Dans sa décision sommaire du 28 août 2014, le Conseil a résumé la question à trancher dans le renvoi fondé sur l’article 65 en indiquant que celle‑ci consiste à « savoir si P&H est l’une des parties liées par la convention collective ». Le Conseil a conclu à l’unanimité que, aux termes du PE, P&H était un employeur lié par la convention collective et que, par conséquent, « P&H ne peut plus invoquer l’exception touchant le “travail effectué par ses propres employés relativement à ses propres produits” ».

C. L’entente de règlement

[28] Après avoir reçu la décision sommaire du Conseil, M. Walsh, dans un courriel daté du 2 septembre 2014 destiné à M. Rob Bryson, vice‑président de P&H, a remis en question la nécessité de l’audience d’arbitrage. Il a également demandé de discuter des différentes options de règlement. À la suite d’autres échanges entre l’AEM, P&H et la section locale 1654 de l’AID, le syndicat et l’AEM ont convenu de régler le grief pour une somme de 12 000 $. Les modalités du règlement ont été exécutées le 7 octobre 2014.

D. L’entente postérieure au règlement

[29] Le 4 novembre 2014, l’AEM a envoyé à P&H une facture de 12 000 $, soit le montant de l’entente de règlement conclue le 12 septembre 2014.

[30] Le Conseil a rendu ses motifs détaillés dans une décision datée du 18 décembre 2014 (Parrish & Heimbecker, limitée, 2014 CCRI LD 3337). Dans ses motifs, le Conseil a conclu que P&H était une partie liée par la convention collective en vigueur entre l’AEM et la section locale 1654 de l’AID, suivant la même analyse que dans la décision sommaire du 28 août 2014.

[31] P&H n’a pas demandé le réexamen de la décision sommaire du 28 août 2014 ni des motifs de cette décision rendus le 18 décembre 2014. P&H a tenté d’obtenir un contrôle judiciaire de la décision du 18 décembre 2014 et a déposé une requête auprès de la Cour d’appel fédérale afin que soit prorogé le délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire; cette demande a été rejetée le 10 mars 2015.

[32] Le 28 novembre 2014, P&H a déposé la présente plainte auprès du Conseil.

III. Position des parties

[33] Le Conseil ne passera pas en revue toutes les observations écrites des parties ni toute la jurisprudence, étant donné que celles‑ci ne sont pas entièrement pertinentes par rapport à cette plainte de manquement au DRJ. Ce qui suit est donc un résumé des principaux arguments relatifs à la question que le Conseil doit trancher, à savoir : l’AEM a-t-elle agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi envers P&H lorsqu’elle a traité le grief, a accepté l’entente de la section locale 1654 de l’AID intervenue le 12 septembre 2014 et a décidé de ne pas renvoyer le grief à l’arbitrage?

A. P&H

[34] P&H affirme que l’AEM a manqué à son devoir de représentation juste dès le début de la procédure de règlement des griefs en adoptant la position selon laquelle le grief était valide malgré l’existence du PE et en demandant que P&H verse le salaire d’opérateur de chargeuse frontale demandé. En résumé, P&H avance que l’AEM a manqué au DRJ auquel elle était tenue :

      en choisissant un arbitre et en fixant la date initiale d’arbitrage en mars 2014 sans consulter P&H;

      en appuyant fermement, à l’audience relative au renvoi fondé sur l’article 65 devant le Conseil, la position de la section locale 1654 de l’AID selon laquelle le travail en question constituait des activités de débardage et était donc visé par la convention collective;

      en ne vérifiant pas le nombre réel d’heures de travail de l’opérateur de chargeuse frontale afin de valider les dommages‑intérêts demandés par la section locale 1654 de l’AID;

      en n’acceptant pas la position de P&H selon laquelle elle avait besoin des motifs rendus par le Conseil concernant sa décision sommaire du 28 août 2014 pour prendre une décision à propos du grief – ce qui n’était pas déraisonnable dans les circonstances – et en amorçant des discussions en vue d’un règlement malgré l’opposition de P&H;

      en acceptant l’offre de la section locale 1654 de l’AID et en annulant l’audience, même si le procureur de P&H n’était pas disponible, même si P&H avait affirmé qu’il n’était « ni raisonnable ni prudent » (traduction) d’agir de la sorte, et même si l’AEM n’était pas en mesure de valider la somme réclamée par la section locale 1654 de l’AID, laquelle était fondée sur de fausses hypothèses;

      en agissant de manière conjointe avec l’AID et en se conformant à l’échéance artificielle fixée par celle‑ci pour répondre à l’offre même si le procureur de P&H n’était pas disponible;

      en acceptant l’offre de règlement et en annulant l’audience d’arbitrage du grief prévue pour le 17 septembre 2014, empêchant ainsi P&H de présenter les divers arguments qu’elle souhaitait invoquer pour sa défense devant l’arbitre;

      en refusant, à tort, de réexaminer la position de P&H concernant le règlement et en réitérant le règlement et son attente selon laquelle le montant convenu serait la responsabilité de P&H.

[35] P&H admet que le Conseil reconnaisse au représentant patronal le droit de régler les griefs présentés contre un employeur qu’il représente, dans la mesure où le représentant patronal respecte son obligation de représenter l’employeur de manière juste, comme l’exige le paragraphe 34(6) du Code.

[36] P&H avance que, quand un représentant accrédité ne respecte pas cette obligation, le redressement approprié est d’ordonner que le règlement soit abrogé pour que le bien‑fondé de l’affaire soit examiné dans le cadre du processus d’arbitrage. Par ailleurs, P&H soutient que, quand les intérêts du représentant ne concordent pas avec ceux de la partie qu’il représente, cette dernière a le droit, pour des raisons de justice naturelle, de bénéficier d’une représentation indépendante à l’arbitrage. Enfin, P&H affirme qu’habituellement, dans des circonstances où il y a eu manquement au DRJ, le coût de cette représentation est assumé par le représentant patronal.

[37] P&H demande au Conseil de conclure et de déclarer que l’AEM, en voulant régler ainsi le grief du syndicat, a enfreint le DRJ auquel elle est tenue en vertu du Code, et d’annuler le règlement en conséquence.

[38] En outre, P&H demande au Conseil d’ordonner que le grief soit instruit en consultation avec la plaignante devant l’arbitre actuel, que la plaignante soit pleinement habilitée à présenter ses divers arguments à l’arbitrage, et qu’elle ait le droit d’être représentée par un procureur de son choix.

[39] Enfin, compte tenu des coûts additionnels engagés par P&H dans la procédure actuelle, P&H demande au Conseil d’ordonner à l’AEM d’assumer les coûts liés à sa représentation juridique à l’arbitrage.

B. L’AEM

[40] L’AEM rappelle au Conseil qu’il a toujours conclu qu’il incombe au représentant patronal de trancher des questions telles que celle de savoir si un grief sera renvoyé à l’arbitrage, celle de savoir s’il convient de régler un dossier ou celle de savoir comment défendre une cause donnée, et qu’elle n’a pas besoin du consentement de P&H pour s’acquitter de ses obligations sous ce régime très particulier.

[41] L’AEM soutient que l’examen du processus par lequel elle en est arrivée au règlement du grief – ce dont le Conseil devrait se préoccuper dans le contexte d’une plainte de manquement au DRJ – démontre clairement qu’elle n’a pas agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, que ce soit dans le traitement du grief ou dans son règlement. L’AEM estime s’être acquittée de ses obligations en tant que représentant patronal en menant une enquête sur le grief, en examinant le bien‑fondé de celui‑ci dans toutes les circonstances, y compris celles propres au renvoi fondé sur l’article 65, et en tirant des conclusions réfléchies quant à l’issue possible du grief.

[42] L’AEM affirme que, quand le grief a été présenté, elle a rapidement entrepris une enquête sur les allégations de la section locale 1654 de l’AID, lesquelles ont alors été transmises à P&H pour que celle‑ci ait l’occasion d’y répondre. L’AEM allègue que, malgré l’explication insatisfaisante de P&H, elle a poursuivi son enquête afin de trouver des éléments crédibles à la défense du grief.

[43] L’AEM soutient qu’elle a consulté son procureur et a examiné attentivement le libellé de la convention collective, la jurisprudence pertinente sur le travail en cause, le PE et l’ordonnance no 615-NB du Conseil afin d’établir si le travail d’opérateur de chargeuse frontale en question constituait des activités de débardage réservées aux membres de la section locale 1654 de l’AID.

[44] Bien qu’elle ait eu suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter les arguments de P&H et qu’elle n’ait eu aucune obligation de le faire, étant donné qu’elle avait le pouvoir de traiter le grief, l’AEM a entrepris le renvoi fondé sur l’article 65 afin que P&H bénéficie d’une audience complète et juste devant le Conseil ainsi que de l’occasion d’expliquer au Conseil pourquoi elle estimait que la convention collective ne s’appliquait pas au travail en cause. Par ailleurs, l’AEM avance que le fait qu’elle a effectué un renvoi fondé sur l’article 65 constitue une tentative ouverte et honnête de convaincre P&H que sa position par rapport au grief était raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances.

[45] En outre, l’AEM affirme que P&H n’a pas collaboré avec elle et a négligé de lui fournir les renseignements nécessaires à l’évaluation du grief et au calcul des enjeux pécuniaires qui lui auraient permis d’analyser l’offre. Elle affirme également qu’elle ignorait totalement l’argument de P&H à propos du fait qu’il s’agissait de ses « propres produits » (traduction) avant de lire la réponse de P&H au renvoi fondé sur l’article 65.

[46] L’AEM nie avoir manqué au DRJ auquel elle était tenue, car elle a différé sa décision à propos du bien‑fondé du grief et a attendu d’avoir obtenu suffisamment de faits de P&H et de la section locale 1654 de l’AID pour exercer son pouvoir discrétionnaire de régler le grief; elle a consulté un avocat et a analysé l’application de la convention collective, du PE et de la jurisprudence; elle a évalué les arguments qui pourraient être invoqués à la défense de P&H; de plus, elle a effectué le renvoi fondé sur l’article 65 et a obtenu la décision du Conseil dans laquelle celui‑ci rejetait l’argument de P&H à propos du fait qu’il s’agissait de ses « propres produits » (traduction). L’AEM soutient par ailleurs que ses conclusions ont également été transmises à P&H à de nombreuses occasions et que la plaignante a eu amplement l’occasion, dans ses communications avec l’AEM avant et après le renvoi fondé sur l’article 65, de présenter une réfutation ou de proposer une mesure de redressement à l’égard du grief.

[47] L’AEM fait valoir qu’elle s’est efforcée de consulter P&H, et ce, même si elle n’était pas tenue de demander l’opinion ou le consentement de P&H pour accepter l’offre de règlement de la section locale 1654 de l’AID.

[48] Ainsi, l’AEM soutient que la décision de régler le grief n’a pas été prise de manière arbitraire; elle était plutôt le fruit d’une réflexion éclairée quant au bien‑fondé du grief. L’AEM demande que la plainte de manquement au DRJ déposée par P&H soit rejetée pour motif de manque de preuve. Elle soutient également que la plainte devrait être rejetée, étant donné que P&H n’a pas répondu et n’a pas fourni les renseignements pertinents par rapport à l’objet du grief.

C. Le syndicat

[49] Le syndicat est d’avis que la plaignante a mal interprété le rôle du représentant patronal dans le régime d’accréditation par région géographique prévu au Code. L’AEM exerce tous les pouvoirs d’un employeur au nom de tous les employeurs liés par l’ordonnance d’accréditation pour le port de Hamilton, y compris P&H. Le syndicat rappelle au Conseil que, dans ce régime, les parties à la convention collective sont la section locale 1654 de l’AID et l’AEM. P&H, qui est un employeur individuel, est liée par la convention collective, mais n’y est pas partie. Dans ce régime, l’AEM est le seul représentant patronal avec lequel traite la section locale 1654 de l’AID.

[50] Le syndicat avance que l’AEM était pleinement habilitée à s’occuper du grief au nom de P&H et pouvait donc sélectionner un arbitre, fixer la date de l’audience et faire valoir sa propre interprétation de la convention collective. Il soutient que l’AEM a également le pouvoir de négocier avec le syndicat le règlement de tout grief portant sur une violation de la convention collective.

[51] Le syndicat estime également que, comme P&H n’est pas partie à la convention collective, la plaignante n’avait pas qualité pour participer de manière indépendante au grief concernant les opérateurs de chargeuses frontales. Par conséquent, le syndicat affirme que P&H soutient à tort, dans sa plainte, que l’AEM a empêché que les divers arguments invoqués par P&H pour sa défense soient examinés en bonne et due forme.

[52] Le syndicat allègue par ailleurs que le représentant d’un employeur jouit d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour ce qui est d’établir s’il convient de renvoyer un grief à l’arbitrage, et que celui‑ci n’enfreint pas nécessairement le paragraphe 34(6) en adoptant une interprétation de la convention collective qui diffère de celle d’un employeur qu’il représente.

[53] Le syndicat est d’avis que P&H n’a pas démontré que l’AEM avait agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi en acceptant un règlement de 12 000 $ pour le grief, en dépit de l’opposition de P&H. Le syndicat affirme que le règlement négocié entre l’AEM et le syndicat était juste et raisonnable dans les circonstances, particulièrement étant donné que le syndicat avait présenté des éléments de preuve non contestés établissant des dommages‑intérêts d’un montant de près de 50 000 $ pendant l’audience relative au renvoi fondé sur l’article 65 devant le Conseil.

[54] Qui plus est, la section locale 1654 de l’AID affirme qu’il n’était pas arbitraire, ni de la part de l’AEM ni de celle du syndicat, de se fonder sur la décision sommaire du Conseil plutôt que d’attendre que les motifs détaillés soient rendus. Dans sa décision sommaire, le Conseil a conclu que le travail en cause constituait des activités de débardage qui devaient être effectuées par la section locale 1654 de l’AID. Compte tenu de cette décision, la seule question qu’il restait à trancher dans le grief était le montant des dommages‑intérêts. Le syndicat soutient que le règlement représentait un compromis raisonnable et qu’il n’était pas nécessaire que les parties attendent les motifs juridiques détaillés du Conseil pour régler l’affaire de façon juste.

[55] Le syndicat avance qu’aucun manquement au DRJ auquel était tenue l’AEM n’est allégué dans la plainte et que, étant donné que le fardeau de la preuve revient à la plaignante, la plainte devrait être rejetée, puisque P&H ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

D. La réplique de P&H et la réponse de l’AEM à la réplique

[56] Dans sa réplique, P&H ajoute que rien dans les circonstances, telles qu’elles se présentaient le jour du règlement, ne justifiait que l’AEM accepte le règlement avec le syndicat. Par ailleurs, dans sa réplique, P&H répète plusieurs fois des observations qu’elle avait déjà présentées et formule de nouvelles allégations, que le Conseil ne résumera pas étant donné qu’elles ne sont pas pertinentes par rapport aux questions soulevées dans la présente plainte, ou alors parce qu’elles constituent une réplique non appropriée. Essentiellement, les observations présentées par P&H dans sa réplique sont les suivantes :

      P&H nie ne pas avoir répondu à la demande de l’AEM de lui fournir les renseignements nécessaires au calcul des enjeux financiers.

      P&H affirme que le seul renseignement dont disposait l’AEM pour évaluer la responsabilité potentielle était le montant présenté par la section locale 1654 de l’AID à l’audience sur le renvoi fondé sur l’article 65, lequel avait été calculé à partir du tonnage estimé des marchandises à expédier. De l’avis de P&H, jusqu’à la publication des motifs détaillés du Conseil, il demeurait possible, étant donné son argument selon lequel il s’agissait de ses propres produits, que la responsabilité soit nulle.

      P&H conteste également l’affirmation du syndicat selon laquelle la section locale 1654 de l’AID a présenté des éléments de preuve non contestés concernant les dommages‑intérêts estimés. P&H soutient que, à l’audience sur le renvoi fondé sur l’article 65, elle avait fait valoir qu’une analyse détaillée serait nécessaire afin de déterminer l’utilisation réelle de la chargeuse frontale, ce qui, pour P&H, constituait une question à trancher à l’arbitrage.

      P&H avance qu’elle n’a pas eu l’occasion de répondre à l’offre de règlement de la section locale 1654 de l’AID avant que l’AEM ne l’ait acceptée.

      En réponse à l’affirmation du syndicat selon laquelle, à la suite d’une analyse coûts‑avantages, le règlement constituait un compromis, P&H allègue que l’analyse devrait être différente quand le compromis entraîne une entente qui engage quelqu’un d’autre à assumer les coûts.

      P&H estime qu’en réglant l’affaire de la sorte et en ne lui permettant pas d’évaluer sa position après avoir reçu les motifs détaillés du Conseil relativement au renvoi fondé sur l’article 65, l’AEM ne s’acquittait pas de son devoir d’atténuer la responsabilité potentielle de P&H; elle se dépêchait plutôt à conclure le règlement en collaboration avec la section locale 1654 de l’AID.

      P&H affirme également que le règlement l’a privée de son droit de voir les motifs détaillés du Conseil et de tous les droits qui en découlent.

[57] P&H a aussi fait plusieurs observations à propos des motifs détaillés du Conseil rendus le 18 décembre 2014, prétendument en réplique à la réponse de l’AEM. Cependant, comme les motifs ont été rendus après le dépôt de la présente plainte, le Conseil estime qu’ils ne sont pas pertinents par rapport à la question à trancher et, donc, les observations de P&H à leur sujet ne seront ni résumées ni examinées.

[58] Dans sa réponse à la réplique, l’AEM fait valoir que certains éléments de la réplique de P&H ne constituent pas des observations appropriées dans ce contexte et que le Conseil ne devrait leur accorder aucun poids. Comme le Conseil n’a pas résumé les nouvelles allégations de P&H, il ne résumera pas non plus la réplique supplémentaire de l’AEM à celles‑ci.

[59] Par ailleurs, l’AEM avance que P&H a fourni plusieurs renseignements inexacts dans sa réplique. Entre autres, en ce qui concerne l’évaluation des dommages‑intérêts, l’AEM affirme qu’elle a effectué un calcul numérique fondé sur le nombre d’heures que les travailleurs de la section locale 1654 de l’AID auraient passées à effectuer le travail en cause. L’AEM allègue que P&H n’a jamais contesté l’évaluation de la section locale 1654 de l’AID ni proposé d’autres calculs.

[60] Enfin, l’AEM soutient que P&H et son procureur ont été mis au courant de l’offre de règlement et l’ont commentée avant que l’AEM et la section locale 1654 de l’AID conviennent du règlement.

IV. Analyse et décision

A. Le devoir de représentation juste et le paragraphe 34(6) du Code

[61] Le paragraphe 34(6) du Code est libellé comme suit :

34. (6) Dans l’exécution de ces obligations, il est interdit au représentant patronal ainsi qu’aux personnes qui agissent en son nom d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employeurs qu’il représente.

[62] Étant donné que les plaintes concernant une violation présumée de cette disposition ne sont pas courantes, la jurisprudence du Conseil dans ce domaine est limitée. Le Conseil a récemment formulé des commentaires à ce sujet dans Terminaux Portuaires du Québec inc., 2015 CCRI 765 (Terminaux Portuaires du Québec inc. 765) :

[70] Le devoir de représentation d’une association patronale est une question qui n’a pas souvent été étudiée par le Conseil. Il existe peu de décisions portant sur des plaintes déposées en vertu du paragraphe 34(6) du Code à l’encontre d’un représentant patronal. Cependant, et par analogie, les principes qui prévalent dans le cadre de plaintes déposées en vertu de l’article 37 du Code doivent s’appliquer en l’espèce en faisant bien sûr les ajustements nécessaires. C’est du moins ce qu’a décidé la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Terminaux portuaires du Québec inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 C.F. 459; (1994) 175 N.R. 372; (1994) 29 Admin. L.R. (2d) 189; et (1994) 95 CLLC 210-010 (C.A.F., dossier no A-1584-92).

[71] Dans cette affaire, TPQ, soit le plaignant dans le présent dossier, contestait la désignation de l’AEM comme « représentant patronal ». L’un des arguments soulevés par TPQ était le manque d’intérêts communs entre les employeurs visés. La Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de TPQ et a expliqué les pouvoirs du représentant patronal et ses obligations de la manière suivante :

Si les employeurs ne peuvent s’entendre, le Conseil, selon le paragraphe 34(4) du Code, a le devoir légal de choisir le « représentant patronal ». Celui-ci est alors « assimilé à un employeur », ce qui signifie qu’il est réputé être l’employeur (« shall be deemed to be an employer »). Il est alors investi, en vertu de sa désignation (« by virtue of having been appointed under this section »), des pouvoirs nécessaires afin d’exécuter, au nom des employeurs des employés de l’unité de négociation, toutes les obligations imposées à l’employeur par la partie I du Code dont celle de conclure « en leur nom », c’est-à-dire à leur place et pour leur compte, une convention collective. … Si le législateur n’avait pas eu l’intention d’instaurer un régime statutaire spécial, pourquoi aurait-il, dans son paragraphe 34(6) [mod., idem], imposé au « représentant patronal » un devoir de représentation équitable à l’égard de ceux qu’il engage par sa négociation, alors que le Code civil contient ses propres sanctions à l’égard d’un mandataire qui outrepasse les cadres de son mandat? Pourquoi aurait-il ainsi codifié le Code civil dans le Code canadien du travail? On ne peut qu’être frappé du parallèle qui existe entre le paragraphe 34(6) qui a trait à la partie patronale et l’article 37 qui a trait à la partie syndicale. En l’occurrence, il était tout à fait raisonnable pour le Conseil de conclure que le représentant patronal, réputé employeur, était investi du pouvoir analogue à celui de l’agent négociateur, soit celui de négocier la convention collective.

(pages 473-474; c’est nous qui soulignons)

[72] Dans Terminaux Portuaires du Québec inc., 2008 CCRI 410, une autre décision du Conseil impliquant TPQ et l’AEM, soit les mêmes parties que dans la présente instance, le Conseil a résumé certains principes qui s’appliquent en matière du devoir de représentation juste d’un représentant patronal. Dans cette affaire, le Conseil a conclu que l’AEM n’avait pas contrevenu au paragraphe 34(6) du Code lorsqu’elle a conclu des ententes particulières pour un de ses membres. Le Conseil a rejeté la plainte parce qu’elle avait été déposée à l’extérieur des délais prévus. Néanmoins, il a dit ceci en se prononçant sur le bien-fondé de la plainte :

[39] Cela étant dit, tout comme le syndicat ne doit pas manquer à son devoir de représentation juste envers les employés qu’il représente, le représentant patronal ne doit pas agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employeurs qu’il représente.

[40] Le représentant patronal a le pouvoir de négocier au nom des employeurs qu’il représente et a le droit de décider quelles revendications présenter et quelles stratégies de négociation employer pour promouvoir les intérêts des employeurs. Tout comme un syndicat qui représente ses employés, le représentant patronal n’est pas obligé de tenir compte des désirs de membres particuliers et le fait de ne pas tenir compte des revendications particulières de tous les membres, par exemple en acceptant des conditions jouant au détriment de certains employeurs, ne constitue pas en soi une contravention à l’article 34(6) du Code du moment que ses décisions soient prises rationnellement et du moment que le représentant patronal reconnaisse et tienne compte des intérêts rivaux de tous les employeurs qu’il représente (voir Bugay, 1999 CCRI 45; et Soulière, 2002 CCRI 205 en ce qui concerne le devoir de représentation juste du syndicat).

(caractères gras et italiques ajoutés)

[63] Le DRJ auquel le représentant patronal est tenu est tout aussi semblable à celui auquel un syndicat est tenu dans le contexte du traitement d’un grief. La Cour suprême du Canada (CSC) a établi les principes généraux relatifs au DRJ dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509 (Guilde de la marine marchande du Canada), de la manière suivante :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

(page 527)

[64] De plus, le Conseil joue un rôle très précis au moment d’évaluer une plainte de manquement au DRJ fondée sur l’article 37 du Code. Tel qu’il a été expliqué dans Scott, 2014 CCRI 710 (aux paragraphes 93 et 94), le Conseil ne siège pas en appel d’une décision prise par un syndicat. Il ne s’intéresse qu’à la démarche suivie par le syndicat pour traiter le grief, dont les mesures qu’il a prises pour en arriver à la décision définitive de renvoyer le grief à l’arbitrage ou de le régler. Le Conseil ne se demande pas si cette décision était la bonne.

[65] Le Conseil a déjà expliqué qu’un employé n’a pas le droit de faire renvoyer son grief à l’arbitrage et que la décision de régler un grief revient au syndicat, dans la mesure où celui‑ci se conforme à son DRJ. Le Conseil a souligné ce principe dans Blakely, 2003 CCRI 241 :

[36] Les syndicats ont une très grande marge de manœuvre dans leurs activités. L’article 37 du Code ne donne pas aux membres d’une unité de négociation le droit intrinsèque de faire renvoyer un grief à l’arbitrage. Cette décision est du ressort exclusif de l’agent négociateur, pourvu qu’il la prenne d’une manière qui n’est pas arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Quand le Conseil est saisi d’une plainte contre un syndicat, il se doit de déterminer si celui-ci s’est penché sur la question, l’a étudiée à fond et, en définitive, s’il l’a traitée conformément aux exigences de l’article 37.

[66] Les syndicats disposent d’une marge de manoeuvre considérable pour choisir la meilleure façon de traiter un grief concernant leurs membres. Tel qu’il a été indiqué dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290, le Conseil estime que, dans la mesure où un agent négociateur a fait enquête sur le grief, déterminé si le grief était fondé compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire et tiré des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables, le Conseil n’a aucune raison d’intervenir.

[67] Par analogie, ce principe peut s’appliquer tout autant au représentant d’un employeur dans le contexte de son rôle prévu au paragraphe 34(6) du Code.

[68] À la lumière des allégations de P&H, il est également nécessaire, aux fins de la présente plainte, d’examiner comment le Conseil a défini la conduite arbitraire et la conduite empreinte de mauvaise foi dans le contexte d’une plainte de manquement au DRJ. Dans McRaeJackson, précitée, le Conseil a expliqué qu’on dit d’un syndicat qu’il a agi de manière arbitraire quand il a pris des décisions qui ne sont ni objectives ni raisonnables, a fait siens d’emblée les arguments de l’employeur ou a omis de déterminer si les questions soulevées par ses membres sont fondées en droit ou s’appuient sur des faits. Il a également donné les exemples suivants pour illustrer en quoi consiste une conduite arbitraire :

[30] Il est arbitraire aussi de ne tenir compte que superficiellement des faits ou du bien-fondé d’une affaire, de même que de prendre une décision en faisant fi des intérêts légitimes de l’employé. Ne pas enquêter pour savoir quelles étaient les circonstances entourant le grief est également arbitraire, et ne pas évaluer raisonnablement l’affaire peut équivaloir aussi à une conduite arbitraire du syndicat (voir Nicholas Mikedis (1995), 98 di 72 (CCRT no 1126), appel à la C.A.F. rejeté dans Seafarers’ International Union of Canada c. Nicholas Mikedis et autres, jugement prononcé à l’audience, dossier no A-461-95, 11 janvier 1996 (C.A.F.)). On peut aussi considérer comme arbitraire une attitude non concernée quant aux intérêts de l’employé (voir Vergel Bugay et autres, précitée), de même qu’une négligence grave et un mépris souverain à cet égard (voir William Campbell, [1999] CCRI no 8).

[69] Si la décision de régler le grief est fondée sur un examen rigoureux du bien‑fondé du grief, la démarche ne sera généralement pas considérée comme arbitraire (Lacroix, 2014 CCRI 740, au paragraphe 97, citant Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39; [2001] 2 R.C.S. 207, au paragraphe 50).

[70] Dans Blakely, précitée, le Conseil a décrit la conduite empreinte de mauvaise foi comme ce qui se passe dans des circonstances où un syndicat agit de manière frauduleuse, pour des motifs inacceptables, ou encore par hostilité personnelle ou par vengeance. Citant Rousseau (1995), 98 di 80; et 95 CLLC 220-064 (CCRT no 1127), le Conseil a déclaré ce qui suit :

La « mauvaise foi » désigne un état d’esprit subjectif ou une conduite subjective motivée par de la mauvaise volonté, de l’hostilité, de la malhonnêteté, de la malice, une animosité personnelle, une vengeance politique, un manque d’équité ou d’impartialité, un manque de franchise qui incite à dissimuler des renseignements, une absence manifeste de franchise qui pousse à mentir ou par des motifs sinistres...

[71] Encore une fois, ces notions s’appliquent uniquement par analogie au traitement, par un représentant patronal, de la réponse à un grief.

[72] En gardant à l’esprit qu’il incombe au plaignant de prouver qu’il y a eu manquement au DRJ (Lacroix, précitée, au paragraphe 94), c’est donc à la lumière des principes susmentionnés que le Conseil examinera les observations et les éléments de preuve présentés par les parties pour établir si l’AEM a manqué au DRJ auquel elle était tenue, d’abord quand elle a traité le grief, puis quand elle a décidé de le régler plutôt que de le renvoyer à l’arbitrage. Pour répondre à la première question, le Conseil examinera uniquement la démarche suivie par l’AEM avant de décider de régler le grief.

[73] Il n’est pas contesté qu’une ordonnance d’accréditation par région géographique est en vigueur au port de Hamilton et que l’AEM est le représentant accrédité de l’employeur suivant le paragraphe 34(5) du Code. Ainsi, l’AEM agit au nom de P&H dans tous les échanges avec la section locale 1654 de l’AID à propos de questions visées par la convention collective. Une de ces questions est l’exigence selon laquelle tout employeur qui effectue des travaux de débardage doit faire appel aux membres de la section locale 1654 de l’AID.

[74] Il n’est pas contesté que, quand la section locale 1654 de l’AID a présenté le grief en octobre 2011, affirmant que P&H effectuait des travaux de débardage sans faire appel aux membres de la section locale 1654 de l’AID, il incombait à l’AEM de répondre au grief. Pour ce faire, l’AEM a lancé une enquête. Elle a consulté P&H et a confirmé que le travail d’opérateur de chargeuse frontale avait été effectué par un employé de P&H. Elle a établi que P&H n’avait présenté aucun argument valable pour sa défense et a donc conclu que le grief était fondé.

[75] Malgré cette conclusion préliminaire, l’AEM a ensuite examiné la position de P&H selon laquelle, étant donné l’exception Richardson, elle n’avait commis aucune violation de la convention collective. Le Conseil admet que, une fois que l’AEM a mené une enquête plus approfondie sur la question au cours de l’année suivante, elle a conclu que les activités de P&H n’étaient pas fonctionnellement comparables à celles de Richardson et a confirmé que le travail d’opérateur de chargeuse frontale en cause dans le grief constituait du débardage.

[76] Ainsi, l’AEM a conclu que la position de P&H n’était pas défendable et qu’il était peu probable qu’elle ait gain de cause à l’arbitrage du grief. Comme P&H insistait sur le fait que le travail en cause ne constituait pas du débardage et réitérait son refus de payer le salaire demandé, en septembre 2013 ou autour de ce mois, les deux parties ont fini par convenir qu’un renvoi au Conseil en vertu de l’article 65 pourrait permettre de régler la question; par ailleurs, P&H pourrait être une partie à part entière, ce qui n’aurait pas été le cas à l’arbitrage.

[77] Le Conseil reconnaît que l’AEM a effectué une évaluation rigoureuse du grief, d’abord en menant une enquête dès le début, puis en recevant la position de P&H et en lui faisant part de la sienne, et en examinant avec P&H les arguments pouvant être présentés pour sa défense. En l’espèce, l’AEM a poussé plus loin son enquête et son évaluation et a entrepris la procédure de renvoi fondé sur l’article 65, à laquelle P&H a pleinement participé en tant que partie. Le Conseil conclut qu’aucun élément de preuve ne démontre que l’AEM a manqué à son DRJ au cours de ce processus. Le Conseil accepte que, jusque-là, P&H participait activement à la procédure et que l’AEM a respecté sa position, malgré son désaccord et ses pouvoirs en tant que représentant patronal.

[78] À partir du 28 août 2014, il est devenu évident pour l’AEM que la position de P&H selon laquelle le travail en cause n’était pas visé par la convention collective ne pourrait être défendue à l’arbitrage compte tenu de la décision unanime du Conseil à l’égard du renvoi fondé sur l’article 65.

[79] Le Conseil examinera les événements et les échanges entre les parties qui ont suivi afin d’établir si l’AEM a manqué au DRJ auquel elle était tenue quand elle a décidé de régler le grief.

[80] Le Conseil admet que, une fois qu’elle a eu l’occasion d’examiner la décision sommaire du Conseil, l’AEM a analysé son incidence sur le grief et a communiqué son opinion à P&H par courriel le 2 septembre 2014; elle s’est informée quant à la nécessité de nouvelles procédures et à la possibilité de régler l’affaire. Le même jour, le procureur de P&H a communiqué avec le procureur de la section locale 1654 de l’AID et a demandé que l’audience d’arbitrage du grief soit reportée jusqu’à ce que le Conseil ait rendu ses motifs détaillés à l’égard du renvoi fondé sur l’article 65.

[81] Avant que P&H réponde au courriel envoyé par l’AEM le 2 septembre, cette dernière a reçu du syndicat une offre de règlement le 4 septembre 2014, qu’elle a examinée et transmise à P&H pour connaître son avis au préalable. M. Walsh a écrit le courriel suivant à M. Bryson le 10 septembre 2014 :

Après discussion avec l’AID, celle‑ci est disposée à régler le grief pour 12 000 $. Je ne sais pas si vous aviez évalué le travail, mais je me rappelle que l’AID avait demandé une somme de 57 000 $ à l’audience. Qu’en pensez‑vous?

(traduction)

[82] Selon le dossier, le 11 septembre 2014, le procureur de la section locale 1654 de l’AID a avisé les procureurs de l’AEM et de P&H que le syndicat n’accepterait pas de reporter l’audience du 17 septembre 2014 comme l’avait demandé P&H. Le procureur du syndicat a ajouté que l’offre de la section locale 1654 de l’AID de régler le grief pour la somme de 12 000 $ prendrait fin le 12 septembre 2014 à midi.

[83] Le 12 septembre 2014, peu de temps après l’échéance de l’offre, soit à 12 h 18, le procureur de P&H a répondu au courriel du 10 septembre dans lequel l’AEM demandait l’opinion de P&H. Dans sa réponse, le procureur de P&H a réitéré la demande d’ajournement et a indiqué que, si l’audience n’était pas reportée, P&H présenterait une requête à l’arbitre pour que la procédure soit reportée, pour que la question de la portée du grief soit tranchée et pour que la question du statut de P&H à l’audience soit examinée, si nécessaire. Le courriel indique, en partie, ce qui suit :

Je suis surpris de recevoir la réponse de l’AID sur la question de l’ajournement à ce moment‑ci, mais comme je l’ai indiqué la semaine dernière, P&H ne sera pas en mesure d’évaluer sa position jusqu’à ce que le Conseil ait rendu les motifs détaillés de sa décision « sommaire » quant à la préclusion dans cette affaire. En attendant, P&H est disposé à continuer sa pratique actuelle qui consiste à engager des membres de l’AID pour le chargement des navires, côté navire, du moins jusqu’à ce que la question de l’application du PE de 2010 ait enfin été tranchée, soit parce que P&H aura accepté la conclusion du Conseil à la lumière de ses motifs détaillés à venir, ou parce qu’elle aura demandé à ce que l’affaire fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. Sur ce dernier point, P&H accepte de présenter une demande de contrôle judiciaire dans les trois semaines suivant la réception des motifs détaillés du Conseil, faute de quoi il pourra être considéré qu’elle a renoncé à son droit de demander le contrôle judiciaire de la décision du Conseil.

...

Je n’aurai pas accès à mes courriels pour le reste de la journée et durant la fin de semaine, mais je serai de retour à Toronto tôt lundi matin.

(traduction)

[84] L’AEM a écrit à P&H le 12 septembre 2014 à 14 h 9 afin de tenter encore une fois d’obtenir son point de vue sur le règlement proposé :

Comme vous le savez peut‑être, l’offre de l’AID de régler le grief pour la somme de 12 000 $ prend fin aujourd’hui. Notre avocat nous a recommandé d’accepter l’offre, compte tenu de la « décision sommaire » rendue par le CCRI. Nous n’avons pas besoin du consentement de P&H pour régler l’affaire; cependant, nous aimerions obtenir votre point de vue à cet égard. Nous avons l’intention d’annuler l’audience d’arbitrage prévue pour le 17 septembre.

(traduction)

[85] P&H a répondu à la dernière demande d’opinion de l’AEM à 15 h 37 le 12 septembre 2014 et a avisé l’AEM que P&H n’avait pas encore évalué le caractère raisonnable de l’offre de la section locale 1654 de l’AID ni « aucun autre aspect de la situation » (traduction) et a fait savoir à l’AEM qu’un règlement ne serait ni raisonnable ni prudent dans les circonstances. P&H a également averti l’AEM de ne rien faire qui puisse « nuire aux affaires de P&H » (traduction). À ce moment‑là, l’AEM avait déjà accepté l’offre du syndicat.

[86] Le Conseil juge que ces échanges démontrent que l’AEM a non seulement pris en considération la probabilité que le grief soit accueilli à la lumière de la décision du Conseil, mais a aussi tenu compte des intérêts de P&H dans son processus décisionnel.

[87] Le Conseil poussera maintenant son analyse plus loin et établira s’il existe des éléments de preuve montrant que, au cours des dernières étapes ayant mené au règlement, l’AEM a agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi comme l’affirme P&H.

[88] Le Conseil est d’avis que le fait que l’AEM a accepté le règlement – en dépit des objections de P&H et de l’indisponibilité de son procureur – ne constitue pas, dans les circonstances, de la mauvaise foi, même s’il ne s’agissait peut‑être pas de la meilleure façon de procéder. L’AEM avait clairement communiqué son point de vue à P&H après avoir examiné l’incidence de la décision sommaire sur le grief et a confirmé son intention de régler celui‑ci uniquement après avoir tenté d’obtenir l’opinion de P&H à propos de l’offre. De plus, l’échéance avait été imposée par le syndicat, et non par l’AEM, laquelle avait estimé qu’il était peu probable que les motifs détaillés du Conseil modifient son évaluation du bien‑fondé du grief.

[89] En outre, dans les circonstances, le Conseil n’accepte pas l’allégation de P&H selon laquelle elle n’a pas eu l’occasion de répondre à l’offre avant que celle‑ci ne soit acceptée. P&H a reçu l’offre le 10 septembre 2014. Malgré le refus de la section locale 1654 de l’AID de reporter l’audience d’arbitrage du grief, comme l’avait demandé le procureur de P&H, et malgré l’échéance fixée par le syndicat pour l’acceptation de l’offre, le procureur de P&H a bel et bien répondu à l’AEM, mais une fois l’échéance passée, et il a répété que P&H n’était tout simplement pas en mesure d’évaluer sa position avant que le Conseil ait rendu ses motifs détaillés.

[90] Qui plus est, le Conseil n’accepte pas les allégations de P&H selon lesquelles P&H avait besoin des motifs détaillés relatifs au renvoi fondé sur l’article 65 pour évaluer sa position. Le Conseil juge que la conclusion et la brève analyse de la décision sommaire, dans lesquelles le Conseil a clairement indiqué que l’exception relative aux « propres produits » (traduction) de l’entreprise ne s’appliquait pas, étaient suffisantes pour permettre à l’AEM et à P&H de décider s’il y avait la moindre chance d’avoir gain de cause à l’arbitrage. Le Conseil admet que, à ce moment‑là, P&H avait également reconnu qu’elle avait chargé les sept navires en cause dans le grief. Ainsi, le Conseil juge que la seule question que l’AEM devait examiner par rapport à l’offre de règlement était celle du montant possible des dommages‑intérêts.

[91] Le Conseil n’est pas non plus convaincu par l’argument de P&H selon lequel l’AEM ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour évaluer raisonnablement le montant des dommages‑intérêts. Le Conseil reconnaît que l’AEM a évalué le montant de l’offre de règlement par rapport au risque de pertes et aux enjeux pécuniaires probables en fonction d’hypothèses raisonnables formulées à partir du renvoi fondé sur l’article 65 concernant le tonnage et les opérations de P&H. Compte tenu de cette évaluation, des enjeux pécuniaires estimés par l’AEM et du devoir de celle‑ci d’atténuer les coûts que P&H devrait payer dans le cadre du grief, l’offre de 12 000 $ était raisonnable. Pour l’AEM, il n’était donc pas déraisonnable de conclure que, à la lumière des sommes demandées et des coûts associés à des procédures additionnelles, la meilleure solution était une résolution immédiate. Ainsi, le Conseil conclut que rien ne prouve que l’AEM en soit arrivée à la conclusion que le montant du règlement était raisonnable de manière arbitraire, ou que cette conclusion ait été motivée par la mauvaise foi.

[92] Le Conseil n’accepte pas non plus les allégations de P&H selon lesquelles, en réglant le grief, l’AEM a empêché que les arguments invoqués par P&H pour sa défense soient examinés en bonne et due forme. Au bout du compte, c’est le représentant patronal qui est chargé de la conduite d’un grief présenté à la suite d’une violation alléguée de la convention collective dans le contexte d’une ordonnance d’accréditation par région géographique. Il doit notamment choisir la stratégie à adopter pour le contester grief, ou décider s’il y a lieu de le contester tout court. Dans la mesure où ces décisions stratégiques sont prises d’une manière qui respecte le DRJ auquel le représentant patronal est tenu, le Conseil n’interviendra pas. De plus, le Conseil souligne que le règlement n’a pas empêché P&H de voir et d’examiner les motifs détaillés du Conseil, ni d’exercer ses droits découlant du renvoi fondé sur l’article 65. Le Conseil souligne également que, bien que P&H n’ait pas demandé le réexamen de la décision, ce qu’elle aurait pu faire, elle a tenté de présenter une demande de contrôle judiciaire. Rien ne prouve que l’AEM ait entravé de quelque manière que ce soit la capacité de P&H d’exercer ces droits ou les efforts qu’elle a déployés à cette fin.

[93] Le Conseil conclut par ailleurs qu’aucun élément de preuve ne montre que l’AEM ait agi de manière conjointe avec le syndicat le 12 septembre 2014 ou qu’elle se soit délibérément dépêchée de régler l’affaire. Le Conseil est d’avis que, après avoir examiné rigoureusement le bien‑fondé du grief et les risques découlant de la décision sommaire, il n’était pas déraisonnable de la part de l’AEM de tenter de respecter l’échéance fixée par la section locale 1654 de l’AID pour finalement régler l’affaire. À ce moment‑là, presque trois ans s’étaient écoulés depuis la présentation du grief, et l’AEM avait eu le temps d’examiner les arguments invoqués par P&H pour sa défense.

[94] Le Conseil a formulé les commentaires suivants à propos du pouvoir discrétionnaire d’un représentant patronal à l’égard du règlement d’un grief dans Terminaux Portuaires du Québec inc. 765, précitée :

[107] L’AEM, en tant que représentant patronal, avait le pouvoir discrétionnaire de régler le grief en question, et ce, malgré l’opposition de TPQ. En effet, un représentant patronal, tout comme un syndicat, peut décider quel grief sera renvoyé à l’arbitrage et quel grief sera réglé (voir Kasim, 2008 CCRI 432). Tout comme dans les plaintes fondées sur l’article 37 du Code, le Conseil n’accueillera généralement pas une plainte lorsque le représentant patronal a obtenu un règlement raisonnable que le plaignant rejette (voir Misiura, 2000 CCRI 63). En décidant de régler ou de poursuivre le traitement d’un grief à l’arbitrage, le représentant patronal peut tenir compte des conséquences néfastes qu’une décision arbitrale pourrait avoir sur les autres membres qu’il représente (voir McRaeJackson, précitée).

[108] Tel qu’il est décrit dans des décisions antérieures du Conseil, le représentant patronal n’est pas le mandataire des employeurs qu’il représente et il a le pouvoir de lier tous les membres qu’il représente, dans la mesure où il n’agit pas de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir Terminaux Portuaires du Québec Inc. et autres (1992), 89 di 194; et 93 CLLC 16,036 (CCRT no 968), confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Terminaux portuaires du Québec Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 C.F. 459; (1994) 175 N.R. 372; (1994) 29 Admin. L.R. (2d) 189; et (1994) 95 CLLC 210-010 (C.A.F., dossier no A-1584-92)).

[95] Le fait que l’AEM a décidé, en fin de compte, d’accepter l’offre du syndicat le 12 septembre 2014 sans le consentement de P&H ne signifie pas, dans les circonstances, qu’elle a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi (Lacroix, précitée, aux paragraphes 113 à 115).

[96] En l’espèce, le Conseil juge que la démarche de l’AEM était irréprochable : elle a effectué une évaluation rigoureuse du grief en menant une enquête sur la question, a reçu la position de P&H et lui a fait part de la sienne, et a examiné les arguments qui pourraient être présentés pour la défense de P&H. Dans le cadre de son évaluation globale du bien‑fondé du grief, l’AEM a également pris en compte, dans son analyse, les observations et les éléments de preuve présentés à l’audience concernant le renvoi fondé sur l’article 65, de même que la décision du Conseil selon laquelle la convention collective s’appliquait au travail en cause. Le Conseil est d’avis que l’AEM a fait preuve de diligence dans son analyse du grief, a accordé le bénéfice du doute à P&H et s’en est remise au Conseil quant à l’applicabilité de la convention collective. Après avoir reçu l’offre de la section locale 1654 de l’AID, elle a demandé un avis juridique pour se voir confirmer qu’il était préférable de régler le grief.

[97] Après avoir examiné la démarche globale suivie par l’AEM, le Conseil est convaincu que celle‑ci a examiné rigoureusement les faits et le bien‑fondé du grief. L’AEM a démontré qu’elle avait également pris en compte les intérêts de P&H dans le cadre du renvoi fondé sur l’article 65, tout au long de la procédure de règlement des griefs et à la suite de la décision sommaire. Bien que P&H n’ait pas souscrit à sa décision définitive, comme il est mentionné dans la décision Terminaux Portuaires du Québec inc. 765, précitée, cela ne signifie pas que l’AEM a manqué au DRJ auquel elle était tenue. Le Conseil conclut en outre que rien ne prouve que l’AEM a agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi selon les définitions données dans McRaeJackson et Blakely, précitées, à quel moment que ce soit tout au long des diverses étapes de cette longue procédure qui s’est échelonnée sur trois ans.

V. Conclusion

[98] Pour tous les motifs susmentionnés, le Conseil conclut que P&H ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la façon dont l’AEM a traité le grief du 3 octobre 2011 et sa décision définitive de régler le grief constituaient une violation du Code. Le Conseil est convaincu que l’AEM s’est acquittée de son DRJ. Par conséquent, le Conseil doit rejeter la présente plainte.

[99] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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