Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Terminaux Portuaires du Québec inc.,

plaignant,

et

Association des employeurs maritimes,

intimée,

et

Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières (SCFP 1375),

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 28505-C

Référence neutre : 2015 CCRI 765

Le 9 mars 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, siégeant seule en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). Une audience a eu lieu à Montréal les 21 et 22 octobre 2013, le 7 novembre 2013, de même que les 13, 23 et 24 janvier 2014.

Une demande d’ordonnance provisoire a également été présentée par Terminaux Portuaires du Québec inc. (TPQ) en date du 23 décembre 2010 et le Conseil, le 20 avril 2011, rejetait ladite demande (Terminaux Portuaires du Québec inc., 2011 CCRI 580).

Des dates d’audience avaient été prévues dans la présente affaire au cours de l’année 2011, mais les parties ont plutôt tenté, sans succès, de résoudre le présent conflit dans le cadre d’une médiation, avec l’aide du Conseil. Une première journée d’audience a eu lieu le 9 mai 2012 au cours de laquelle le procureur de TPQ a demandé de suspendre l’audience jusqu’à ce que le syndic du Barreau du Québec se soit prononcé sur une demande d’enquête qu’il avait déposée au nom de sa cliente. Le Conseil a alors fait droit à la demande de suspension de l’audience jusqu’à ce que le procureur indique qu’il est prêt à procéder.

Finalement, et à la suite d’une téléconférence tenue avec les parties le 27 juin 2013, les audiences ont débuté le 21 octobre 2013 pour se terminer le 24 janvier 2014. Les parties ont par la suite fourni leurs plaidoiries par écrit. Les derniers arguments des parties ont été déposés en mai 2014.

Ont comparu

Mes Pierre Jolin et Guylaine Lacerte, pour Terminaux Portuaires du Québec inc.;

Mes Patrick Galizia et Maude Grenier, pour l’Association des employeurs maritimes;

Me Richard Bertrand, pour le Syndicat des débardeurs de Trois-Rivières (SCFP 1375).

I. Nature de la plainte

[1] Le Conseil a été saisi d’une plainte de pratique déloyale déposée le 17 décembre 2010 en vertu du paragraphe 97(1) du Code par TPQ alléguant violation du paragraphe 34(6) du Code par l’Association des employeurs maritimes (AEM). TPQ allègue que l’AEM a contrevenu à son devoir de représentation juste en réglant un grief déposé contre lui par le syndicat des débardeurs de Trois-Rivières (SCFP 1375) (le syndicat).

[2] L’AEM est le représentant patronal désigné, en vertu de l’article 34 du Code, et ce, à l’égard de quatre entreprises faisant affaire au port de Trois-Rivières/Bécancour, à savoir TPQ, Somavrac, Logistec et Services Maritimes Laviolette.

[3] Le syndicat est accrédité à l’égard de tous les employés affectés au chargement et au déchargement des navires et à d’autres travaux connexes pour tous les employeurs oeuvrant dans le secteur du débardage de ce port.

[4] Dans le grief dont il est question dans la présente affaire, le syndicat alléguait que TPQ avait enfreint la convention collective en ne recourant pas aux vérificateurs. Les activités en litige concernent le chargement et le déchargement des camions au terminal. TPQ soutient qu’il n’y a pas de vérification au terminal de Trois-Rivières/Bécancour, alors que l’AEM et le syndicat soutiennent qu’il y a de la vérification.


 

[5] Les reproches allégués par TPQ dans sa plainte ont trait principalement au fait que l’AEM a décidé, après la première journée d’audience du grief devant l’arbitre saisi de l’affaire, de régler ledit grief par suite d’une entente intervenue entre l’AEM et le syndicat le 5 novembre 2010. TPQ estime que l’entente du 5 novembre 2010 a été conclue à son insu et qu’en fait l’AEM n’a jamais eu l’intention de procéder à l’arbitrage car elle craignait qu’il y ait dans une décision arbitrale une éventuelle description de tâches liées aux activités de vérification. TPQ estime que cette entente, laquelle a été entérinée par un arbitre, la prive de droits fondamentaux de gérance et qu’elle constitue un abus de droit qu’une association d’employeurs ne peut légalement imposer à l’un de ses membres.

[6] La question soumise au Conseil se résume comme suit : l’AEM a-t-elle agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi envers TPQ dans le traitement du grief D-2008-22 et dans la manière dont elle a négocié l’entente intervenue à cet effet le 5 novembre 2010?

[7] Le grief en question, déposé par le syndicat le 4 juillet 2008, allègue que TPQ, membre de l’AEM, a violé la convention collective en confiant du travail de vérification dans le Port de Bécancour à des personnes autres que les membres du syndicat. Ces travaux auraient été requis et exécutés, selon le syndicat, par un surintendant de TPQ, qui n’est pas membre du syndicat ni compris dans l’unité de négociation.

[8] TPQ demande au Conseil de déclarer que l’AEM n’a pas rempli son devoir de représentation juste dans le dossier du grief D-2008-22 et a agi de manière arbitraire et discriminatoire et que sa conduite est assimilable à de la mauvaise foi. TPQ demande également au Conseil de déclarer que l’AEM a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi en établissant une entente qui dépassait le cadre d’un grief et le contenu de la convention collective et en demandant par ailleurs à un arbitre de l’entériner afin de tenter de lui donner quelque valeur juridique. TPQ demande au Conseil d’annuler ladite entente intervenue entre l’AEM et le syndicat le 5 novembre 2010, laquelle fut entérinée par l’arbitre.

II. Décisions antérieures

[9] Faut-il rappeler que le grief dont il est question ici, soit le grief D-2008-22, a fait couler jusqu’à maintenant beaucoup d’encre.

[10] Le 11 juin 2010, le Conseil a d’abord rendu une décision relativement à une autre plainte de pratique déloyale et une demande d’ordonnance provisoire, déposées par TPQ le 19 février 2010, laquelle s’inscrivait également dans le contexte du traitement du grief D-2008-22 (2010 CCRI LD 2368). Dans cette affaire, TPQ reprochait à l’AEM de ne pas avoir fait une enquête relativement au grief à l’étude et d’avoir forcé TPQ à se défendre elle-même, alors qu’elle n’avait pas le mandat pour le faire. TPQ demandait au Conseil d’ordonner la suspension provisoire de l’audience du grief devant l’arbitre de griefs Serge Brault.

[11] Le Conseil a rejeté la plainte et la demande d’ordonnance provisoire. Le Conseil a rejeté la plainte car elle n’avait pas été déposée à l’intérieur des délais prévus au Code. Par ailleurs, le Conseil a constaté que TPQ n’avait fourni à l’AEM les renseignements nécessaires à la poursuite du traitement du grief qu’en janvier 2010, alors que l’audience du grief devait avoir lieu en février 2010. Le Conseil a pris note que le 13 avril 2010, l’arbitre Brault avait rejeté la demande de statut d’intervenante de TPQ et avait décidé de procéder à l’examen du grief D‑2008-22 sur le fond avec l’AEM et le syndicat.

[12] L’audience devant l’arbitre de griefs a eu lieu le 16 avril 2010, et la deuxième journée d’audience devait être tenue le 26 octobre 2010, mais l’AEM a décidé de régler le grief entre‑temps. Par suite de l’entente intervenue le 5 novembre 2010, laquelle fut entérinée par l’arbitre Brault, TPQ a déposé la présente plainte ainsi qu’une deuxième demande d’ordonnance provisoire. La demande d’ordonnance provisoire visait à suspendre l’application de la décision rendue par l’arbitre Brault qui entérinait l’entente intervenue entre l’AEM et le syndicat. Le 20 avril 2011, le Conseil rejetait la demande d’ordonnance provisoire accompagnant la présente plainte et décidait qu’il entendrait les parties sur le fond de l’affaire aux fins de déterminer si l’AEM a manqué à son devoir de représentation juste auquel elle est tenue en vertu du paragraphe 34(6) du Code (RD 580). Le Conseil indiquait ceci dans sa décision :

[7] Les faits du présent dossier montrent que l’arbitrage de grief (no D-2008-22) a finalement suivi son cours et la première journée d’audience a eu lieu le 16 avril 2010, devant l’arbitre Serge Brault. La deuxième journée d’audience était prévue pour le 26 octobre 2010, mais, par suite d’un avis juridique obtenu auprès de ses procureurs, l’AEM a décidé de régler à l’amiable ledit grief le 22 octobre 2010.

III. Le principe de la chose jugée de la décision du 11 juin 2010

[13] Tant l’AEM que TPQ ont présenté des arguments sur le principe de la chose jugée de la décision rendue par le Conseil le 11 juin 2010 (LD 2368). L’AEM, en cours d’instance, s’est opposée à la recevabilité en preuve des faits antérieurs au dépôt de la plainte de TPQ du 19 février 2010 – soit des faits afférents à la première plainte déposée par TPQ devant le Conseil – alléguant que l’AEM avait manqué à son devoir de représentation juste.

[14] L’AEM estime également que le Conseil n’est pas saisi non plus de la question visant à déterminer si l’enquête effectuée par l’AEM avant que la décision LD 2368 eût été rendue, contrevient au devoir de juste représentation de l’AEM.

[15] En ce qui a trait à la recevabilité en preuve des faits antérieurs au dépôt de la plainte de TPQ du 19 février 2010 – soit des faits afférents à la première plainte déposée par TPQ devant le Conseil – il est vrai que le Conseil a d’abord accueilli l’objection du procureur de l’AEM. Toutefois, il a ensuite permis au procureur de TPQ, sous réserve de la pertinence, de poser certaines questions portant sur ces mêmes faits, notamment lors de l’interrogatoire en chef du témoin M. Michel Brisebois le 7 novembre 2013, de même que lors du contre-interrogatoire de M. Jean-Pierre Langlois le 23 janvier 2013.

[16] Le Conseil estime que les questions ou les éléments de preuve qui ont pu être présentés au cours de l’audience quant aux faits qui ont fait l’objet de la LD 2368, ont servi de contexte utile à la présente plainte. Toutefois, le Conseil ne peut pas se servir de ces faits antérieurs pour réexaminer les questions qui ont déjà fait l’objet de la LD 2368. En effet, le Conseil n’est pas saisi d’une demande de réexamen de la LD 2368, mais plutôt d’une deuxième plainte, qui porte essentiellement sur la décision de l’AEM de régler le grief de la manière dont elle l’a fait. Pour ce faire, le Conseil doit déterminer, entre autres, si l’enquête menée avant la conclusion de l’entente était approfondie ou superficielle.

IV. Les faits non contestés

[17] Le 16 avril 2010, l’AEM et le syndicat ont tenu une journée d’audience devant l’arbitre Brault relativement au grief D-2008-22. Le syndicat a présenté sa preuve en premier et l’AEM s’est réservé le droit de pouvoir suspendre l’audience avant de débuter ou de poursuivre le contre-interrogatoire des témoins. Le 16 juillet 2010, les procureurs de l’AEM ont transmis au procureur de TPQ un résumé de la preuve et une copie des pièces présentées par le syndicat lors de l’audience du 16 avril 2010, ainsi qu’un document intitulé « questions suite à l’audience du 16 avril 2010 – grief D-2008-22 », et ce, afin de permettre à l’AEM d’analyser le bien-fondé du grief. La prochaine date de l’audience du grief était prévue le 26 octobre 2010.

[18] Par la suite, trois rencontres ont eu lieu avec les représentants de TPQ, dont deux rencontres chez TPQ – soit le 8 septembre 2010 et le 14 septembre 2010 – au cours desquelles des employés de TPQ furent rencontrés afin d’obtenir des informations relativement au grief D-2008-22. Lors de ces rencontres, autant des représentants de l’AEM que de TPQ étaient présents. Les représentants de l’AEM et de TPQ ont rencontré M. Jean-François Papillon et Mme Josée Vincelette, les personnes visées par le grief dont il est question dans la présente instance.

[19] À la suite de l’obtention des renseignements de la part de TPQ quant au grief D-2008-22, l’AEM a confié le mandat à son procureur de commenter les chances de succès du grief D‑2008‑22.

[20] Le 1er octobre 2010, le procureur de l’AEM a transmis au procureur de TPQ pour commentaires un projet d’opinion relativement aux chances de succès du grief D‑2008-22. Ce projet d’opinion juridique résume la preuve présentée par le syndicat lors de la première journée d’audience et les rencontres qui ont été tenues chez TPQ avec certains employés et dresse un portrait de la jurisprudence applicable en semblable matière. Le projet dit entre autres ce qui suit :

(f) Impossibilité de contredire la preuve syndicale

Selon l’information recueillie auprès de Jean-Pierre Langlois, les représentants de l’AEM ne seront pas en mesure de venir contredire le témoignage de Mario Lamy à l’effet que les tâches effectuées par Mme Vincelette, en date du 30 juin 2008, incluaient clairement des tâches de vérificateur. En effet, l’AEM a toujours reconnu que ce type de travail constituait du travail relevant des vérificateurs membres du Syndicat.

Par ailleurs, selon l’information recueillie auprès de Jean-Pierre Langlois, si les représentants de l’AEM étaient interrogés à cet effet, ils n’auraient d’autre choix que de confirmer qu’ils ont toujours compris depuis 1992 que le travail de chargement et déchargement des camions pour la marchandise déchargées des navires ou destinés à être chargés sur ceux-ci devait être exécuté par les vérificateurs membres du Syndicat. Ils confirmeraient que l’AEM a toujours agi en conformité avec ce constat, que ce soit dans le cadre de l’application de la convention collective ou dans le cadre des négociations collectives avec le Syndicat.

IX. Conclusions

Nous sommes d’avis que l’AEM a des chances de faire rejeter la preuve syndicale en ce qui concerne le cas no 2, soit le travail qui aurait été effectué par Jean-François Papillon. Selon nous, le Syndicat ne sera pas en mesure d’établir en preuve les fondements factuels nécessaires pour faire accueillir le Grief à ce sujet. Toutefois, si le Syndicat avait établi en preuve les fondements factuels nécessaires, nous n’aurions pas été en mesure de faire rejeter le Grief.

En ce qui concerne le cas no 1, visant le travail de Josée Vincelette, nous sommes d’opinion que l’AEM ne sera pas en mesure de faire rejeter le Grief.

Ainsi, nous recommandons à l’AEM de proposer au Syndicat de régler le Grief. L’AEM devrait accepter de faire droit au Grief du Syndicat et rembourser les sommes réclamées qui découlent de la violation de la convention collective selon la pratique et la jurisprudence à ce sujet. De plus, nous suggérons que l’entente à intervenir entre les parties prévoient notamment des admissions quant au travail de vérification.

(sic)

(c’est nous qui soulignons)

[21] Le 12 octobre 2010, le procureur de TPQ a transmis au procureur de l’AEM ses commentaires sur le projet d’opinion quant aux chances de succès du grief D-2008-22 et aux recommandations à cet égard. Le procureur de TPQ y commente plusieurs aspects de l’opinion qui lui a été transmise, met en doute la crédibilité de certains témoins du syndicat relativement à l’identification des personnes qui auraient, selon le syndicat, effectué le travail de vérification, et estime que les tâches exécutées par M. Papillon et Mme Vincelette sont des tâches de gestion et d’organisation qui échappent aux dispositions de la convention collective. Le procureur de TPQ conclut en disant ceci :

Nous sommes d’avis que le grief D-2008-22 est non fondé, plus particulièrement en raison du fait que le travail qui a été exécuté le 30 juin 2008 respectait la convention collective. Si l’AEM, par des prises de position antérieures et sans analyse adéquate du travail vraiment effectué par TPQ à Bécancour, s’est placée dans une situation inconfortable, cela ne devrait pas atténuer les droits de TPQ d’être défendue adéquatement dans le contexte.

Soyez toutefois assuré Me Galizia que notre cliente de même que le soussigné ont pleinement confiance au travail que vous faites et en votre intégrité mais désirent seulement rappeler que ce sont ses intérêts que vous défendez, bien qu’ils soient gérés par l’AEM.

[22] Le 15 octobre 2010, le procureur de l’AEM a remis à ses clients une opinion juridique quant aux chances de succès du grief D-2008-22, laquelle reprend le projet d’opinion transmis précédemment au procureur de TPQ, avec quelques modifications.

[23] Le 19 octobre 2010, l’AEM a donné mandat à son procureur de régler le grief D-2008-22. Une entente de principe est intervenue entre l’AEM et le syndicat le 22 octobre 2010.

[24]  Le 22 octobre 2010, le procureur de l’AEM a avisé le procureur de TPQ qu’une entente de principe est intervenue entre l’AEM et le syndicat quant au grief D-2008-22, sans toutefois lui transmettre ladite entente. La lettre indique ce qui suit :

Cher confrère,

Pour votre information, suite à la réception de votre lettre du 12 octobre 2010, nous avons tenu compte de vos commentaires et avons transmis le 15 octobre 2010 notre opinion à notre cliente afin d’obtenir des instructions de sa part quant à la poursuite du dossier.

Le 19 octobre 2010, nous avons obtenu instruction de la part de notre cliente d’entreprendre les démarches avec le Syndicat afin de régler le grief # D-2008-22.

Ainsi, nous désirons vous informer qu’une entente de principe est intervenue entre les parties relativement au grief # D-2008-22 et que l’audition du 26 octobre 2010 est annulée. Nous verrons à vous transmettre les détails du règlement intervenu au cours des prochains jours.

Jean-Pierre Langlois informera les représentants de votre client de l’annulation de l’audition du 26 octobre 2010 et nous comprenons que vos clients verrons à en informer madame Josée Vincelette.

Sincères salutations, …

[25] L’entente de principe a été signée le 5 novembre 2010 et est ainsi libellée :

CONSIDÉRANT que l’AEM est le représentant patronal des employeurs, dont TPQ, pour leurs activités dans le Port de Trois-Rivières/Bécancour, le tout suivant l’article 34 du Code canadien du travail suite à une décision du Conseil canadien des relations de travail (dossier # 555-3208) datée du 12 juin 1992;

CONSIDÉRANT que le Syndicat détient une accréditation géographique à l’égard de tous les employés travaillant au chargement et déchargement des navires et autres travaux connexes pour tous les employeurs engagés dans le secteur du débardage dans la région géographique constituée du Port de Trois-Rivières/Bécancour;

CONSIDÉRANT que le Syndicat a déposé le 4 juillet 2008 le grief # D-2008-22 (pièce S-2) reprochant à Terminaux portuaires du Québec (ci-après « TPQ ») d’avoir fait effectuer le 30 juin 2008 par des personnes exclues de l’unité de négociation du travail de vérificateur ou vérificateur en chef normalement exécuté par des membres du syndicat;

CONSIDÉRANT qu’une (1) journée d’audience s’est tenue devant l’arbitre désigné par les parties pour disposer du grief, Me Serge Brault, le 16 avril 2010;

CONSIDÉRANT que la preuve administrée le 16 avril 2010 a démontré que le 30 juin 2008 :

       TPQ n’a requis la présence au travail, à son terminal de Bécancour, d’aucun vérificateur ou vérificateur en chef;

 

       De la marchandise entreposée au terminal de TPQ a été chargée sur des camions par un débardeur membre de l’unité de négociation du Syndicat;

 

       C’est un surintendant de TPQ qui a indiqué au débardeur quelles pièces devaient être chargées sur les camions et comment les charger;

 

       C’est ce même surintendant de TPQ qui a vérifié les documents des chauffeurs de camions et vérifié le chargement avant l’expédition;

 

       Ce même jour, de la marchandise a été livrée par des transporteurs au terminal de TPQ, à Bécancour;

 

       Cette marchandise a été déchargée et placée dans le terminal par un débardeur membre de l’unité de négociation;

 

       C’est un surintendant de TPQ qui a vérifié la marchandise qui se trouvait sur le camion (quantité, qualité, conformité);

 

       C’est un surintendant de TPQ qui a donné instructions au débardeur de décharger le camion et lui a indiqué où placer la marchandise dans le terminal et comment la placer;

 

       C’est un surintendant de TPQ qui a pris les mesures de la marchandise déchargée, pris les notes appropriées et placé les autocollants sur la marchandise;

 

       C’est un surintendant de TPQ qui a signé les documents du chauffeur ayant livré la marchandise;

LES PARTIES ONT RÉSOLU DE METTRE FIN À L’ARBITRAGE DU GRIEF # D-2008-22 AUX CONDITIONS QUI SUIVENT :

1.   Le préambule fait partie intégrante de la présente entente;

 

2.   L’AEM reconnaît que le travail effectué par les surintendants de TPQ, et décrit au préambule de la présente entente :

a.   Constitue du travail de vérification qui doit être effectué par un débardeur, membre Syndicat (sic), détenant une classification de vérificateur;

 

b.   Doit, suivant l’article 1.09 de la convention collective être effectué par un débardeur, membre de l’unité de négociation du Syndicat, détenant une classification de vérificateur;

3.   Le Syndicat reconnaît pour sa part que les admissions de l’AEM indiquées au paragraphe 2 de la présente entente n’ont pas pour effet d’empêcher l’un des employeurs représentés par l’AEM de donner des instructions à un débardeur, membre du Syndicat, quant au déplacement et la manutention de marchandises dans un terminal lorsque ces manipulations ne sont reliées en aucune façon à la réception de marchandises/vrac au terminal ou l’expédition de marchandises/vrac depuis celui-ci;

 

4.   Par conséquent, l’AEM fait droit au grief # D-2008-22 et s’engage à payer, dans les quinze (15) jours de la signature de la présente entente, au débardeur, membre du Syndicat qui aurait dû être appelé au travail le 30 juin 2008, huit (8) heures de paie au taux qui aurait alors dû être payé et ce, moins les retenues usuelles;

 

5.   Les parties conviennent de demander à Me Serge Brault de donner acte à la décision de l’AEM de faire droit au grief # D-2008-22, en reproduisant in extenso la présente entente, de façon à ce qu’elle puisse être utilisée à titre de précédent de la même façon qu’aurait pu l’être la décision rendue par l’arbitre Brault si les parties n’avaient pas convenu de mettre fin au processus d’arbitrage;

 

6.   Les parties conviennent également de passer en revue l’ensemble des griefs déposés en raison d’une violation alléguée de l’article 1.09 de la convention collective et d’échanger l’information factuelle pertinente, afin de tenter de régler les griefs qui peuvent l’être, avant que ne se poursuive le processus devant mener à l’arbitrage;

 

7.   Les parties conviennent que la présente entente constitue l’intégralité de l’entente intervenue et que les modalités des présentes sont contractuelles et ne constituent pas une simple énonciation de faits;

 

8.   Les parties reconnaissent avoir eu l’opportunité de consulter un conseiller juridique au sujet de la présente entente et déclarent, en outre, avoir eu le temps nécessaire pour lire et étudier la présente et ajoutent y avoir consenti librement et volontairement, après en avoir compris tous ses termes et être en accord avec ceux-ci;

 

9.   Les parties reconnaissent que la présente entente constitue une transaction au sens des articles 2631 et suivants du Code Civil du Québec.

[26] Le 30 novembre 2010, l’arbitre Brault a rendu une sentence arbitrale selon laquelle il prenait acte de l’entente intervenue entre l’AEM et le syndicat. L’entente du 5 novembre 2010 est annexée à ladite sentence arbitrale. Le 8 décembre 2010, le procureur de l’AEM a transmis une copie de la décision rendue par l’arbitre Brault au procureur de TPQ.

V. Position des parties

[27] Les parties ont déposé plusieurs volumes de documents et de jurisprudence à l’appui de leurs positions respectives. Les présents motifs de décision ne reprennent pas en détail tous les arguments écrits des parties. Ce qui suit est donc un résumé des principaux arguments relatifs à la question soumise au Conseil, à savoir : l’AEM a-t-elle agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi envers TPQ dans le traitement du grief D-2008-22 et dans la manière dont elle a négocié l’entente intervenue le 5 novembre 2010?

A. TPQ

[28] Essentiellement, TPQ estime que l’entente de principe intervenue entre l’AEM et le syndicat le 5 novembre 2010 dépasse largement du cadre du grief D-2008-22.

[29] TPQ a renvoyé le Conseil à certains articles de la convention collective, dont les articles 1.09, 3.01, 5.01g) et 8.05a) et f), pour montrer que seul le contenu de ces articles aurait justifié l’AEM de présenter le grief à un arbitre afin qu’il statue sur la portée de chacun de ceux-ci.

[30] Selon TPQ, l’AEM avait des motifs suffisants pour contrer les éléments de faits contenus dans le résumé de la première journée d’audience, qui a eu lieu le 16 avril 2010.

[31] TPQ reproche également à l’AEM de ne pas avoir reçu l’opinion juridique officielle transmise à l’AEM, ni les instructions de règlement de la part de cette dernière, et d’avoir été tenu à l’écart des échanges de projets qui ont conduit à l’entente du 5 novembre 2010 puis de la sentence arbitrale rendue par l’arbitre Brault en date du 30 novembre 2010.

[32] Selon TPQ, le grief D-2008-22 dont il est question ici est un grief d’application pure et simple et, si tant est que l’interprétation donnée par l’AEM à la situation justifiait de faire droit au grief, ce que TPQ conteste, la seule chose qu’elle avait à faire c’était de faire droit au grief sans signer d’entente du type de celle intervenue le 5 novembre 2010. TPQ ajoute que, lorsqu’un arbitre est saisi d’un grief et que la partie qui est susceptible d’être condamnée accepte qu’il soit fait droit au grief, le mandat légal de l’arbitre est limité à reconnaître cette admission et à donner suite au grief selon ses conclusions.

[33] TPQ estime que l’AEM ne voulait pas qu’il y ait analyse ni évaluation de la portée de la clause 1.09 de la convention collective par un arbitre de griefs et que l’entente intervenue le 5 novembre 2010 dépasse largement du cadre du grief D-2008-22.

[34] TPQ attire l’attention du Conseil aux paragraphes 5 et 7 de l’entente du 5 novembre susmentionnée, pour dire que le seul objectif visé par l’AEM par le paragraphe 5 est de faire en sorte que TPQ ne puisse jamais faire valoir son point de vue dans un contexte d’arbitrage et, ainsi, qu’elle soit privée d’un droit fondamental résultant de la convention collective. De plus, et faisant référence au paragraphe 7, TPQ estime que l’AEM, en indiquant que les modalités de l’entente sont « contractuelles », modifie la convention collective, et ce, sans la participation des membres de l’AEM et dans le seul but de priver TPQ de ses droits. Selon TPQ, il s’agit purement d’une conduite arbitraire et empreinte de mauvaise foi.

[35] TPQ ajoute que cette entente n’était d’aucune manière nécessaire et que le seul objectif de l’AEM était de régler une situation au détriment de TPQ, au mépris de ses droits. TPQ soutient que l’AEM avait l’obligation de représenter TPQ et que l’entente du 5 novembre 2010 démontre que l’AEM n’a jamais voulu porter ce grief à l’arbitrage.

[36] TPQ soutient que la conduite de l’AEM a des conséquences importantes pour lui. Il soutient que l’AEM a voulu régler le problème une fois pour toutes dans le cadre d’un grief qui, somme toute, ne demandait qu’une analyse des faits. TPQ soutient que l’AEM, par le biais de l’entente du 5 novembre 2010, a introduit des notions faisant en sorte d’imposer à TPQ la présence de vérificateurs dans des opérations de réception et d’expédition de marchandises de camions, alors que TPQ n’a jamais requis une telle main-d’oeuvre puisqu’elle n’en avait nullement besoin. Elle ajoute qu’en acceptant de signer l’entente du 5 novembre 2010, l’AEM a fait en sorte d’imposer à TPQ une obligation qu’elle n’avait pas, de procéder à une modification importante de la convention collective et d’imposer un modèle de travail à TPQ, ce qui ne fait certes pas partie de ses prérogatives.

[37] TPQ soutient que le Conseil n’a pas à s’interroger sur l’issue du grief s’il y avait eu audience. Il n’a qu’à se demander si un représentant de bonne foi ayant entre les mains les renseignements qui ont été mis en preuve dans le dossier pouvait décider de ne pas aller en arbitrage et, surtout, d’être partie à une entente de la nature de celle du 5 novembre 2010 dont l’objectif était de « régler » le sort de TPQ en ce qui concerne les vérificateurs sans que celle-ci puisse se faire entendre.

[38] Selon TPQ, l’AEM a manifestement manqué à son devoir de représentation juste et a agi de façon arbitraire assimilable à de la mauvaise foi.

[39] TPQ présente plusieurs décisions du Conseil en matière de manquement au devoir de représentation juste montrant des exemples de comportements considérés comme arbitraires ou empreints de mauvaise foi dans le cadre d’une plainte déposée en vertu de l’article 37 du Code (le devoir de représentation juste du syndicat).

[40] TPQ demande au Conseil de déclarer que l’AEM n’a pas rempli son devoir de représentation juste dans le dossier du grief D-2008-22 et a agi de manière arbitraire et discriminatoire et que sa conduite est assimilable à de la mauvaise foi. Il demande en outre au Conseil de déclarer que l’AEM a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi en établissant une entente qui dépassait le cadre d’un grief et le contenu de la convention collective, et ce, de façon préjudiciable à TPQ, et en demandant au surplus à un arbitre de l’entériner afin de tenter de lui donner une quelconque valeur juridique.

B. L’AEM

[41] Relativement à la plainte déposée par TPQ, l’AEM estime que cette dernière n’a pas présenté de preuve permettant de conclure qu’elle a contrevenu à son devoir de représentation juste, tant à l’égard du règlement du grief que de la conclusion de l’entente. L’AEM estime que la jurisprudence du Conseil prévoit qu’un salarié, et donc par analogie, l’employeur représenté dans la présente instance, n’a pas un droit absolu à l’arbitrage, n’est pas partie à la convention collective et n’a pas droit de veto quant aux décisions prises par son représentant.

[42] L’AEM estime avoir pris la décision de faire droit au grief et de conclure l’entente du 5 novembre 2010 après avoir tenu compte des éléments suivants :

         L’absence d’opposition entre les parties à la convention collective, soit l’AEM et le syndicat, quant au bien-fondé du grief et à leur commune interprétation de la notion de vérification, du moins à l’égard des faits survenus le 30 juin 2008, et ce, compte tenu de la pratique passée;

         La nécessité d’assurer une certaine paix industrielle avec le syndicat;

         La nécessité d’agir de manière équitable à l’égard des autres employeurs du port de Trois-Rivières/Bécancour, lesquels assignent des vérificateurs lors du chargement et du déchargement par camion.

[43] L’AEM estime avoir mené une enquête minutieuse et avoir obtenu une opinion juridique objective et éclairée tenant compte des commentaires de TPQ. L’opinion juridique concluait à l’absence de chances de succès d’une contestation du grief puis recommandait la conclusion d’une entente qui comprendrait des admissions à l’égard du travail de vérification qui aurait été effectué le 30 juin 2008.

[44] L’AEM ajoute qu’elle n’avait pas à transmettre l’opinion juridique finale à TPQ, ni impliquer TPQ dans la négociation de l’entente ou obtenir son accord à sa signature. Elle souligne que la position de TPQ avait été prise en compte et qu’il revenait désormais à l’AEM, à la lumière de l’enquête effectuée, de l’opinion juridique obtenue, de l’intérêt de l’ensemble des employeurs qu’elle représente et de la nécessité de favoriser des relations de travail saines avec le syndicat, de prendre une décision.

[45] L’AEM soutient que la transmission de l’opinion juridique finale ou encore l’implication de TPQ dans la négociation de l’entente n’aurait rien changé à la position de longue date de cette dernière : soit de refuser d’assigner des vérificateurs lors du chargement et du déchargement par camion. L’AEM ajoute que le fait de faire simplement droit au grief, comme le soutient TPQ, n’aurait par ailleurs pas non plus permis aux parties de régler le grief, puisque le syndicat exigeait que la pratique de TPQ cesse. L’AEM estime de plus qu’elle pouvait conclure une entente afin de jeter les bases permettant aux parties de régler les griefs pendants et à venir dont les faits seraient suffisamment similaires à ceux mis en preuve le 16 avril 2010 à l’égard de la journée du 30 juin 2008.

[46] L’AEM soutient que l’interprétation donnée à la notion de travail de vérification par les parties à la convention collective a toujours compris le chargement et le déchargement de marchandises par camion. Elle ajoute que le désaccord de TPQ ne peut en aucun cas permettre de conclure à la présence d’un manquement au devoir de juste représentation. Dans un même ordre d’idées, le fait que l’AEM et le syndicat aient une interprétation commune de la notion de travail de vérification ne saurait permettre de conclure à la présence de collusion ou de complot.

[47] L’AEM maintient qu’une divergence d’opinions sur l’interprétation devant être donnée à la convention collective ne constitue pas un conflit d’intérêts ou la preuve de quelque mauvaise représentation que ce soit, d’autant plus qu’en l’espèce, l’AEM ne favorise aucun employeur mais ne fait qu’appliquer de manière uniforme à tous les employeurs qu’elle représente l’interprétation donnée au travail de vérification.

[48] La décision de l’AEM d’accepter la contre-proposition du syndicat visant à ce qu’une entente ait le même effet qu’une sentence arbitrale ayant accueilli un grief, est non seulement raisonnable mais est fondée sur l’opinion juridique obtenue, laquelle recommandait d’ailleurs la signature d’une entente contenant des admissions quant au travail de vérification. L’AEM soutient qu’une telle décision s’inscrit dans les pouvoirs normaux qui lui sont octroyés en tant que représentant patronal des employeurs du port de Trois-Rivières/Bécancour.

[49] L’AEM estime de plus que pendant la durée de la convention collective, elle peut conclure des ententes avec le syndicat afin d’assurer une gestion efficace des relations de travail et de favoriser une certaine harmonie. Elle estime que de retenir les prétentions de TPQ reviendrait à nier à l’AEM son pouvoir de représentant et à donner à TPQ un droit de veto sur ses décisions.

[50] L’AEM a également présenté plusieurs décisions du Conseil et celles d’autres tribunaux de relations de travail relativement notamment au devoir de juste représentation. L’AEM demande le rejet de la plainte de pratique déloyale de travail présentée par TPQ pour manque de preuve.

C. Le syndicat

[51] Le syndicat estime que le raisonnement élaboré par TPQ au soutien de son argumentation trahit le refus de reconnaître le rôle d’une association patronale en vertu de l’article 34 du Code.

[52] Le syndicat pose la question suivante : comment le Conseil pourrait-il conclure que l’AEM a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi en faisant droit à un grief qui était manifestement bien fondé et en concluant une entente qui reflétait la compréhension commune des parties, l’association patronale et le syndicat, de la portée des articles 1.05 et 1.09 de la convention collective?


 

[53] Le syndicat soutient que la première journée d’audience du grief a été consacrée à l’administration de la preuve syndicale et que l’AEM a non seulement pu apprendre dans le détail les faits sur lesquels s’appuyait le syndicat dans son grief, mais son procureur s’est même réservé le droit de contre-interroger à nouveau les témoins syndicaux après avoir complété son enquête auprès de TPQ.

[54] Le syndicat ajoute que la preuve présentée au Conseil révèle que l’AEM s’est livrée à une enquête sérieuse auprès de TPQ et à une vérification minutieuse des éléments de la preuve syndicale administrée devant l’arbitre Brault.

[55] Le syndicat soutient avoir refusé l’offre initiale de règlement de l’AEM, visant à régler le grief, en payant simplement le montant réclamé car il voulait que la façon de faire de TPQ cesse et que l’employeur fasse désormais exécuter le travail de vérificateur par des membres du syndicat des débardeurs. C’est ainsi, soutient le syndicat, et à sa demande, qu’une entente est intervenue. Celle-ci ne va au-delà ni de la convention collective, ni de la pratique, ni des conclusions recherchées dans le grief, mais a pour effet d’établir le contexte et d’expliciter les motifs pour lesquels l’employeur fait droit au grief.

[56] Quant au paragraphe 5 de l’entente du 5 novembre 2010 dénoncé par TPQ, le syndicat estime que le libellé ne constitue que la suite logique de la décision de faire droit au grief. Il rappelle que le grief demande expressément que la « façon de faire », c’est-à-dire, le recours à des personnes non syndiquées pour faire le travail de débardeurs syndiqués, cesse immédiatement et que l’employeur fasse exécuter le travail de vérificateur et/ou de vérificateur en chef par des membres du syndicat des débardeurs.

[57] Le syndicat souligne que l’AEM a pris bien soin d’obtenir de lui son consentement afin que tous les autres griefs alléguant violation de l’article 1.09 de la convention collective soient examinés, soit pour les régler ou les renvoyer à l’arbitrage si l’employeur a une défense à présenter.

[58] Le syndicat rappelle au Conseil qu’il n’est pas chargé, en l’espèce, de régler les différends entre l’AEM et TPQ découlant de l’accréditation par région géographique, mais bien de déterminer si l’AEM a agi de façon contraire au paragraphe 34(6) du Code dans le règlement d’un grief précis.


 

[59] Le syndicat ajoute que la preuve non contredite démontre que l’employeur et le syndicat se sont entendus lors de la signature de la convention collective pour reconduire les articles 1.05 et 1.09a), malgré la dissidence de TPQ. Ils se sont également entendus pour que l’employeur maintienne la classification de vérificateur et que ses membres continuent d’y avoir recours. Il ajoute que le contenu de la tâche de vérificateur est connu des deux parties et qu’il n’y a aucun contentieux à ce sujet entre elles.

[60] Le syndicat demande que la plainte de TPQ soit rejetée.

D. Réplique de TPQ

[61] TPQ soutient que l’audience devant le Conseil a démontré que l’AEM ne s’est pas donné réellement la peine de recueillir l’ensemble des éléments de preuve possibles. Si elle l’avait fait, soutient TPQ, cela aurait démontré que des témoins du syndicat, dont la crédibilité même sans contre-interrogatoire était douteuse, ignoraient la presque totalité du mode de fonctionnement au terminal de TPQ et la gestion que cette dernière effectuait pour le compte de ses clients.

[62] TPQ soutient également que la preuve a démontré que l’AEM ne fait pas généralement droit aux griefs sans l’accord de l’employeur visé par ceux-ci. Elle soutient qu’en agissant unilatéralement, comme elle l’a fait, et en ignorant l’importance du grief pour TPQ et les conséquences d’un règlement sur ses activités, l’AEM a clairement agi de manière arbitraire. TPQ soutient que les autres employeurs n’étaient aucunement touchés par la poursuite du traitement du grief à l’arbitrage, voire une décision favorable à TPQ.

[63] Selon TPQ, l’AEM et le syndicat ont pris bien soin d’introduire dans l’entente du 5 novembre 2010 un préambule contenant une description de faits qu’ils savaient fortement contestés par TPQ mais qui donnaient une apparence de légitimité à l’entente.

[64] TPQ indique que, suivant le témoignage de M. Langlois, l’AEM ne voulait en aucune façon que la fonction de vérificateur fasse l’objet d’une définition et c’est sur ce point qu’il y a litige. Comment l’AEM peut-elle prétendre qu’il y avait vérification alors que cette notion n’est nullement définie dans la convention collective? TPQ ne désirait qu’une seule chose, soit se présenter devant un arbitre afin que, dans un premier temps, ce dernier précise les paramètres permettant de qualifier les activités de vérification et, dans un deuxième temps, voir si le travail effectué au terminal de Bécancour/Trois-Rivières constituait du travail de vérification.

[65] TPQ ajoute que l’AEM n’a, dans la réalité des faits, jamais eu l’intention de défendre les intérêts de TPQ et que les circonstances entourant toute cette affaire montrent que l’AEM craignait qu’il y ait dans une décision une éventuelle description de tâches déterminée par un arbitre. TPQ estime, comme l’a dit M. Langlois, que l’AEM ne voulait cela en aucune manière et que, la seule façon d’en être certain, était de ne pas poursuivre le traitement du grief à l’arbitrage.

[66] TPQ soutient enfin que la preuve administrée par l’AEM et le syndicat démontre que ces derniers n’avaient qu’un objectif : faire le procès de TPQ, plutôt que de faire le procès de ses droits. TPQ estime que tous ces éléments mis ensemble démontrent clairement la mauvaise foi qui habitait les intentions de l’AEM, et ce, du début jusqu’à la fin de ce dossier.

VI. La preuve

[67] Huit témoins ont été entendus lors des audiences dans la présente affaire :

      Pour TPQ : M. Jean-Pierre Langlois, conseiller principal en relations de travail pour l’AEM; M. Jean-François Papillon, surintendant de terminal pour TPQ, lequel occupait un poste de superviseur le 30 juin 2008; Mme Josée Vincelette, laquelle occupait un poste de superviseur pour TPQ en 2008; M. Mario Lamy, débardeur au port de Trois‑Rivières/Bécancour et président du syndicat; M. Jean Poliquin, gérant de TPQ au port de Trois-Rivières/Bécancour; M. Michel Brisebois, directeur des ressources humaines pour Arrimage Québec, siège social de TPQ.

         Pour l’AEM : M. Jean-Pierre Langlois et M. Stéphane Morency, directeur, relations de travail et de main-d’oeuvre de l’AEM.

         Le syndicat n’a pas présentée de preuve distincte.

[68] Le Conseil a examiné attentivement les témoignages présentés. Il ne reprendra pas en détail chacun des témoignages, mais fera plutôt référence aux témoignages qu’il estime les plus pertinents dans le cadre de son analyse.

VII. Analyse et décision

A. Le devoir de représentation juste et le paragraphe 34(6) du Code

[69] Le paragraphe 34(6) est libellé comme suit :

34. (6) Dans l’exécution de ces obligations, il est interdit au représentant patronal ainsi qu’aux personnes qui agissent en son nom d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employeurs qu’il représente.

[70] Le devoir de représentation d’une association patronale est une question qui n’a pas souvent été étudiée par le Conseil. Il existe peu de décisions portant sur des plaintes déposées en vertu du paragraphe 34(6) du Code à l’encontre d’un représentant patronal. Cependant, et par analogie, les principes qui prévalent dans le cadre de plaintes déposées en vertu de l’article 37 du Code doivent s’appliquer en l’espèce en faisant bien sûr les ajustements nécessaires. C’est du moins ce qu’a décidé la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Terminaux portuaires du Québec inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 C.F. 459; (1994) 175 N.R. 372; (1994) 29 Admin. L.R. (2d) 189; et (1994) 95 CLLC 210-010 (C.A.F., dossier n° A‑1584‑92).

[71] Dans cette affaire, TPQ, soit le plaignant dans le présent dossier, contestait la désignation de l’AEM comme « représentant patronal ». L’un des arguments soulevés par TPQ était le manque d’intérêts communs entre les employeurs visés. La Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de TPQ et a expliqué les pouvoirs du représentant patronal et ses obligations de la manière suivante :

Si les employeurs ne peuvent s’entendre, le Conseil, selon le paragraphe 34(4) du Code, a le devoir légal de choisir le « représentant patronal ». Celui-ci est alors « assimilé à un employeur », ce qui signifie qu’il est réputé être l’employeur (« shall be deemed to be an employer »). Il est alors investi, en vertu de sa désignation (« by virtue of having been appointed under this section »), des pouvoirs nécessaires afin d’exécuter, au nom des employeurs des employés de l’unité de négociation, toutes les obligations imposées à l’employeur par la partie I du Code dont celle de conclure « en leur nom », c’est-à-dire à leur place et pour leur compte, une convention collective. ... Si le législateur n’avait pas eu l’intention d’instaurer un régime statutaire spécial, pourquoi aurait-il, dans son paragraphe 34(6) [mod., idem], imposé au « représentant patronal » un devoir de représentation équitable à l’égard de ceux qu’il engage par sa négociation, alors que le Code civil contient ses propres sanctions à l’égard d’un mandataire qui outrepasse les cadres de son mandat? Pourquoi aurait-il ainsi codifié le Code civil dans le Code canadien du travail? On ne peut qu’être frappé du parallèle qui existe entre le paragraphe 34(6) qui a trait à la partie patronale et l’article 37 qui a trait à la partie syndicale. En l’occurrence, il était tout à fait raisonnable pour le Conseil de conclure que le représentant patronal, réputé employeur, était investi du pouvoir analogue à celui de l’agent négociateur, soit celui de négocier la convention collective.

(pages 473–474; c’est nous qui soulignons)

[72] Dans Terminaux Portuaires du Québec inc., 2008 CCRI 410, une autre décision du Conseil impliquant TPQ et l’AEM, soit les mêmes parties que dans la présente instance, le Conseil a résumé certains principes qui s’appliquent en matière du devoir de représentation juste d’un représentant patronal. Dans cette affaire, le Conseil a conclu que l’AEM n’avait pas contrevenu au paragraphe 34(6) du Code lorsqu’elle a conclu des ententes particulières pour un de ses membres. Le Conseil a rejeté la plainte parce qu’elle avait été déposée à l’extérieur des délais prévus. Néanmoins, il a dit ceci en se prononçant sur le bien-fondé de la plainte :

[39] Cela étant dit, tout comme le syndicat ne doit pas manquer à son devoir de représentation juste envers les employés qu’il représente, le représentant patronal ne doit pas agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employeurs qu’il représente.

[40] Le représentant patronal a le pouvoir de négocier au nom des employeurs qu’il représente et a le droit de décider quelles revendications présenter et quelles stratégies de négociation employer pour promouvoir les intérêts des employeurs. Tout comme un syndicat qui représente ses employés, le représentant patronal n’est pas obligé de tenir compte des désirs de membres particuliers et le fait de ne pas tenir compte des revendications particulières de tous les membres, par exemple en acceptant des conditions jouant au détriment de certains employeurs, ne constitue pas en soi une contravention à l’article 34(6) du Code du moment que ses décisions soient prises rationnellement et du moment que le représentant patronal reconnaisse et tienne compte des intérêts rivaux de tous les employeurs qu’il représente (voir Bugay, 1999 CCRI 45; et Soulière, 2002 CCRI 205 en ce qui concerne le devoir de représentation juste du syndicat).

[73] Ainsi, c’est donc à la lumière des principes énoncés précédemment et de la jurisprudence du Conseil portant sur le devoir de représentation juste du syndicat que le Conseil, dans la présente affaire, se doit d’analyser les points soulevés par les parties, de soupeser soigneusement les faits pertinents et la preuve qui lui ont été présentés au cours des six jours d’audience et de déterminer si l’AEM a contrevenu à son devoir de juste représentation envers un de ses membres, soit TPQ, dans le traitement du grief D-2008-22.

[74] Les questions auxquelles doit répondre le Conseil pour déterminer si l’AEM a contrevenu ou non à son devoir de juste représentation dans la présente affaire sont les suivantes :

         Compte tenu du contexte de la présente affaire, l’AEM a-t-elle contrevenu au Code en décidant de régler le grief plutôt que d’en poursuivre le traitement à l’arbitrage?

         L’AEM a-t-elle contrevenu au Code en concluant une entente du type de celle intervenue le 5 novembre 2010?


 

B. L’AEM a-t-elle contrevenu au Code en décidant de régler le grief plutôt que d’en poursuivre le traitement à l’arbitrage?

[75] La problématique de l’existence du travail de vérification au terminal de Trois-Rivières/Bécancour en est une qui existe depuis la signature de la première convention collective en 1992. En effet, le syndicat a déposé de nombreux griefs alléguant que TPQ avait violé la convention collective en ne recourant pas aux vérificateurs. Aucun des griefs de cette nature n’a été porté à l’arbitrage, sauf le grief dont il est question dans la présente instance.

[76] Le témoin Mario Lamy, président actuel du syndicat, indique que les nombreux griefs relatifs à la vérification, dont la liste est déposée en preuve, n’avaient pas été renvoyés à l’arbitrage en raison de la préparation des négociations en 2003 en vue du renouvellement de la convention collective, laquelle n’avait pas été renégociée depuis 1992. Ultimement, le témoin a indiqué que ces griefs comme d’autres ont fait partie d’un règlement global lors de la signature de la convention collective en 2006, précisant toutefois que le syndicat n’avait pas renoncé à sa compétence. D’autres griefs relatifs à la vérification ont été déposés par la suite par le syndicat après 2007 et avant celui dont il est question dans la présente instance. Il semble qu’ils aient été retirés pour manque de preuve.

[77] Une lettre adressée le 12 mai 2008 par M. Jean Pierre Langlois, conseiller principal en relations de travail pour l’AEM, à M. Michel Brisebois, directeur des ressources humaines chez TPQ, dit ceci :

OBJET : Griefs en suspens

Michel,

Pour faire suite à ta demande, tu trouveras ci-dessous un compte-rendu des griefs en suspens qui concernent T.P.Q. à Bécancour.

Griefs relatif à la vérification (11) :

2007-01 / 2007-04 / 2007-05 / 2007-06 / 2007-13 / 2007-18 et 2007-19;

2008-02/ 2008-03 /2008-05 et 2008-10;

Ces griefs ont tous été discutés lors de deux (2) réunions du Comité de griefs. Le Syndicat conteste le fait que du travail de vérification a été effectué par des non-membres du Syndicat. La majorité des griefs sont en rapport avec la vérification du fer mais il y a également des griefs relatifs à la vérification de cargaison autre que du fer dont notamment de la cargaison côtière.

Le Syndicat entend porter ces griefs à l’arbitrage à la suite de la prochaine réunion du Comité de griefs. Comme tu le sais, la position de l’Association des employeurs maritimes au sujet de la vérification a été très claire durant les négociations et à la suite des celles-ci : s’il y a de la vérification, ce travail doit être effectué par des débardeurs conformément aux dispositions de l’article 1.09 a). À défaut d’avoir obtenu des explications ou des justifications précises de votre part sur ces griefs, nous considérons que ces griefs sont payables. Tel que cela a été expliqué lors des dernières négociations, l’Association des employeurs maritimes n’a pas le mandat de défendre ces griefs à l’arbitrage et c’est votre compagnie qui devra assurer la défense de ceux-ci si le Syndicat portent ces griefs à l’arbitrage.

(sic)

[78] L’AEM, dans un courriel daté du 24 septembre 2009 et en rapport cette fois avec le grief D-2008-22, dit ceci :

Tu trouveras en annexe une correspondance que je t’ai fait parvenir le 12 mai 2008 dans laquelle la position de l’A.E.M. avait été indiquée par rapport aux griefs relatif (sic) à la vérification. Tel qu’indiqué et tel que ceci avait été clairement discuté entre les employeurs au moment de conclure les négociations avec le Syndicat des débardeurs, SCFP, Section locale 1375, le travail de vérification relève de la juridiction de ces derniers et l’Association des employeurs maritimes n’a pas le mandat de défendre ces griefs à l’arbitrage. Tel que déjà discuté à de nombreuses reprises, c’est donc votre compagnie qui devra assurer la défense de ce grief.

(c’est nous qui soulignons)

[79] À la lumière de la lettre du 12 mai 2008 puis du courriel du 24 septembre 2009, la position de l’AEM est sans équivoque. Si elle est d’avis qu’un grief concerne de la vérification, ce travail doit être effectué par des débardeurs, conformément aux dispositions de l’article 1.09a) de la convention collective, à moins que l’employeur ne lui démontre le contraire.

[80] La plainte dont il est question dans la présente instance concerne donc le grief déposé le 4 juillet 2008 et portant le no D-2008-22. Conformément à la convention collective, le 16 octobre 2008, le syndicat a renvoyé ledit grief à l’arbitrage et c’est l’arbitre Brault qui fut nommé pour entendre le grief. L’AEM avait initialement pris la position qu’elle ne défendrait pas ce grief puisqu’elle était d’avis qu’il s’agissait du travail de vérification et avait avisé TPQ qu’elle devait elle-même assurer la défense dudit grief. L’AEM alléguait également n’avoir reçu aucune information de la part de TPQ lui permettant de défendre ledit grief. C’est lorsque TPQ a fourni des renseignements nécessaires à l’enquête de l’AEM que cette dernière a décidé de représenter TPQ à l’arbitrage.

[81] S’en est suivi toute une kyrielle de procédures devant le Conseil et devant les tribunaux de droit commun. Finalement, le 13 avril 2010, après avoir refusé à TPQ la qualité d’intervenante, l’arbitre Brault a décidé d’examiner ledit grief sur le fond avec l’AEM et le syndicat, mais a toutefois permis à TPQ d’assister à l’audience d’arbitrage.

[82] La première journée d’audience devant l’arbitre s’est d’ailleurs tenue le 16 avril 2010 – TPQ n’était pas présent.

[83] C’est au cours du mois de septembre 2010, suivant la première journée d’audience, que l’AEM a participé à trois rencontres – dont deux dans les bureaux de TPQ – afin d’obtenir la version des faits de TPQ. M. Papillon ainsi que Mme Vincelette, soit ceux visés par le grief, ont été rencontrés. Les témoignages fournis quant au caractère de ces rencontres sont contradictoires. D’une part, M. Papillon, la personne directement visée par ledit grief, qualifiait la rencontre de superficielle sans toutefois expliquer pourquoi il la qualifiait de la sorte. D’autre part, M. Jean Poliquin, gérant de TPQ au port de Trois-Rivières/Bécancour et y travaillant depuis 33 ans, a admis que le procureur de l’AEM avait posé des questions à M. Papillon afin de vérifier « point par point » les faits rapportés par les témoins du syndicat lors de la première journée d’audience du 16 avril 2010.

[84] Le Conseil préfère le témoignage plus précis de M. Poliquin et conclut que l’enquête effectuée par l’AEM après le 16 avril 2010 n’était pas superficielle. Premièrement, compte tenu de l’absence de TPQ à l’audience du 16 avril, l’AEM a transmis un résumé de la preuve et une copie des pièces du syndicat à TPQ, avec une liste de questions pour lui permettre d’évaluer le bien-fondé du grief. Deuxièmement, l’AEM a rencontré TPQ à plusieurs reprises pour obtenir sa version des faits et a interrogé les personnes visées par le grief, en présence des représentants de TPQ, et ce, pour vérifier la preuve présentée par le syndicat à l’audience.

[85] L’AEM a ensuite obtenu une opinion juridique quant aux chances de succès du grief et a transmis le projet d’opinion à TPQ pour ses commentaires. Selon le procureur de l’AEM, le grief visant le travail effectué par Mme Vincelette n’avait pas de chance de succès. Il a, par ailleurs, recommandé à l’AEM de régler le grief en acceptant de rembourser les sommes réclamées et en concluant une entente qui contiendrait notamment « des admissions quant au travail de vérification ». Cette recommandation était comprise dans le projet d’opinion qui avait été transmis à TPQ.

[86] M. Langlois a maintes fois soutenu dans son témoignage que c’est à la suite de l’enquête effectuée par l’AEM après la première journée d’audience devant l’arbitre, et après avoir obtenu une opinion juridique de leur procureur, qu’elle a donné mandat à ce dernier de régler le grief avec le syndicat.

[87] L’AEM a d’abord offert au syndicat une compensation financière. Toutefois, le syndicat a rejeté cette offre et a insisté à ce que le règlement contienne une clause qui forcerait TPQ à cesser sa pratique.

[88] Le Conseil n’est pas convaincu que l’AEM était mal intentionnée ou de mauvaise foi ou qu’elle avait laissé croire, comme le soutient TPQ, qu’elle défendrait les intérêts de TPQ alors que sa décision de procéder comme elle l’a fait était déjà prise.

[89]  La preuve démontre que l’AEM a conclu l’entente du 5 novembre 2010 après avoir obtenu une opinion juridique du procureur de l’AEM à la suite de l’enquête qui a été effectuée après la première journée d’audience du grief. La preuve montre aussi que le projet d’opinion a d’abord été transmis au procureur de TPQ pour commentaires. Même si l’AEM n’a pas transmis l’opinion finale à TPQ, celle-ci comprenait la même recommandation de régler le grief et de faire en sorte que toute entente comprenne notamment des admissions relatives au travail de vérification. TPQ a donc eu l’occasion de fournir ses commentaires à l’AEM au sujet des faits sous-jacents au projet d’opinion et de la recommandation du procureur. TPQ savait dès lors qu’il était possible que l’AEM règle le grief de la manière dont elle l’a fait.

[90] L’AEM soutient avoir tenu compte des commentaires de TPQ, mais qu’elle n’était pas du même avis que TPQ concernant l’interprétation et l’application de la convention collective. TPQ était convaincu que le travail tant de M. Papillon et de Mme Vincelette constituait de la gestion et non de la vérification et qu’il n’y a pas de travail de vérification au terminal. La mésentente n’était pas entre le syndicat et l’employeur mais entre l’AEM et TPQ. Dans son témoignage, M. Poliquin a été très clair – depuis qu’il travaille au port de Trois-Rivières/Bécancour (33 ans), il n’a jamais eu recours à des vérificateurs au terminal de Bécancour.

[91] Les positions respectives de l’AEM et de TPQ étaient donc diamétralement opposées et irréconciliables. À la suite de la première journée d’audience devant l’arbitre et de l’enquête effectuée auprès de TPQ, l’AEM avait déterminé qu’il y avait eu du travail de vérification effectué le 30 juin 2008, du moins par Mme Vincelette, au terminal de Bécancour.

[92] L’AEM a informé TPQ qu’elle avait donné le mandat à ses procureurs de régler le grief, mais n’a pas impliqué TPQ dans les négociations. Comme l’a souligné M. Langlois dans son témoignage, toute implication de TPQ dans la négociation de l’entente aurait été inutile puisque à son point de vue, aucune des tâches exercées le 30 juin 2008 ne constituait de la vérification, ce qui était contraire à l’interprétation de l’AEM.

[93] Le devoir de juste représentation en vertu de l’article 37 du Code (par analogie au paragraphe 34(6)) a fait l’objet de plusieurs décisions du Conseil et se fonde sur les principes généraux qui ont été énoncés dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada (CSC) dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 RCS 509. (Guilde de la marine marchande). Dans cet arrêt, la CSC a formulé les principes suivants :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[94] Les enseignements de la CSC montrent que le salarié, et donc par analogie, le membre-employeur dans la présente instance, n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et n’est pas partie à la convention collective. Ainsi, TPQ ne peut à la place de l’AEM débattre directement avec le syndicat de la convention collective, de son interprétation ou de son application.

[95] Ce raisonnement a été suivi par le Conseil à plusieurs reprises, notamment dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290 (McRaeJackson). Dans cette affaire, le Conseil s’est appuyé sur l’arrêt de la CSC dans Guilde de la marine marchande, précité, et a dit ce qui suit en regard des obligations et responsabilités du syndicat envers ses membres :

[22] Lorsqu’un syndicat décide de présenter un grief ou non, ou de le porter ou non à l’arbitrage, le syndicat fait son travail : il représente les employés. À cette fin, il doit déterminer les conditions en milieu de travail ayant mené à ce que l’employé considère comme un manquement à la convention collective, l’interprétation qu’il faut donner à cette convention collective, en fonction de l’expérience de ses contacts avec l’employeur, et les répercussions pour les autres membres de l’unité de négociation s’il réussit à faire accueillir le grief. Dans la mesure où cette analyse est fondée sur des facteurs pertinents pour le milieu de travail, le syndicat est libre de choisir sa stratégie optimale dans des circonstances données.

[96] La représentation des employés par des syndicats, et par analogie le représentant patronal envers ses membres-employeurs, repose sur les droits reconnus par la convention collective, ce qui signifie dans la présente instance que l’AEM avait et a une grande discrétion pour déterminer comment ces droits doivent être appliqués. Comme dans l’affaire McRaeJackson, précitée, le Conseil estime que, dans la mesure où le représentant patronal a étudié un grief, a évalué son bien-fondé en se fondant sur toutes les circonstances de l’affaire et est arrivé à une conclusion raisonnée sur les résultats éventuels, le Conseil n’a aucune raison d’intervenir.

[97]  Selon le Conseil, et vu la divergence d’opinions entre TPQ et l’AEM, il revenait à l’AEM d’interpréter et d’appliquer la convention collective la liant au syndicat. En effet, tout comme un syndicat, le représentant patronal a l’ultime responsabilité de déterminer sa propre interprétation de la convention collective. Des divergences d’opinions entre un plaignant et un agent négociateur sur l’interprétation de la convention collective ne suffisent pas pour démontrer que l’agent négociateur, ou le représentant patronal dans cette affaire, a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir Pelletier, 2010 CCRI 490).

[98] Dans la présente affaire, l’AEM a mené une enquête approfondie du grief, en obtenant la version des faits de TPQ, en rencontrant les personnes visées par le grief et en tenant compte de la preuve présentée par le syndicat à l’audience. L’AEM a par la suite obtenu un projet d’opinion juridique, qu’elle a transmis à TPQ pour ses commentaires. Finalement, compte tenu des circonstances, l’AEM a décidé qu’il serait préférable de régler ledit grief. L’AEM a informé TPQ qu’elle allait régler le grief, ce qui fut fait le 5 novembre 2010.

[99] Pour toutes ces raisons, le Conseil estime que l’AEM n’a pas agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi en prenant des démarches pour régler le grief.

C. L’AEM a-t-elle contrevenu au Code en concluant une entente du type de celle intervenue le 5 novembre 2010?

[100] TPQ soutient que l’entente conclue dépasse largement le cadre du grief et qu’elle modifie la convention collective sans la participation des membres de l’AEM.

[101] Comme indiqué précédemment, la position de l’AEM voulant qu’il y ait de la vérification au terminal de Bécancour contraste avec celle de TPQ. Interrogé par le procureur de TPQ, M. Poliquin est catégorique : depuis qu’il y travaille, il n’a jamais eu recours à des vérificateurs au terminal de Bécancour. Il a précisé lors du contre-interrogatoire du procureur du syndicat qu’il faisait référence au travail qui consiste à prendre la marchandise pour la charger ou la décharger des camions ou des trains. Il reconnait utiliser des vérificateurs lors du chargement et du déchargement de navires au besoin, tel que l’exige la convention collective.

[102] Contre-interrogé par le procureur de TPQ, M. Jean-Pierre Langlois, conseiller principal en relations de travail pour l’AEM, estime quant à lui que la convention collective liant l’AEM au syndicat prévoit qu’il y a du travail de vérification au terminal de Trois-Rivières/Bécancour et qu’il faut donc que les employeurs aient recours à des vérificateurs, membres du syndicat pour ce faire. Pour M. Langlois, il n’y avait aucune ambigüité relativement au grief D-2008-22, du moins pour Mme Vincellette; une partie du travail qu’elle a exécuté le 30 juin 2008, à la lumière de l’enquête, était du travail de vérification.

[103] À la question posée à M. Langlois quant à savoir pourquoi l’AEM n’a pas laissé l’arbitre trancher la question, il répond que c’est parce qu’il n’y a pas de litige entre le syndicat et l’AEM sur cette question. M. Langlois admet par ailleurs que l’AEM ne souhaite pas avoir de description de tâches, que ce soit dans la convention collective ou par suite d’une sentence arbitrale, pour laisser davantage de flexibilité en cas de litige. Il avait d’abord proposé au syndicat une compensation monétaire pour régler le grief, mais ce dernier a refusé, car il souhaitait que la pratique de TPQ cesse.

[104] Par la suite, dans un courriel au procureur de l’AEM dans le cadre du règlement du grief avec le syndicat, M. Langlois a indiqué qu’il ne souhaitait pas que l’entente contienne une description de tâches. M. Langlois a dit ceci au sujet du projet d’entente que le procureur de l’AEM comptait soumettre au syndicat :

Tel que discuté avec toi, j’ai également un problème avec le paragraphe 1 des conditions car cela représente une description de tâches que nous ne voulons pas d’aucune manière et que nous ne voulons surtout pas voir être confirmée par un tribunal. Tu comprendras que la prochaine étape sera de voir celle-ci apparaître à la prochaine négociation de la convention collective et même si nous refusons, il y aura jurisprudence à cet effet.

[105] Ce projet d’entente décrivait donc de manière exhaustive, au premier paragraphe, les tâches de vérificateur ou de vérificateur en chef au terminal de Bécancour. Le premier paragraphe et le troisième ont donc été éliminés suivant les commentaires de M. Langlois, et ce, pour tenir compte de la philosophie de l’AEM quant aux tâches de vérification au terminal de Bécancour. Bien qu’elle reconnaissait qu’il y avait des tâches de vérification au terminal – quoiqu’en dise TPQ – l’AEM souhaitait garder une latitude afin de conserver une plus grande souplesse dans l’interprétation de la convention collective et de minimiser toute restriction sur les droits de gestion des employeurs qu’elle représente.

[106] L’entente du 5 novembre 2010 fait état dans son préambule des éléments pertinents relatifs à l’accréditation, de la preuve administrée lors de la première journée d’audience d’arbitrage et de la compréhension commune des parties et du travail effectué le 30 juin 2008, et indique que ce travail constitue du travail de vérificateur. En concluant cette entente, l’AEM a tenu compte de la nécessité de favoriser de saines relations de travail entre le syndicat et l’AEM et de maintenir une certaine paix industrielle, tout en évitant une description détaillée des tâches de vérification. Le fait de faire droit uniquement au grief comme l’aurait souhaité TPQ n’aurait certes pas par ailleurs permis aux parties de régler le grief, puisque le syndicat exigeait que la pratique de TPQ cesse.

[107] L’AEM, en tant que représentant patronal, avait le pouvoir discrétionnaire de régler le grief en question, et ce, malgré l’opposition de TPQ. En effet, un représentant patronal, tout comme un syndicat, peut décider quel grief sera renvoyé à l’arbitrage et quel grief sera réglé (voir Kasim, 2008 CCRI 432). Tout comme dans les plaintes fondées sur l’article 37 du Code, le Conseil n’accueillera généralement pas une plainte lorsque le représentant patronal a obtenu un règlement raisonnable que le plaignant rejette (voir Misiura, 2000 CCRI 63). En décidant de régler ou de poursuivre le traitement d’un grief à l’arbitrage, le représentant patronal peut tenir compte des conséquences néfastes qu’une décision arbitrale pourrait avoir sur les autres membres qu’il représente (voir McRaeJackson, précitée).

[108] Tel qu’il est décrit dans des décisions antérieures du Conseil, le représentant patronal n’est pas le mandataire des employeurs qu’il représente et il a le pouvoir de lier tous les membres qu’il représente, dans la mesure où il n’agit pas de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi (voir Terminaux Portuaires du Québec Inc. et autres (1992), 89 di 194; et 93 CLLC 16,036 (CCRT no 968), confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Terminaux portuaires du Québec Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 C.F. 459; (1994) 175 N.R. 372; (1994) 29 Admin. L.R. (2d) 189; et (1994) 95 CLLC 210-010  (C.A.F., dossier no A‑1584‑92)).

[109] L’AEM a soumis une décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) dans l’affaire Anna Wilson v. Ontario Public Service Employees Union Local 110, (1990) OLRB. Rep. November 1167, également pertinente à la présente instance relativement au pouvoir d’un agent négociateur de régler un grief. Dans cette affaire, la CRTO a conclu que le syndicat avait le pouvoir de régler le grief des plaignants, malgré l’opposition de ces derniers.

[110] TPQ s’est appuyé sur l’affaire Riley, 2008 CCRI 419, dans laquelle le Conseil a conclu que le syndicat avait manqué à son devoir de représentation juste, notamment, lorsqu’il a refusé de poursuivre le traitement à l’arbitrage d’un grief qui portait sur une disposition de la convention collective qui n’avait pas fait l’objet d’une interprétation par un arbitre. Toutefois, contrairement à l’affaire Riley, précitée, le représentant patronal a obtenu une opinion juridique dans la présente affaire et a pris une décision fondée sur les intérêts de l’ensemble des membres de l’unité.

[111] Même si une décision arbitrale aurait peut-être évité le dépôt de la présente plainte, l’AEM a estimé qu’il était dans le meilleur intérêt de tous les membres qu’elle représente d’éviter une sentence arbitrale qui risquerait de définir le travail de vérification et d’ainsi limiter le pouvoir de gérance de ses membres.

[112] M. Langlois a également indiqué qu’il a conclu l’entente de la manière qu’il l’a fait pour assurer une stabilité des relations industrielles avec le syndicat. Il a dit ceci :

 …nous, à partir du moment où … suite à l’opinion juridique suite à l’enquête qu’on avait faite, bien, il fallait, comme je l’ai expliqué ce matin, il fallait mettre un terme au dossier. Le fait de seulement faire droit au grief ne réglait pas pour le présent et pour le futur. On voulait établir des bases pour régler le présent et le futur dans ce dossier-là, toujours en respectant, cas par cas, l’ensemble des dossiers… 


 

[113] Le Conseil est d’avis que l’AEM a tenu compte de tous les facteurs pertinents en décidant de conclure l’entente du type de celle intervenue le 5 novembre 2010. La décision de l’AEM de régler le grief de la sorte était fondée sur : (1) l’interprétation de la convention collective par l’AEM; (2) la volonté de préserver une certaine flexibilité de gestion pour les membres de l’AEM en évitant une description des tâches dans une sentence arbitrale; et (3) la volonté de préserver une stabilité industrielle avec le syndicat.

[114] De plus, le Conseil estime que, même si TPQ n’a pas eu l’occasion de participer aux négociations de l’entente, l’AEM avait néanmoins obtenu le point de vue de TPQ au sujet du grief et de l’existence ou non du travail de vérification au terminal de Bécancour à plusieurs reprises avant de conclure l’entente. L’AEM a de plus obtenu les commentaires de TPQ sur le projet d’opinion, qui recommandait le règlement du grief comprenant des admissions au sujet du travail de vérification, et a informé TPQ qu’elle avait l’intention de régler le grief.  

[115] Le Conseil note, par ailleurs, que l’entente entre l’AEM et le syndicat décrit les faits survenus le 30 juin 2008 et conclut qu’il s’agit de travail de vérification. Rien dans cette entente, comme le soutient TPQ, l’empêche d’exercer ses tâches de gestion sur le terminal de Trois-Rivières/Bécancour si tant est que ces tâches ne sont pas les mêmes que celles décrites dans l’entente intervenue le 5 novembre 2010 dans le cadre du règlement du grief.

[116] Pour tous ces motifs, le Conseil n’est pas convaincu que le représentant patronal a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi en réglant le grief de la manière qu’il l’a fait, et rien ne permet au Conseil de conclure au bien-fondé de la plainte déposée par TPQ.

VIII. Conclusion

[117] Pour conclure, ce sont les faits dans chaque affaire qui sont déterminants pour que le Conseil puisse conclure que la conduite d’un représentant patronal, tel l’AEM, n’a pas satisfait aux normes que le Conseil juge acceptables. La représentation des employeurs par le représentant patronal qu’est l’AEM repose sur les droits reconnus par la convention collective, ce qui signifie qu’il dispose d’une grande discrétion pour déterminer comment ces droits doivent être appliqués.


 

[118] La preuve dans la présente instance montre que l’AEM a étudié le grief, a effectué une enquête sérieuse et a décidé de régler le grief en s’appuyant sur une opinion juridique et sur les intérêts de tous ses membres. Pour toutes ces raisons, le Conseil estime que l’AEM s’est donc acquittée de son devoir de représentation juste.

[119] Pour ces motifs, la plainte est rejetée.

 

 

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Louise Fecteau

Vice-présidente

 

 

 

 

 

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