Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Canadian Airport Workers Union,

requérant,

et

Sécurité préembarquement Garda inc.,

employeur,

et

Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale,

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 30856-C

Référence neutre : 2015 CCRI 764

Le 5 mars 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, ainsi que de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente affaire sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier

Me Denis W. Ellickson, pour le Canadian Airport Workers Union;

Mme Colleen Arnold, pour Sécurité préembarquement Garda inc.;

Me Amanda Pask, pour l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale.

I. Nature de la demande

[1] L’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (l’AIMTA) est l’agent négociateur accrédité en place d’une unité d’employés de Sécurité préembarquement Garda inc. (Garda ou l’employeur) qui fournissent des services de contrôle de sécurité préembarquement aux trois aéroports de Toronto : aéroport international Pearson, aéroport municipal de Buttonville et aéroport Billy Bishop. Le 5 janvier 2015, le Canadian Airport Workers Union (le CAWU) a présenté, dans le délai prescrit, une demande d’accréditation en vue de remplacer l’AIMTA à titre d’agent négociateur de cette unité. La convention collective en vigueur conclue entre l’AIMTA et Garda expire le 31 mars 2015.

II. Position des parties

A. AIMTA

[2] L’AIMTA affirme que le CAWU n’a pas l’appui de la majorité des employés de l’unité, de sorte qu’il n’a pas répondu au critère établi pour que le Conseil ordonne la tenue d’un scrutin de représentation. Elle indique que la plupart des employés ont annulé les demandes qu’ils avaient peut-être présentées pour adhérer au CAWU avant la date de la présentation de la demande dont est saisi le Conseil. L’AIMTA a fourni au Conseil un grand nombre de ces retraits d’appui le 29 décembre 2014, avant la date de la présentation de la demande d’accréditation; elle a aussi fourni au Conseil une autre série de retraits de ce genre le 6 janvier 2015, un jour après que la demande a été présentée au Conseil. Elle explique qu’elle a tardé à fournir la deuxième série de retraits en raison de la période des Fêtes et de la fermeture des bureaux.

[3] L’AIMTA allègue aussi qu’un nombre considérable d’employés qui ont signé une carte d’adhésion au CAWU n’ont pas payé le montant exigé de 5 $. Elle soutient que le défaut de payer les droits exigés constitue une irrégularité qui altère l’ensemble de la preuve d’adhésion présentée au Conseil et que cela constitue un motif suffisant pour rejeter la demande.

B. CAWU

[4] Le CAWU nie la présence d’irrégularités, quelles qu’elles soient, dans la preuve d’adhésion qu’il a présentée à l’appui de sa demande. Il affirme aussi que le Conseil ne devrait accorder aucune importance aux éléments de preuve liés aux retraits d’appui que l’AIMTA a présentés, puisque celle-ci les a obtenus par sollicitation sur les lieux de travail pendant les heures de travail. Il souligne aussi qu’un grand nombre des retraits d’appui concernent des employés qui n’avaient pas signé de carte d’adhésion au CAWU ou que, dans plusieurs cas, il s’agissait de cartes signées en double. Le CAWU allègue aussi que des signatures figurant sur les éléments de preuve liés aux retraits d’appui ont été falsifiées, et il a fourni séparément au Conseil des déclarations d’employés pour appuyer ces allégations.

[5] Le CAWU demande au Conseil de ne pas prendre en considération les éléments de preuve présentés par l’AIMTA et de l’accréditer sans tenir de scrutin de représentation ou, subsidiairement, de tenir un scrutin pour confirmer la volonté des employés de l’unité.

C. GARDA

[6] L’employeur ne se prononce pas sur la demande.

III. Analyse et décision

[7] Dans le contexte d’une demande visant à déloger un syndicat, la politique du Conseil, qui est bien établie, veut que le requérant démontre qu’il a l’appui de la majorité des employés de l’unité. Si le requérant répond à ce critère, le Conseil ordonne la tenue d’un scrutin de représentation dans presque tous les cas. Cette politique s’appuie sur la prémisse que, lorsque le Conseil a accrédité un syndicat pour représenter les employés d’une unité de négociation, on présume que celui‑ci continue d’avoir l’appui d’une majorité des employés de l’unité jusqu’à ce que cette présomption soit écartée par une preuve démontrant le contraire. Le Conseil cherche aussi à préserver la paix industrielle et, en adoptant une politique selon laquelle le syndicat qui cherche à déloger un autre syndicat doit démontrer qu’il a l’appui de plus de la moitié des membres de l’unité, il s’assure que les employés souhaitent sérieusement changer d’agent négociateur avant que la tenue d’un scrutin soit ordonnée (Canadien Pacifique Express et Transport (1988), 73 di 183 (CCRT n° 682); et Société Radio-Canada (1993), 91 di 165 (CCRT n° 1004) voir page 172).

[8] Le Conseil se fonde sur la preuve d’adhésion pour établir la volonté des employés de l’unité proposée, tel qu’il est énoncé à l’article 30 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement) :

30. Pour toute demande concernant l’accréditation d’un agent négociateur :

a) l’adhésion de l’employé à un syndicat constitue la preuve de sa volonté d’être représenté par ce syndicat à titre d’agent négociateur;

b) l’adhésion à un syndicat de la majorité des employés faisant partie d’une unité habile à négocier collectivement constitue la preuve de la volonté de la majorité des employés de cette unité d’être représentés par ce syndicat à titre d’agent négociateur.

[9] L’exigence du Conseil concernant la preuve d’adhésion à un syndicat est codifiée au paragraphe 31(1) du Règlement :

31. (1) Pour toute demande concernant les droits de négociation, le Conseil peut accepter comme preuve d’adhésion d’une personne à un syndicat, à la fois :

a) le dépôt d’une demande d’adhésion au syndicat revêtue de sa signature;

b) la preuve qu’elle a versé au syndicat une somme d’au moins cinq dollars, à l’égard ou au cours de la période de six mois précédant la date de dépôt de la demande.

[10] Lorsqu’il est saisi d’une demande d’accréditation, le Conseil doit d’abord déterminer si la preuve d’adhésion présentée par le requérant pour appuyer sa demande est valide et suffisante. Lorsque le Conseil propose d’utiliser les cartes d’adhésion signées pour accréditer un agent négociateur, ou avant qu’il ordonne la tenue d’un scrutin, il est d’importance primordiale que la preuve d’adhésion sur laquelle le Conseil s’appuiera pour prendre ses décisions soit juste et fiable. La norme que le Conseil applique lorsqu’il vérifie la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation est très rigoureuse.

[11] Dans la présente affaire, la question clé que le Conseil doit trancher est celle de savoir si la preuve d’adhésion qui accompagne la demande est valide et suffisante, comme l’exigent les articles 30 et 31 du Règlement pour établir qu’une majorité des employés de l’unité souhaitent être représentés par le requérant.

[12] Afin de pouvoir conclure, aux termes de l’alinéa 28c) du Code, que le requérant a répondu au critère permettant d’accorder une accréditation ou d’ordonner un scrutin de représentation, le Conseil a mis en place un processus selon lequel il délègue ses pouvoirs d’enquête aux agents des relations industrielles (ARI) du Conseil de sorte que ceux‑ci puissent vérifier et évaluer la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation.

[13] Lorsque des allégations mettent en doute la validité de la preuve d’adhésion présentée par un requérant, l’ARI enquête sur ces allégations et s’entretient de manière confidentielle avec certains employés, en tenant compte de tous les renseignements fournis par l’une ou l’autre des parties à la demande. L’ARI présente les résultats de son enquête au Conseil dans un rapport confidentiel afin de protéger la confidentialité de la volonté des employés, conformément à l’article 35 du Règlement. Ce processus est bien établi et a été examiné dans la jurisprudence du Conseil (voir IMS Marine Surveyors Ltd., 2001 CCRI 135 au paragraphe 16; TD Canada Trust du Grand Sudbury (Ontario), 2006 CCRI 363; et confirmée en contrôle judiciaire : TD Canada Trust c. Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes, 2007 CAF 285).

[14] Les cours de justice ont toujours protégé ce processus et la nécessité de préserver la confidentialité des résultats de l’enquête compte tenu de la nature délicate de la volonté des employés, protégée par l’article 35 du Règlement (voir Maritime-Ontario Freight Lines Ltd. c. Section locale 938 des Teamsters, 2001 CAF 252).

[15] En l’espèce, dans le cadre de son enquête, l’ARI désignée par le Conseil a communiqué avec un nombre considérable d’employés et leur a posé une série de questions pour évaluer la validité des renseignements figurant sur les cartes d’adhésion. Tout au long de son enquête, l’ARI était parfaitement au courant des allégations soulevées aussi bien par le CAWU que par l’AIMTA, et elle a tenu compte des renseignements confidentiels spécifiques fournis au Conseil. Un certain nombre d’employés avec qui l’agente s’est entretenue et pour lesquels une carte d’adhésion signée avait été présentée ont confirmé qu’ils n’avaient pas payé les droits exigés de 5 $ ou qu’ils n’avaient pas signé de carte d’adhésion.

[16] Le Conseil prend au sérieux les exigences relatives à la preuve d’adhésion et a toujours affirmé que le défaut de se conformer aux exigences du Code et du Règlement est un vice de fond et non de forme. Cela est d’autant plus important que le Conseil se fonde sur la preuve d’adhésion pour décider s’il convient ou non d’accorder une accréditation ou d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation, accordant ainsi au requérant des droits et des privilèges fondamentaux en vertu du Code. Le Conseil et son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), ont appliqué de manière constante une norme rigoureuse pour examiner la preuve d’adhésion produite par un syndicat requérant.  

[17] Dans American Airlines Incorporated (1981), 43 di 114; et [1981] 3 Can LRBR 90 (CCRT n° 301), le CCRT s’est prononcé clairement sur ce type d’irrégularité dans la preuve d’adhésion et sur ses conséquences :

Le Conseil désire souligner encore une fois, comme il a été mentionné dans City and Country Radio Ltd., supra, et Banque de Commerce Canadienne Impériale, Sioux Lookout, Ontario, supra, qu’en traitant des cas d’accréditation, il a mis en place une façon de faire comprendre l’importance de leurs actions à l’employé qui signe une carte et au syndicat qui demande l’accréditation. En même temps que les modifications promulguées par le Parlement en 1978 qui indiquent clairement qu’il préfère que des preuves littérales soient utilisées pour établir que la majorité des employés appuient le syndicat, le Conseil a porté les droits minimums d’adhésion de $2 à $5. À notre avis, un employé qui doit payer $5 pour adhérer à un syndicat réfléchira à l’importance de son acte avant de verser le montant. Le syndicat doit ensuite certifier au Conseil que l’argent a été personnellement versé par l’employé qui a signé la carte d’adhésion. En cas d’irrégularité dans cette procédure, le Conseil rejettera la requête en accréditation pour ce seul motif.

(pages 129-130; c’est nous qui soulignons)

[18] Dans l’affaire K.D. Marine Transport Ltd. (1982), 51 di 130; et 83 CLLC 16,009 (CCRT n400), le CCRT a poussé l’analyse plus loin lorsqu’il a indiqué que les conséquences seraient immédiates et graves dans les affaires de ce genre :

Le Conseil est parfaitement conscient de la nécessité d’obtenir des preuves sur les adhésions syndicales et accorde beaucoup d’importance à l’authenticité des documents démontrant les désirs des employés. Toute fraude ou falsification de cartes de membres ou des dossiers, comme des signatures contre-faites, des cartes postdatées ou antidatées, ou méthodes incorrectes de paiement des frais d’adhésion, pourrait entraîner des conséquences immédiates et graves ...

(pages 144; et 16,076)

[19] En l’espèce, le Conseil conclut, en se fondant sur les résultats de l’enquête menée par l’ARI, à la présence de nombreuses irrégularités dans les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande d’accréditation. De l’avis du Conseil, la nature et les proportions des irrégularités qui ont été décelées ont pour conséquence d’altérer l’ensemble de la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande dans la mesure où le Conseil n’est pas disposé à en accepter la véracité et à s’y fier pour ordonner la tenue d’un scrutin de représentation.

[20] Il importe aussi de souligner que le Conseil exige que le requérant lui présente un certificat d’exactitude pour appuyer sa demande d’accréditation. Le paragraphe 4 du certificat d’exactitude est libellé comme suit :

4. Que les cotisations syndicales ou les droits d’adhésion inscrits comme ayant été payés ont de fait été versés par les employés intéressés, en leur propre nom et aux dates indiquées.

[21] En l’espèce, le certificat d’exactitude a été signé par un représentant du requérant le 9 janvier 2015 et a été présenté au Conseil. Cependant, contrairement à ce que dit le certificat, le Conseil a conclu à la présence d’irrégularités dans la perception des droits d’adhésion de 5 $ et dans les signatures figurant sur certaines cartes d’adhésion, ce qui donne lieu à un vice important dans la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande. Par conséquent, le Conseil rejette la demande.

[22] Comme la demande n’est pas fondée sur une preuve d’adhésion valide et fiable, le Conseil n’a pas à examiner les éléments de preuve liés aux annulations d’adhésion au CAWU présentés par l’AIMTA.

[23] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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