Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Association des réalisateurs,

requérante,

et

Société Radio-Canada,

employeur,

et

Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN); STARF-SCFP, section locale 5757; et Syndicat canadien de la fonction publique,

agents négociateurs.

Dossier du Conseil : 30710-C

Référence neutre : 2015 CCRI 763

Le 27 février 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, ainsi que de Mes Annie G. Berthiaume et Graham J. Clarke, Vice-présidents.

Procureurs inscrits au dossier

Me Jean-Pierre Belhumeur, pour l’Association des réalisateurs;

Me Alexandre W. Buswell, pour la Société Radio-Canada;

Me Guy Martin, pour le Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN);

Me Louise-Hélène Guimond, pour le STARF-SCFP, section locale 5757;

Me Michael Cohen, pour le Syndicat canadien de la fonction publique.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente demande de réexamen sans tenir d’audience.

I. Nature de la demande

[1] Le 19 septembre 2014, le Conseil a rendu sa décision dans Société Radio-Canada, 2014 CCRI 741 (SRC 741), dans laquelle il a conclu, conformément au paragraphe 18.1(1) du Code, que l’employeur, la Société Radio-Canada (SRC), a démontré que ses unités de négociation « ne sont plus habiles à négocier collectivement » (paragraphe 224).

[2] Le banc initial a rendu sa décision après 35 jours d’audience, pendant lesquels 29 témoins ont été entendus. Les parties ont convenu de soumettre leurs représentations finales par écrit.

[3] Étant donné sa décision en vertu du paragraphe 18.1(1), le Conseil, au paragraphe 225 de SRC 741, a accordé aux parties 90 jours pour tenter de s’entendre sur les questions qui pourraient être soulevées dans ce contexte, tel que l’exige le paragraphe 18.1(2).

[4] Le 17 octobre 2014, l’une des parties, l’Association des réalisateurs (AR), a déposé une demande de réexamen de la décision SRC 741. L’AR a demandé au Conseil d’annuler SRC 741 pour diverses raisons et « d’ordonner le sursis de l’ordonnance », décrite au paragraphe 225.

[5] Le Conseil a décidé de rejeter la demande de réexamen pour les motifs qui suivent.

II. Un réexamen n’est pas un appel

[6] Le Conseil a souvent mentionné dans ses décisions que le processus de réexamen se distingue nettement d’un appel. Les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles d’être réexaminées que dans des circonstances exceptionnelles.

[7] De même, un banc de révision ne substitue pas son opinion et son évaluation de la preuve à celui du banc initial et ne saurait remettre en question l’exercice du pouvoir discrétionnaire du banc initial.

[8] Le Conseil, dans Mme Z, 2015 CCRI 752, a récemment réitéré ces points :

III. Le réexamen

[28] Le réexamen n’est pas un appel ni une évaluation de novo de l’affaire initiale. Malgré le fait que l’article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (Règlement) a été abrogé le 18 décembre 2012, cet extrait de Kies, 2008 CCRI 413, demeure pertinent :

[29] L’article 44 du Règlement n’est pas rédigé en des termes exhaustifs et il offre au Conseil la latitude nécessaire pour entendre les rares cas qui ne relèvent pas des motifs énumérés justifiant le réexamen décrits précédemment (voir Hurdman Bros. Ltd. (1982), 51 di 104; et 83 CLLC 16,003 (CCRT no 394)). Ces moyens énumérés démontrent que la procédure de réexamen n’est ni un appel ni une occasion pour une partie de plaider à nouveau l’affaire devant un nouveau banc.

(caractères gras ajoutés)

[29] Dans Williams c. Section Locale 938 de la Fraternité Internationale des Teamsters, 2005 CAF 302, la Cour d’appel fédérale a noté la distinction entre un appel et une demande de réexamen :

[7] Il m’est impossible de dire que la décision du Conseil sur la demande de réexamen était manifestement déraisonnable. Une demande de réexamen n’est pas une possibilité d’obtenir une nouvelle audience et ne constitue pas non plus un appel. Dans son examen de la décision initiale, la formation chargée du réexamen ne pouvait substituer sa propre appréciation des faits à celle de la formation initiale. En l’espèce, vu les faits dont elle a été saisie, la formation initiale a conclu que le syndicat avait le droit de ne pas poursuivre l’affaire et le demandeur n’invoque aucun fait ou motif nouveau qui pourrait modifier cette conclusion.

(caractères gras ajoutés)

[9] La demande de l’AR constitue en grande partie une demande au banc de révision d’instruire de nouveau l’affaire initiale. En effet, l’AR a reproduit un long extrait tiré de son argumentation écrite présentée au banc initial concernant l’habileté à négocier de l’unité de négociation qu’elle représente.

[10] L’AR a aussi contesté certaines conclusions de fait tirées par le banc initial (voir pages 34 et suivantes de la demande de l’AR). En présentant ce genre d’arguments, l’AR invite le banc de révision à tirer des conclusions de fait différentes de celles du banc initial. L’AR s’exprime de la façon suivante :

81. Ces constatations ne justifient aucunement la conclusion que l’unité des réalisateurs ne serait plus habile à négocier collectivement.

[11] Les arguments que l’AR a présentés sont de la nature d’un appel. Une demande de réexamen qui n’est qu’un appel masqué sera rejetée de façon sommaire. Les arguments mentionnés ci-dessus ne relèvent pas du processus de réexamen bien établi dans la jurisprudence du Conseil.

[12] Si le Conseil n’avait pas de politique claire depuis des décennies relative à son processus de réexamen, il serait obligé de trancher chaque affaire deux fois. Une telle pratique minerait le caractère définitif des décisions du Conseil et ne favoriserait aucunement de saines relations industrielles.

III. Principaux motifs de réexamen

[13] Dans Kies, 2008 CCRI 413, le Conseil a examiné en détail son processus de réexamen ainsi que les motifs de réexamen, tels qu’ils étaient énumérés à l’article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (Règlement de 2001) (abrogé depuis 2012).

[14] Après l’abrogation de l’article 44 du Règlement de 2001 en 2012, le Conseil, dans Buckmire, 2013 CCRI 700, a réaffirmé que les motifs de réexamen demeuraient les mêmes :

[36] Les principaux motifs de réexamen, ainsi que les obligations du requérant concernant la présentation d’une demande de réexamen, demeurent les mêmes que ceux décrits ci‑dessous. De même, les décisions rendues par le greffier aux termes de l’article 3 du Règlement peuvent toujours faire l’objet d’un réexamen.

1. Faits nouveaux

[37] Ce motif porte sur des faits nouveaux que le requérant n’a pas portés à la connaissance du Conseil quand il a initialement présenté sa cause. Il ne s’agit pas, pour le requérant, d’une occasion d’ajouter des faits qu’il avait négligé de faire valoir.

[38] Comme le résume la décision Kies 413, précitée, une demande de réexamen doit comporter, à tout le moins, les renseignements suivants au sujet des faits nouveaux qui sont allégués :

1. les faits nouveaux en question;

2. la raison pour laquelle le requérant n’a pu les présenter au banc initial;

3. en quoi ces faits nouveaux auraient amené le Conseil à une conclusion différente, eu égard à la décision faisant l’objet du réexamen.

[39] En règle générale, le banc initial examinera les demandes fondées sur ce motif, étant donné sa situation avantageuse pour ce qui est d’établir s’il y a bel et bien des « faits nouveaux » et de décider de leur incidence, le cas échéant, sur sa décision initiale.

2. Erreur de droit ou de principe

[40] Une présumée erreur de droit ou de principe doit véritablement remettre en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil. Le critère applicable comporte donc deux volets. Une simple divergence d’opinions sur l’interprétation d’une question de droit ou de principe ne justifie pas un réexamen.

[41] La question de droit ou le principe en cause doit également avoir été soulevé devant le banc initial.

[42] Si une erreur de droit ou de principe est alléguée, les éléments exigés pour la présentation du dossier demeurent les mêmes que ceux énumérés dans Kies 413, précitée :

1. une description du droit ou du principe en cause;

2. l’erreur exacte que le banc initial a commise dans l’application de ce droit ou principe;

3. la manière dont la présumée erreur remet véritablement en question l’interprétation donnée au Code par le banc initial.

3. Justice naturelle et équité procédurale

[43] Une demande de réexamen peut être fondée sur des allégations de non-respect, par le banc initial, des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale.

[44] Conformément à la description donnée dans Kies 413, précitée, une demande présentée par une partie doit dans ce cas contenir au moins ce qui suit :

1. l’identification du principe exact de justice naturelle ou d’équité procédurale;

2. une description de la manière dont le banc initial n’a prétendument pas respecté ce principe.

E. Résumé des motifs principaux de réexamen

[45] On peut donc résumer comme suit les principaux motifs de réexamen :

a) des faits nouveaux que le requérant n’a pas pu porter à la connaissance du banc initial, mais qui auraient vraisemblablement amené le Conseil à tirer une autre conclusion;

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code ou d’un principe;

c) le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3 du Règlement.

[46] C’est en tenant compte des principes susmentionnés que le Conseil examinera la demande de M. Buckmire.

[15] Même si le Conseil rejette de façon sommaire les arguments de l’AR qui étaient de la nature d’un appel, il estime que l’argument à propos d’une prétendue erreur de droit dans l’interprétation du paragraphe 18.1(1) mérite d’être examiné en réexamen.

IV. Interprétation du paragraphe 18.1(1)

[16] L’AR fait valoir que l’interprétation du paragraphe 18.1(1) par le banc initial constitue une erreur de droit qui remet véritablement en question l’interprétation du Code donnée par ce dernier.

[17] Le paragraphe 18.1(1) est ainsi libellé :

18.1 (1) Sur demande de l’employeur ou d’un agent négociateur, le Conseil peut réviser la structure des unités de négociation s’il est convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement.

A. La position des parties et les conclusions du banc initial

[18] Selon l’AR, le Conseil devrait interpréter le paragraphe 18.1(1) de la façon suivante :

6. La question à laquelle doit d’abord répondre le Conseil lorsqu’il est saisi d’une demande en vertu de l’article 18.1(1) du Code est de décider si les unités de négociation ne sont plus habiles à négocier collectivement.

7. Le Conseil doit répondre à cette question pour toutes et chacune des unités de négociation.

8. Si une unité de négociation est toujours habile à négocier collectivement, le Conseil doit le constater et le Conseil ne peut inclure cette unité de négociation dans la structure des unités de négociation à réviser et elle doit être écartée du processus de révision de la structure des unités de négociation.

9. Le Conseil a erré dans son interprétation de l’article 18.1(1) du Code en ce qu’il ne s’est pas posé d’abord la question de savoir si les unités de négociation ne sont plus habiles à négocier collectivement.

10. Le Conseil s’est plutôt posé la question de savoir si la structure actuelle des unités de négociation était oui ou non désuète.

[19] La SRC suggère une autre interprétation :

15. Tel qu’il appert du texte même du paragraphe 18.1(1) du Code, l’analyse qui doit être faite dans ce contexte en est un (sic) qui concerne la structure des unités de négociation et les unités de négociation considérées ensemble et globalement, par opposition à une analyse de la situation individuelle de chacune des unités de négociation, comme semble erronément le suggérer l’AR dans la présente Demande.

29. En vertu de l’article 18.1 du Code, le critère applicable n’est clairement pas celui de savoir si une unité de négociation en particulier est toujours habile à négocier collectivement mais bien si toutes les unités de négociation sont toujours habiles à négocier collectivement compte tenu des difficultés liées à l’existence d’une multiplicité d’unités de négociation.

[20] Le banc initial a rejeté l’argument de l’AR à propos de l’interprétation du paragraphe 18.1(1) :

[19] Pour les motifs qui suivent, le Conseil est d’avis que les facteurs invoqués par la Société ont eu des conséquences réelles sur les relations du travail et que la structure actuelle des unités de négociation des employés du réseau français de la Société n’est plus habile à négocier collectivement. À ce stade-ci, le Conseil n’examinera pas les critères liés à la détermination de la nouvelle structure des unités de négociation. Conformément au paragraphe 18.1(2) du Code, le Conseil doit d’abord donner aux parties la possibilité de s’entendre sur cette question.

C. Les facteurs pertinents pour l’application du paragraphe 18.1(1) du Code

[125] Les agents négociateurs et tout particulièrement l’AR allèguent que la Société ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve relativement aux critères à examiner pour la remise en question de la structure actuelle des unités de négociation, par exemple la communauté d’intérêts, la viabilité des unités de négociation, la volonté des employés et la pratique dans le secteur. Le Conseil tient à préciser que les critères énoncés par l’AR sont plutôt ceux dont le Conseil tient compte lorsqu’il doit déterminer l’unité ou les unités qui, selon lui, sont habiles à négocier collectivement. Le Conseil va donc tenir compte de ces critères au cours de la deuxième étape de la procédure lorsqu’il déterminera l’unité ou les unités habiles à négocier, le cas échéant.

(caractères gras ajoutés)

[21] La référence faite par le banc initial à une « deuxième étape » lors de la révision de la structure des unités de négociation repose sur les paragraphes 18.1(2) et (3) :

18.1 (2) Dans le cas où, en vertu du paragraphe (1) ou des articles 35 ou 45, le Conseil révise la structure des unités de négociation :

a) il donne aux parties la possibilité de s’entendre, dans le délai qu’il juge raisonnable, sur la détermination des unités de négociation et le règlement des questions liées à la révision;

b) il peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées pour mettre en oeuvre l’entente.

(3) Si le Conseil est d’avis que l’entente conclue par les parties ne permet pas d’établir des unités habiles à négocier collectivement ou si certaines questions ne sont pas réglées avant l’expiration du délai qu’il juge raisonnable, il lui appartient de trancher toute question en suspens et de rendre les ordonnances qu’il estime indiquées dans les circonstances.

(caractères gras ajoutés)

[22] En effet, si le Conseil conclut que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement, dans le contexte d’une structure englobant plus qu’une unité de négociation, il doit ensuite donner aux parties la possibilité de s’entendre sur la détermination de la ou des nouvelles unités de négociation.

B. La révision de la structure des unités de négociation : l’historique

[23] Avant 1999, le Conseil pouvait ordonner la révision de la structure des unités de négociation en vertu de l’article 18 du Code :

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

[24] Dans Société Radio-Canada (1993), 92 di 95 (CCRT no 1023), le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), le prédécesseur du présent Conseil, a expliqué sa façon d’appliquer l’article 18 pour effectuer une révision globale des unités de négociation :

Ce qui ressort de ces décisions, mis à part le fait reconnu de tous que chaque cas est un cas d’espèce, c’est qu’il doit être démontré que les unités ne sont pas ou plus habiles, qu’elles sont complexes ou désuètes, selon le vocabulaire employé dans l’une ou l’autre de ces décisions. Autrement dit, ces demandes doivent être fondées sur des motifs relevant de l’organisation de saines relations de travail.

Ainsi le Conseil n’accueillera pas venant d’un employeur, pas plus qu’il ne le ferait venant d’un syndicat, de demandes fondées sur un opportunisme à courte vue visant par exemple à court-circuiter le processus de négociation. Le Conseil doit à chaque fois soupeser les motifs à l’appui de la demande en regard des principes cités plus haut du caractère définitif de ses décisions et de la stabilité des relations de travail. Comme soulignait le Conseil dans Téléglobe Canada, supra :

Ce Conseil est donc d’avis que la réconciliation des vues du parlement en regard des droits des employés au libre choix d’association, des droits des employés à la représentation juste, des droits et aussi des obligations des syndicats accrédités, des droits du public à des relations ouvrières ordonnées par la création d’unités de négociation viables et réalistes, et des droits des employeurs d’opérer leur entreprise d’une façon efficace, constitue un exercice d’équilibre où il puisse arriver que certains droits que l’ont croyait inscrits dans le marbre autrefois doivent parfois être en partie atténués en faveur d’autres que le bien général rend plus impérieux.

(pages 316-317; et 125)

S’il en vient à décider que des unités de négociation ne sont plus habiles, alors le Conseil en établira de nouvelles en se fondant sur les règles et critères généralement applicables à l’accréditation. Après quoi il déterminera l’agent négociateur de chacune d’elles selon la règle de la majorité.

(page 106; caractères gras ajoutés)

[25] En 1995, lors d’une révision de la partie I du Code, les auteurs de l’ouvrage intitulé Vers l’Équilibre : Code canadien du travail, Partie I, Révision, Ottawa, Développement des ressources humaines Canada, 1995 (le rapport Sims), ont décrit la pratique du CCRT en ce qui concerne la révision des unités de négociation :

Le Code ne comporte actuellement aucun critère ni processus ou pouvoirs particuliers susceptibles de guider le Conseil dans cette tâche tellement importante. Le pouvoir de procéder à de telles révisions doit être maintenu, mais doit figurer dans un autre article du Code.

Le Conseil considère qu’il a un rôle continu à jouer au chapitre de la détermination des unités de négociation et encourage les parties à soumettre une demande de modification de leur certificat lorsque les circonstances le justifient. Il lui arrive aussi de réexaminer des cas de son propre chef. En outre, même si un demandeur veut retirer sa demande, le Conseil peut refuser d’autoriser le retrait de la demande et poursuivre son examen.

Le Conseil modifie les unités de négociation seulement lorsqu’il a des raisons valables de le faire, soit lorsque les conditions sociales, économiques et technologiques de l’entreprise ont changé dans une mesure telle que la structure existante des unités est devenue désuète. Il interviendra lorsque le processus de négociation est devenu trop lourd et qu’il faut le simplifier ou encore lorsqu’il faut régler les conflits de juridiction.

(pages 75–76; caractères gras ajoutés)

[26] Avant l’adoption de l’article 18.1 du Code, le Conseil pouvait de son propre chef entamer une révision de la structure des unités de négociation, ce qui pouvait entraîner des frais considérables pour les parties concernées. Le rapport Sims a recommandé que seules les parties puissent déclencher un tel processus et que le processus de révision soit décrit explicitement dans le Code :

RECOMMANDATIONS :

Qu’une nouvelle disposition soit ajoutée dans le Code afin de permettre au Conseil de réviser la structure des unités de négociation. Cette disposition devrait stipuler que :

         les demandes doivent être présentées par un employeur ou un syndicat;

         si possible, les parties doivent être encouragées à régler les questions dont est saisi le Conseil, dans la mesure où celui-ci est convaincu que les solutions proposées permettent d’établir des unités habiles à négocier collectivement;

         les demandeurs doivent convaincre le Conseil des problèmes que pose la structure actuelle des unités de négociation et de l’inhabilité de ces derniers à négocier collectivement;

         le Conseil peut rendre des ordonnances provisoires pour faciliter la révision ainsi que pour assurer la poursuite de la négociation collective et l’application de la convention pendant le processus;

         le Conseil est habilité à rendre les ordonnances corrélatives nécessaires pour rétablir des négociations collectives efficaces et permettre l’application de la convention.

(page 78; caractères gras ajoutés)

[27] L’un des objectifs de ces recommandations était d’éviter d’assujettir les parties aux perturbations et aux frais considérables qu’entraînent les révisions d’unités de négociation quand cela ne s’avère pas nécessaire. Le rapport Sims mentionnait :

Compte tenu des perturbations et des frais considérables qu’entraînent les révisions d’unités de négociation, le Conseil procède à un tel exercice lorsqu’il est convaincu par les parties directement concernées que les structures existantes posent de graves problèmes. Si tel n’est pas le cas, il n’existe aucune raison valable de s’ingérer dans le choix d’un agent négociateur. Ce n’est pas le Conseil qui, de son propre chef, doit déclencher le processus, mais bien l’employeur ou au moins un des syndicats concernés. Une fois démontrée la nécessité d’une révision, le Conseil doit pouvoir la mener à terme, avec la collaboration de toutes les parties concernées.

(page 77)

[28] Le Code a par la suite été modifié en 1999 afin d’inclure l’article 18.1, qui permet la révision de la structure des unités de négociation qu’à la demande d’une partie ou à la suite d’une déclaration d’employeur unique ou de vente d’entreprise.

C. Le libellé de l’article 18.1 n’appuie pas l’argumentation de l’AR

[29] Le banc initial n’a commis aucune erreur de droit ou de principe dans son interprétation de l’article 18.1.

1. L’expression « les unités » au paragraphe 18.1(1) n’équivaut pas à l’expression « chaque unité »

[30] À des fins de consultation, voici le paragraphe 18.1(1) en français et en anglais :

Section 18.1

Article 18.1

18.1 (1) On application by the employer or a bargaining agent, the Board may review the structure of the bargaining units if it is satisfied that the bargaining units are no longer appropriate for collective bargaining.

18.1 (1) Sur demande de l’employeur ou d’un agent négociateur, le Conseil peut réviser la structure des unités de négociation s’il est convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement.

[31] Le paragraphe 18.1(1) ne s’applique que si un employeur a plus d’une unité de négociation. Lorsqu’il est question d’une seule unité, la demande est toujours déposée en vertu de l’article 18 du Code. Le Conseil, dans Société en commandite transport de valeurs Garda, 2010 CCRI 503, a expliqué sa pratique quand une seule unité de négociation est en jeu.

[32] Dans le libellé du paragraphe 18.1(1), le législateur a choisi d’utiliser l’expression « les unités » et non l’expression « chaque unité », ce qui donnerait : « s’il est convaincu que chaque unité n’est plus habile à négocier collectivement ».

[33] Tous les arguments de l’AR à propos de l’interprétation de l’article 18.1 semblent être fondés sur une prétendue équivalence entre l’expression « chaque unité » et l’expression actuelle « les unités ».

[34] Ce choix par le législateur d’utiliser l’expression « les unités » est logique surtout dans une situation où il voulait que le Code contienne un libellé explicite pour refléter la pratique antérieure du Conseil lors d’une révision globale des unités de négociation, même si de telles révisions ne peuvent plus être entamées par le Conseil de son propre chef.

[35] Dans le contexte d’une révision globale, le Conseil a toujours examiné si les unités, prises dans leur ensemble, n’étaient plus habiles à négocier collectivement. Un banc de révision a d’ailleurs confirmé le principe selon lequel le Conseil révise la structure des unités de négociation globalement selon le contexte de chaque affaire (voir Société Radio-Canada, 2003 CCRI 253).

2. L’AR veut combiner les étapes distinctes des paragraphes 18.1(1) et (2)

[36] Le Conseil doit d’abord déterminer si les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement. À défaut d’une telle conclusion, le Conseil ne peut passer à la deuxième étape prévue au paragraphe 18.1(2).

[37] Même si la condition énoncée au paragraphe 18.1(1) est remplie, rien ne permet de conclure, selon ce paragraphe, que le Conseil doit par la suite systématiquement fusionner toutes les unités en une seule. Le paragraphe 18.1(2) prévoit plutôt que les parties pourront s’entendre sur une nouvelle structure des unités de négociation. La nouvelle structure pourrait englober toutes les unités, mais pas nécessairement.

[38] Le Conseil conserve son pouvoir discrétionnaire de déterminer la structure appropriée, et ce, même si les parties arrivent à une entente : paragraphe 18.1(3). Dans V INTERACTIONS inc., 2010 CCRI 542 (V INTERACTIONS 542), le Conseil a refusé de créer une seule unité malgré les arguments de l’employeur et de tous les syndicats, sauf un, faisant valoir qu’une telle structure serait appropriée.

[39] Par son argument, l’AR semble vouloir forcer le Conseil à évaluer l’habileté de son unité à négocier collectivement dès la première étape du processus de révision des unités en vertu du paragraphe 18.1(1), alors que cette question n’est pertinente qu’à la deuxième étape du processus, tel qu’il est énoncé au paragraphe 18.1(3).

[40] Manifestement, le législateur a voulu que le Conseil procède par étapes, en commençant par la première, soit celle prévue au paragraphe 18.1(1). L’examen de la question de l’habileté à négocier de l’unité de l’AR aura lieu, si les parties ne s’entendent pas, au moment de l’application du paragraphe 18.1(3) du Code.

3. L’expression « les unités » n’équivaut pas non plus à l’expression « toutes les unités »

[41] Chez un employeur comme la SRC, qui compte quatre unités de négociation, la condition énoncée au paragraphe 18.1(1) est remplie si au moins deux des quatre unités ne sont plus habiles à négocier collectivement. D’un point de vue global, une telle conclusion confirme que « les unités » ne sont plus habiles à négocier. Il n’existe aucune obligation pour le Conseil de déterminer que « toutes les unités » ne sont plus habiles.

[42] Le sort de chaque unité individuelle sera décidé lors de la deuxième étape du processus. Il se peut que toutes les unités soient fusionnées. D’un autre côté, le Conseil pourrait décider que certaines unités doivent être fusionnées et que d’autres doivent garder leur statut actuel : V INTERACTIONS 542. Cette décision dépendra des éléments de preuve qui seront devant le Conseil.

[43] À cette deuxième étape, l’AR pourra bel et bien faire valoir son point de vue selon lequel son unité ne devrait être modifiée en aucune façon, puisque celle-ci est toujours habile à négocier collectivement. Le banc initial a déjà entendu la preuve de l’AR à ce sujet, mais a estimé que cette preuve n’était pertinente qu’à la deuxième étape. Pour cette raison, le banc de révision rejette l’argument de l’AR fondé sur la règle audi alteram partem. Le banc de révision estime également que cet argument est prématuré, car le banc initial n’a pas encore eu l’occasion de tenir compte de cette preuve, n’ayant pas encore entamé la deuxième étape du processus.

4. L’argument de l’AR pourrait empêcher le Conseil de s’acquitter de ses obligations en vertu du Code

[44] L’argument de l’AR pourrait aussi mener à une situation absurde faisant en sorte que l’article 18.1 serait dépourvu de tout sens. L’AR a suggéré que si son unité demeure « habile », elle ne devrait plus participer au processus régi par le paragraphe 18.1(2). Elle exige donc que le Conseil évalue la situation individuelle de chaque unité.

[45] Par contre, si l’interprétation de l’AR était retenue, il suffirait à une partie visée par une demande de révision de démontrer qu’une seule unité est toujours viable et habile à négocier afin d’empêcher le Conseil d’exercer son pouvoir discrétionnaire de réviser la structure des unités dans son ensemble.

[46] Le Conseil doit parfois fusionner un grand nombre d’unités. Dans Société canadienne des postes (1988), 73 di 66; et 19 CLRBR (NS) 129 (CCRT no 675), le CCRT a déterminé qu’il était approprié de réduire à quatre unités de négociation les 26 unités qui étaient représentées par huit agents négociateurs. Certaines unités représentaient des surveillants.

[47] Serait-il logique que le Conseil ne puisse revoir une structure désuète si une partie démontre qu’une seule unité parmi un groupe demeure habile à négocier?

[48] L’AR n’a pas convaincu le banc de révision que le banc initial a commis une erreur de droit ou de principe dans son interprétation de l’article 18.1. La situation particulière de l’unité de l’AR pourra être traitée au cours du processus régi par les paragraphes 18.1(2) et (3).

[49] Par ailleurs, l’AR a allégué que le banc initial n’a pas suivi le raisonnement énoncé par le Conseil dans Société Radio-Canada, 2005 CCRI 307. Dans cette affaire, le Conseil avait indiqué que la partie qui demande la révision de la structure des unités de négociation doit démontrer qu’elle a fait « tout en son pouvoir pour obtenir les concessions dont elle avait besoin ».

[50] La jurisprudence est toutefois claire que la règle du précédent ne s’applique pas aux décisions du Conseil : J.D. Irving Ltd. c. General Longshore Workers, Checkers and Shipliners of the Port of Saint John, 2003 CAF 266. Dans l’affaire à l’étude, le banc initial était convaincu que la SRC avait obtenu suffisamment de concessions dans les faits et a reconnu que le fardeau de la preuve n’était pas insurmontable en vertu de l’article 18.1.

[51] L’AR a aussi demandé un sursis de la décision du banc initial. Une demande de réexamen n’entraîne pas automatiquement le sursis d’une décision initiale (voir Brink’s Canada Limited, 2002 CCRI 204). Compte tenu des conclusions dans la présente décision, cette demande de sursis est devenue théorique. Le banc initial doit poursuivre son processus de révision de la structure des unités de négociation.

[52] Pour ces motifs, la demande de réexamen de l’AR est rejetée.

[53] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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