Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier,

requérant,

et

Bell Canada; Bell Gestion de Services Internet inc.,

employeurs.

Dossier du Conseil : 28738-C

Référence neutre : 2012 CCRI 761

Le 20 juillet 2012

[Veuillez noter que le Conseil a décidé de réémettre en Motifs de décision cette décision auparavant non rapportée afin de la rendre plus facilement accessible au sein de la communauté des relations du travail.]

Un banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. John Bowman et André Lecavalier, Membres, a examiné la demande susmentionnée.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre une décision partielle sans tenir d’audience.

Procureurs inscrits au dossier

Me Micheil M. Russell, pour le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier;

Mes Maryse Tremblay et Mireille Bergeron, pour Bell Canada;

Me William Hlibchuk, pour Bell Gestion de Services Internet inc.

[1] Le 4 mai 2011, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (le SCEP) a présenté une demande en vertu des articles 35 et 44 du Code. Dans cette demande, le SCEP alléguait que les employeurs intimés, Bell Canada (Bell) et Bell Gestion de Services Internet inc. (BGSI), constituent un employeur unique ou, subsidiairement, qu’ils avaient conclu entre eux une vente d’entreprise qui avait eu des répercussions sur les droits de représentation du SCEP.

[2] Bell et BGSI ont présenté leurs réponses en mai 2011. Le fait que BGSI est une filiale en propriété exclusive de Bell n’est pas contesté. Bell a décrit sa relation avec BGSI en expliquant que cette dernière lui fournit des services de centre d’appels. Les services fournis comprennent la réponse aux clients de Bell Canada qui appellent au sujet de leur service Internet et de leur facture « unique » (traduction).

[3] BGSI a expliqué qu’elle s’était lancée en affaires en 2000, d’abord en tant que société à numéro et filiale de Bell, mais qu’elle avait adopté sa désignation actuelle en 2003. Elle faisait fonction de centre de service à la clientèle pour les clients de Bell qui rencontraient des problèmes avec leur service Internet. BGSI a mentionné, à titre d’argument préliminaire, qu’en raison de ses fonctions de centre d’appels, elle relevait de la compétence provinciale.

[4] Le SCEP a soutenu que BGSI faisait partie intégrante de l’entreprise de télécommunications en évolution de Bell.

[5] Le 30 novembre 2011, l’agent des relations industrielles (ARI) du Conseil a déposé son rapport et a renvoyé l’affaire au Conseil pour qu’il la tranche.

[6] À la demande du Conseil, qui avait examiné le dossier, l’ARI a rédigé un second rapport, qu’il a envoyé aux parties le 19 avril 2012. Le Conseil a joint une copie de ce rapport à la présente décision (annexe A) et il n’exposera pas ici tous les faits qui y sont décrits.

[7] Voici certains des faits les plus pertinents dont fait état ce rapport de l’ARI :

1.   BGSI (qui est exploitée sous d’autres noms également) exerce des activités à Montréal et peut être décrite comme un centre d’appels bilingue dont les bureaux se trouvent au 2e et au 3e étages d’un immeuble de Bell;

2.   BGSI ne génère aucun revenu; elle fournit des services de soutien aux clients qui font déjà affaire avec Bell et qui ont des questions concernant leur facture. Toutes les activités de BGSI sont exécutées pour le compte de Bell;

3.   Bell gère le volume des appels traités par BGSI, et le centre de direction de Bell coordonne les horaires de travail des employés de BGSI;

4.   Les employés de BGSI ont un laissez-passer de sécurité avec photo sur lequel le logo de Bell apparaît et qui est délivré par Bell;

5.   Les employés de BGSI sont tous tenus de signer le Code de conduite de Bell;

6.   Ce sont les employés de Bell qui conçoivent les modules de formation destinés aux employés de BGSI;

7.   BGSI s’occupe des demandes de renseignements présentées par les clients de Bell relativement à des questions comme les tarifs, les modifications, les crédits, les éclaircissements demandés et les promotions concernant les services filaires, Internet, le service de télévision ainsi que les forfaits et ensembles de services offerts par Bell;

8.   L’exploitation de BGSI à Ottawa compte trois unités distinctes qui sont également situées dans des immeubles de Bell : i) Soutien technique aux petites et moyennes entreprises; ii) Soutien technique, Accès Internet résidentiel; et iii) Deuxième ligne Bell/Équipe de résolution niveau II, TVIP;

9.   Les trois unités d’Ottawa de BGSI offrent aux clients de Bell des services de soutien technique bilingues concernant les services Internet, de téléphonie et de télévision;

10.   Bell joue un rôle dans le recrutement des employés de BGSI.

[8] À la lumière des faits décrits dans les actes de procédure des parties et dans les rapports de l’ARI, le Conseil est convaincu que BGSI est assujettie à la compétence fédérale aux fins de la demande du SCEP.

[9] Les activités de BGSI sont exclusivement constituées des services qu’elle fournit à Bell. Le Conseil estime que BGSI est le genre d’entité auquel s’applique le critère relatif à la compétence dérivée établi par la Cour suprême du Canada (voir Tessier Ltée c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23, au paragraphe 48).

[10] D’un point de vue analytique, cette conclusion est similaire à celle que le Conseil a tirée dans Nordia (Ontario) Inc., 2003 CCRI 221 (Nordia). Nordia (Ontario) Inc. (Nordia) fournissait des services d’assistance-annuaire à Bell et à d’autres clients. Il a été conclu dans cette décision que, bien que le lien de dépendance entre Nordia et Bell fût plus ténu que celui qui existe entre Bell et BGSI, les services offerts par Nordia demeuraient néanmoins vitaux et essentiels :

[34] Le Conseil est donc convaincu que les activités de Nordia satisfont aux critères d’être une partie « vitale, essentielle et intégrante » des activités de télécommunications de l’entreprise fédérale principale qu’est Bell. La preuve a clairement établi la coopération opérationnelle et l’intégration fonctionnelle entre les deux entités. En outre, leur intégration est indispensable pour que Bell puisse se conformer aux normes obligatoires que le CRTC [Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes] impose pour l’exécution des services d’assistance-annuaire que Nordia assure en son nom.

[11] À la demande conjointe des parties, le Conseil a ultérieurement révoqué les ordonnances d’accréditation qu’il avait rendues dans Nordia, en raison de nouveaux événements et de  changements survenus par la suite.

[12] En outre, et par analogie, le Conseil ne voit aucune différence entre la situation en l’espèce et celle qui a fait l’objet de la décision XL Digital Services Inc. c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2011 CAF 179 (XL Digital). Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale avait conclu que les activités de HomeTech, un entrepreneur indépendant qui fournissait des services d’installation du câble ainsi que d’autres services au domicile de clients de Rogers, étaient vitales à l’entreprise de câblodistribution assujettie à la compétence fédérale :

[27] L’avocat de HomeTech convient que le Conseil a appliqué le bon critère à quatre volets établi dans Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115 à 135, pour répondre à cette question : (i) la nature générale de l’exploitation de HomeTech comme entreprise active, (ii) la nature du lien unissant HomeTech à Rogers, (iii) l’importance du travail effectué par HomeTech pour Rogers en comparaison avec ses autres clients et (iv) l’étendue de la participation des employés de HomeTech à l’exploitation de l’entreprise fédérale principale de Rogers.

[28] Pour paraphraser le juge Estey, qui écrivait au nom de la majorité de la Cour dans Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733, à la page 770, la question est la suivante : dans quelle mesure le travail des employés de HomeTech faisait-il partie intégrante de l’entreprise fédérale de Rogers? Il importe de garder à l’esprit que j’ai déjà conclu que le Conseil n’a pas commis d’erreur en concluant que l’entreprise fédérale de Rogers s’étendait de la tête de réseau aux câbles et à l’équipement reliant ses clients au réseau.

[29] Presque tous les faits mènent à la conclusion que les employés de HomeTech sont très intégrés dans l’entreprise fédérale. En particulier, l’exploitation de HomeTech « comme entreprise active » consistait à brancher les clients de Rogers au réseau et à fournir des services connexes. HomeTech n’appartenait pas à Rogers, mais Rogers était le seul client de HomeTech et les employés en cause de HomeTech consacraient tout leur temps à effectuer des travaux visés par les contrats conclus entre Rogers et HomeTech. Rogers contrôlait la répartition du travail des employés et l’établissement de leurs horaires.

[30] La principale observation sur cette question, faite au cours de la plaidoirie par l’avocat de HomeTech, était que le branchement des téléviseurs des clients au réseau au moyen d’un récepteur numérique constituait une partie périphérique de l’entreprise fédérale. La [TRADUCTION] « partie essentielle » du réseau, a-t-il dit, consiste à recevoir, à convertir et à transmettre les signaux aux prises de distribution.

[31] Je ne suis pas d’accord. Chaque partie du réseau est essentielle pour la transmission des signaux aux clients. On ne peut vraisemblablement dire que la réception des signaux par les clients de Rogers était subsidiaire à leur transmission jusqu’à la sortie dans la rue. La seule fin du réseau de Rogers est de permettre à ses clients de recevoir les signaux sur l’équipement se trouvant dans leurs résidences.

(c’est nous qui soulignons)

[13] Les services offerts par BGSI, qui garantissent que les clients de Bell reçoivent les services de télécommunications pour lesquels ils paient, semblent analogues aux travaux d’installation du câble exécutés par HomeTech et qui étaient en cause dans XL Digital.

[14] Contrairement à HomeTech, BGSI a toujours été une filiale en propriété exclusive de Bell et elle a toujours fourni ses services à Bell exclusivement. HomeTech, en revanche, appartenait à des propriétaires indépendants, mais elle fournissait des services exclusivement à Rogers.

[15] L’exploitation de BGSI en tant qu’entreprise active garantit une aide rapide et efficace aux clients de Bell qui sont aux prises avec des difficultés. Qu’ils soient offerts par Bell ou par une filiale en propriété exclusive, ces services sont vitaux pour assurer un service continu aux clients de Bell. La situation serait très différente si Bell décidait par exemple de confier à un sous-traitant, plutôt qu’à ses propres employés, le nettoyage de ses immeubles. Des services de ce genre – et peu importe de savoir si Bell fait faire des travaux de cette nature ou non – ne sont pas considérés comme vitaux ou essentiels.

[16] Bien que les employés de BGSI n’installent peut-être pas le câble à domicile chez des clients, ils permettent néanmoins aux clients de Bell d’avoir accès à leurs services de télécommunications. Bell peut fournir des services de soutien technique directement à ses clients ou, sous réserve des obligations auxquelles elle est tenue aux termes de sa convention collective, elle peut confier à d’autres entités, y compris des filiales en propriété exclusive, le soin d’assurer ces services sur place. Le recours à BGSI était un moyen parmi d’autres que Bell pouvait utiliser pour assurer un éventail de services essentiels complet à ses clients.

[17] Le Conseil n’est pas convaincu que le fait d’avoir créé une filiale en propriété exclusive, dont les employés travaillent sur place et fournissent des services techniques essentiels aux clients, rend les activités de BGSI moins vitales au regard de l’entreprise de télécommunications de Bell, ou que cela soustrait BGSI à la compétence fédérale.

[18] Le Conseil est en conséquence convaincu que BGSI relève de sa compétence. Le Conseil tiendra sur-le-champ une conférence de gestion de l’affaire avec les parties et il fixera des dates d’audience provisoires si aucune autre méthode ne permet de régler l’affaire plus rapidement.

[19] Les actes de procédure produits jusqu’à maintenant ne permettent pas au Conseil de rendre une décision concernant les allégations principales du SCEP. Par exemple, même si les cinq critères étaient remplis pour qu’il y ait déclaration d’employeur unique, il manque au Conseil certains renseignements qui lui permettraient d’établir s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour formuler une déclaration d’employeur unique.

[20] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil et elle est signée en son nom par Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. John Bowman et André Lecavalier, Membres.

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