Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Stephen Frayling,

plaignant,

et

Unifor,

intimé,

et

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada,

employeur.

Dossier du Conseil : 30742-C

Référence neutre : 2015 CCRI 757

Le 28 janvier 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice‑président, ainsi que de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres.

Représentants des parties au dossier

M. Stephen Frayling, en son propre nom;

Me Lewis Gottheil, pour Unifor;

Me Jacynthe Girard, pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

I. Nature de la plainte

[1] Le 29 octobre 2014, M. Stephen A. Frayling a déposé une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ) dans laquelle il allègue que son agent négociateur, Unifor, a enfreint l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] M. Frayling conteste la décision d’Unifor de régler son grief plutôt que de le renvoyer à l’arbitrage.

[3] Le Conseil a examiné la plainte de M. Frayling et a conclu que ce dernier n’a pas établi de preuve prima facie démontrant qu’Unifor a enfreint le Code. Voici les motifs du Conseil.

II. Le devoir de représentation juste

A. Analyse de l’existence d’une preuve prima facie

[4] Dans le cadre d’une plainte de manquement au DRJ, le Conseil examine d’abord la plainte, de même que les documents qui y sont annexés, afin de déterminer si le plaignant a établi une preuve prima facie pour appuyer l’allégation selon laquelle il y aurait eu violation du Code. Si le plaignant n’a pas établi de preuve prima facie, le Conseil n’a alors pas besoin de faire intervenir le syndicat intimé ni l’employeur.

[5] Le Conseil a résumé le processus de tamisage (screening) qu’il suit dans Browne, 2012 CCRI 648 (Browne 648), aux paragraphes 20 à 22 :

[20] Dans les affaires relatives à l’article 37, le Conseil procède à une analyse de l’existence d’une preuve suffisante à première vue lorsqu’il examine une nouvelle plainte. À moins que le plaignant n’établisse l’existence d’une preuve suffisante à première vue d’une violation du Code, le Conseil ne demandera pas au syndicat et, encore moins, à l’employeur de présenter une réponse. Ce processus a récemment été expliqué dans Crispo, 2010 CCRI 527 :

[12] Le Conseil se livre à une analyse de la preuve suffisante à première vue dans le cadre des nombreuses plaintes de manquement au devoir de représentation juste qu’il reçoit. Dans cette analyse, le Conseil tient pour avérés les faits importants allégués par un plaignant, et examine ensuite si ces faits importants peuvent être assimilables à une violation du Code.

[13] L’analyse de la preuve suffisante à première vue soupèse les faits importants plutôt que les conclusions de droit. Le plaignant qui invoque une conclusion de droit en alléguant, par exemple, qu’une conduite donnée était arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi n’évite pas ainsi l’application de ce critère.

[14] Dans Blanchet c. Association des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 712, 2009 CAF 103, la Cour d’appel fédérale a appuyé le recours par le Conseil à l’analyse de la preuve suffisante à première vue et l’accent qu’il met sur les faits importants :

[17] En règle générale, lorsqu’un tribunal tient pour avérées les allégations, il s’agit d’allégations de fait. Cette règle ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de conclusions de droit : voir Lawrence v. The Queen, [1978] 2 C.F. 782 (1ière instance). La détermination des questions de droit appartient au tribunal et non aux parties : ibidem.

[18] Il est vrai que le Conseil, dans l’extrait cité, n’a pas spécifié qu’il faisait référence aux allégations de fait du demandeur. Mais la référence qui y est faite aux allégations du demandeur ne peut être autre chose qu’une référence à des allégations de fait. Car, s’il en était autrement, il suffirait pour un plaignant d’énoncer comme conclusion que la décision de son syndicat est arbitraire ou discriminatoire pour que le Conseil soit tenu de conclure à une violation, du moins une violation prima facie, de l’article 37 du Code et d’adjuger sur le bien-fondé de la plainte. Ainsi le processus de tamisage (screening) des plaintes serait relégué aux oubliettes du passé.

(c’est nous qui soulignons)

[21] Dans l’extrait ci-dessus, la citation de l’arrêt Blanchet, rendu par la CAF, fait ressortir qu’il n’est pas suffisant d’affirmer qu’il y a eu conduite arbitraire ou discriminatoire pour être dispensé de l’analyse de l’existence d’une preuve suffisante à première vue. Le Conseil ne tient pas pour avérées les conclusions de droit d’un plaignant, mais il analyse plutôt les faits importants pour déterminer si l’affaire s’appuie sur une preuve suffisante à première vue.

[22] Le Conseil se demandera donc, en l’espèce, si les faits importants allégués par Mme Browne permettent de conclure à première vue qu’il y a eu violation de l’article 37 du Code.

[6] Par conséquent, les faits importants allégués par M. Frayling permettent‑ils d’établir une preuve prima facie démontrant une violation du Code?

B. Charge d’un grief

[7] C’est au syndicat que revient la charge des griefs. Comme il est indiqué dans Browne 648, cela signifie qu’il appartient au syndicat de décider, entre autres choses, s’il convient de renvoyer à l’arbitrage un grief en particulier ou de le régler :

[17] La question de savoir à qui revient la charge d’un grief constitue un autre facteur important dans le cadre d’une affaire relative au manquement au DRJ. Dans la quasi-totalité des cas, c’est au syndicat qu’incombe cette responsabilité, et c’est lui qui décide de renvoyer l’affaire à l’arbitrage et, éventuellement, de régler le litige à un moment ou un autre.

[18] Le syndicat demeure assujetti à l’article 37 du Code tandis qu’il joue ce rôle de représentant. Toutefois, le simple fait qu’un employé s’estimant lésé soit en désaccord avec la manière dont son syndicat exerce son pouvoir discrétionnaire ne constitue pas, en soi, une violation du Code, comme le Conseil l’a expliqué dans Kasim, 2008 CCRI 432 :

[19] Le devoir de représentation juste prévu dans le Code a pour but de faire en sorte que l’agent négociateur respecte les droits substantiels qui accompagnent l’accréditation. Il est interdit à un agent négociateur d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des droits d’un employé en vertu de la convention collective applicable.

[20] Cependant, ce devoir ne signifie pas que chaque employé a le droit de faire renvoyer son grief à l’arbitrage. Plutôt, l’agent négociateur peut décider quels griefs seront renvoyés à l’arbitrage et lesquels seront réglés.

[21] Pour déterminer si un agent négociateur a rempli le devoir imposé par le Code, le Conseil examine le processus que l’agent a suivi lors de sa représentation d’un employé. Un agent négociateur ne peut être comparé à un avocat du secteur privé qui est obligé de suivre les instructions précises du client. Plutôt, dans pratiquement tous les cas, l’agent négociateur a la charge du grief et, bien qu’il doive communiquer avec l’employé en question, il conserve la discrétion de décider comment il traitera le grief.

[22] Le Conseil ne siège pas en appel de la manière dont un syndicat exerce cette discrétion. Le Conseil interviendra uniquement si le plaignant réussit à démontrer que l’agent négociateur a agi d’une manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[19] Le STTP a avisé Mme Browne à maintes reprises qu’il avait la charge du grief. Cela s’est produit, par exemple, lorsque Mme Browne a demandé au STTP de remplacer par un autre le conseiller juridique assigné à son affaire.

[8] Bien que la charge du grief revienne au syndicat, celui-ci demeure visé par l’obligation prévue à l’article 37 du Code de ne pas agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, à l’égard des droits reconnus aux membres de l’unité de négociation par la convention collective.

C. Rôle du Conseil

[9] Comme la charge d’un grief revient au syndicat, le Conseil ne remet pas en question les décisions de celui-ci. Il examine plutôt le processus que le syndicat a suivi afin d’arriver à ces décisions. Tant que ce processus ne démontre pas que le syndicat a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, il n’y aura pas violation du Code.

[10] Le Conseil a expliqué sur quoi est axé son examen dans Singh, 2012 CCRI 639 :

[81] Étant donné que le Conseil se concentre sur le processus que suit le syndicat, plutôt que sur le bien-fondé de sa décision, une enquête liée à l’article 37 se limite aux mesures concrètes que le syndicat a prises pour décider de ne pas renvoyer une affaire à l’arbitrage. Le Conseil a fait le commentaire suivant sur la portée de son analyse dans la décision Cheema, 2008 CCRI 414 (Cheema 414) :

[12] Le rôle du Conseil, dans le contexte d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste, est d’examiner la manière dont le syndicat a traité le grief de l’employé (voir Bugay, 1999 CCRI 45). L’objet d’une plainte fondée sur l’article 37 n’est pas d’en appeler de la décision du syndicat de ne pas renvoyer un grief à l’arbitrage ou d’évaluer le bien-fondé d’un grief, mais de faire en sorte que le Conseil se penche sur la façon dont le syndicat a traité le grief (voir Presseault, 2001 CCRI 138).

[82] L’audience du Conseil n’est pas l’instance appropriée pour un syndicat de démontrer que, s’il avait examiné l’affaire plus à fond, sa conclusion initiale serait quand même correcte.

[83] Le Conseil a soulevé ce point à plusieurs reprises au cours de l’audience en raison de doutes concernant la pertinence de certaines questions posées.

[84] En l’espèce, le Conseil s’intéressait précisément à ce que les Teamsters avaient fait, principalement par l’intermédiaire de M. Randall, pour finir par conclure, le 15 mars 2010, de ne pas procéder à l’arbitrage. Une audience relative à un manquement au DRJ n’est pas le moment où le syndicat peut procéder à une nouvelle enquête sur l’affaire, dans le cadre d’un contre-interrogatoire mené par un avocat très habile, en vue de justifier le bien-fondé de sa conclusion initiale.

[85] Le fait de permettre à un syndicat de mener une seconde fois son enquête lors d’une audience relative à un manquement au DRJ comporte deux problèmes. Premièrement, on perd de vue le fait que le Conseil est tenu de se concentrer sur le processus qui a été concrètement suivi; deuxièmement, cela incite le Conseil à examiner le bien-fondé de la décision du syndicat. Cela n’est pas le rôle du Conseil. Ce dernier respectera les décisions que prend un syndicat sur ces questions, à la condition que le processus qu’il a suivi réponde aux normes qu’impose l’article 37 du Code.

[11] C’est en tenant compte de ces principes que le Conseil examinera les faits importants allégués par M. Frayling.

III. Faits

[12] M. Frayling allègue qu’Unifor a enfreint le Code lorsqu’il a décidé de ne pas participer à l’audience d’arbitrage qui était prévue, et de négocier plutôt un règlement avec son employeur, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) :


Après deux années et demie d’attente pour que ce grief soit renvoyé à l’arbitrage, le syndicat a « abandonné » mon grief parce que je ne voulais pas signer une « lettre d’entente » qui ne permettait pas de régler les questions que le syndicat avait promis de régler.

(traduction)

[13] À la page 4 de sa plainte, M. Frayling a indiqué que son grief avait trait à une question de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. M. Frayling avait aussi déposé une plainte relative aux droits de la personne le 26 novembre 2012. Selon l’un des redressements que M. Frayling a demandés dans sa plainte de manquement au DRJ, si la Commission des droits de la personne était saisie de l’affaire, Unifor devrait alors payer les coûts raisonnables assumés par le plaignant relativement à cette autre audience (page 9 de la plainte).

[14] Les documents annexés à la plainte de M. Frayling permettent de mieux comprendre le contexte de cette affaire.

[15] Le document no 1 décrit l’objet de son grief. Le document no 2 contient la lettre du CN datée du 30 juillet 2012 dans laquelle l’employeur explique pourquoi il a rejeté le grief de M. Frayling.

[16] Le document no 3 indique que l’audience d’arbitrage de M. Frayling devait débuter le 15 juillet 2014 devant l’arbitre Howard D. Brown.

[17] Un courriel daté du 10 juillet 2014 (document no 4) du représentant syndical de M. Frayling, M. Stevens, avait trait à une « proposition de contre‑offre faite à l’entreprise » (traduction). Dans l’objet de ce courriel, il est indiqué « calcul du dossier Frayling » (traduction). À ce courriel étaient joints des extraits d’un calendrier, ainsi que le calcul de M. Stevens concernant les pertes alléguées par M. Frayling.

[18] Unifor a reporté la date de l’audience d’arbitrage de M. Frayling du 15 juillet au 14 août 2014 étant donné que, entre autres choses, les parties avaient commencé à discuter d’un règlement (document no 5). M. Stevens a écrit à M. Frayling le 21 juillet (document no 6) pour l’informer qu’Unifor avait réussi à obtenir du CN ce qui, à son avis, lui permettrait de régler le grief.

[19] M. Frayling a conclu que les modalités étaient inacceptables (document no 7). La réaction de M. Frayling a incité M. Stevens à lui écrire une lettre pour lui expliquer qu’il recommanderait à Unifor d’accepter l’offre du CN. M. Stevens a encouragé M. Frayling à accepter sa recommandation (document no 8).

[20] M. Frayling a présenté à M. Stevens une contre‑offre. Si le CN ne l’acceptait pas, M. Frayling demanderait instamment à M. Stevens de recourir à l’arbitrage (document no 10).

[21] M. Frayling a finalement refusé d’accepter le règlement. Le CN et M. Stevens, au nom d’Unifor, ont tout de même signé une lettre de règlement le 30 juillet 2014 (document no 9), dans laquelle étaient précisées les modalités du règlement du grief de M. Frayling.

[22] M. Frayling a demandé au président local du syndicat d’intervenir en son nom. Le président a informé M. Frayling de ses droits d’appel en vertu des règlements applicables (document no 11).

IV. Analyse et décision

[23] M. Frayling n’a pas démontré que la conduite d’Unifor répondait au critère pour être considérée comme arbitraire ou discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi.

[24] Unifor, représenté par M. Stevens, connaissait très bien les faits qui sous‑tendaient les allégations de M. Frayling. Par exemple, M. Stevens a fourni à M. Frayling un calcul des dommages‑intérêts subis (document no 4).

[25] M. Stevens a aussi négocié les modalités d’un règlement avec le CN et est parvenu à conclure ce qu’Unifor estime être une entente acceptable.

[26] Ces événements n’appuient pas l’idée que M. Frayling a exprimée dans sa plainte selon laquelle Unifor a « abandonné » (traduction) son grief sans lui donner d’explication. En fait, Unifor a obtenu ce qu’il estime être un compromis raisonnable.

[27] Unifor avait la charge du grief de M. Frayling. Ce premier a établi que le règlement négocié valait mieux que le recours à l’arbitrage. Les syndicats mènent couramment ce type d’analyse pour déterminer s’il convient de régler un grief ou de recourir à l’arbitrage.

[28] Il n’appartient pas au Conseil de déterminer si ce règlement aurait dû inclure les autres modalités que M. Frayling demandait. Le Conseil examine plutôt le processus suivi par Unifor. Il ressort clairement de la documentation qu’Unifor a compris les faits et les questions en jeu, qu’il a représenté les intérêts de M. Frayling et qu’il a décidé d’accepter un règlement du grief, même si M. Frayling a refusé de signer la documentation.

[29] En tant qu’agent négociateur accrédité, Unifor avait le droit d’agir de cette façon. M. Frayling, comme la plupart des employés s’estimant lésés, aurait préféré que son grief soit renvoyé à l’arbitrage, mais c’est à Unifor seulement, au bout du compte, qu’il incombait de prendre cette décision.

[30] M. Frayling a laissé entendre que la décision d’Unifor de régler le grief avait « favorisé et encouragé » la discrimination dont il prétend avoir fait l’objet. Le Conseil souligne que les allégations formulées par M. Frayling à cet égard contre le CN sont toujours en instance devant un autre tribunal.

[31] Pour les motifs exposés ci-dessus, le Conseil conclut que M. Frayling n’a pas établi qu’il y a eu violation prima facie du Code. Le Conseil rejette sa plainte.

[32] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.