Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Daniel Ménard,

plaignant,

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

intimé,

et

Société canadienne des postes,

employeur.

Dossier du Conseil : 30556-C

Référence neutre : 2015 CCRI 753

Le 8 janvier 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice‑président, ainsi que de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier

M. Daniel Ménard, en son propre nom;

M. Sylvain Lapointe, pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes;

Me Stéfanie Germain, pour la Société canadienne des postes.

I. Nature de la plainte

[1] Le 25 juillet 2014, le Conseil a reçu de M. Daniel Ménard une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ), dans laquelle il allègue que son syndicat, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), a enfreint l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] [Le 19 mars 2014, la Société canadienne des postes (SCP) avait congédié M. Ménard alléguant qu’elle avait une cause juste. Le STTP a alors négocié avec la SCP une entente de principe (EP), qui a permis à M. Ménard de démissionner.

[3] Par la suite, M. Ménard a eu des doutes au sujet de l’EP et a déposé la présente plainte alléguant que le STTP a enfreint le Code lorsqu’il a refusé de renvoyer son grief de congédiement à l’arbitrage.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil a décidé de rejeter la plainte de M. Ménard.

II. Le devoir de représentation juste

[5] Dans ses observations, M. Ménard conteste en grande partie la question de savoir si la SCP avait une cause juste pour le congédier. Il est important de décrire le rôle du Conseil lorsqu’il est saisi d’une plainte de manquement au DRJ.

[6] L’intention du Parlement au moment où il a ajouté le DRJ au Code n’était pas que le Conseil siège en appel des décisions d’un syndicat et porte un jugement sur la qualité ou le caractère raisonnable de sa représentation. Au contraire, l’article 37 précise qu’il y a violation du Code uniquement lorsque la conduite d’un syndicat répond au critère exigeant pour être considérée comme « arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi ».

[7] Comme il est indiqué dans Singh, 2012 CCRI 639, le Conseil examine les mesures que les représentants d’un syndicat ont prises pour représenter les intérêts d’un membre de l’unité de négociation :

[81] Étant donné que le Conseil se concentre sur le processus que suit le syndicat, plutôt que sur le bien-fondé de sa décision, une enquête liée à l’article 37 se limite aux mesures concrètes que le syndicat a prises pour décider de ne pas renvoyer une affaire à l’arbitrage. Le Conseil a fait le commentaire suivant sur la portée de son analyse dans la décision Cheema, 2008 CCRI 414 (Cheema 414) :

[12] Le rôle du Conseil, dans le contexte d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste, est d’examiner la manière dont le syndicat a traité le grief de l’employé (voir Bugay, 1999 CCRI 45). L’objet d’une plainte fondée sur l’article 37 n’est pas d’en appeler de la décision du syndicat de ne pas renvoyer un grief à l’arbitrage ou d’évaluer le bien-fondé d’un grief, mais de faire en sorte que le Conseil se penche sur la façon dont le syndicat a traité le grief (voir Presseault, 2001 CCRI 138).

[8] Dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290, le Conseil a formulé les commentaires suivants sur les diverses étapes du processus du syndicat qu’il était susceptible d’examiner dans une affaire de manquement au DRJ :

[37] Par conséquent, le Conseil juge normalement que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation juste s’il a : a) fait enquête sur le grief et obtenu tous les détails relatifs à l’affaire, y compris la version de l’employé; b) déterminé si le grief était fondé; c) tiré des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief et d) informé l’employé des raisons de sa décision de ne pas donner suite au grief ou de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

[9] Récemment, dans Heitzmann, 2014 CCRI 737 (Heitzmann 737), le Conseil a examiné le processus qu’un syndicat a suivi et qui l’a amené à sa décision de mettre fin à une audience d’arbitrage :

[145] À de maintes reprises, le STTP a informé Mme Heitzmann des difficultés juridiques que comportait sa cause et des mesures qu’elle pouvait prendre pour améliorer sa situation. Mme Heitzmann a refusé de suivre ces conseils. Ce refus, entre autres choses, a aussi empêché le STTP d’amorcer des discussions en vue d’un règlement à l’égard desquelles la SCP avait manifesté une certaine ouverture.

[146] L’absence de coopération de la part de Mme Heitzmann en ce qui a trait aux efforts déployés par le STTP a notamment été observée dans le fait qu’elle a négligé sciemment de se présenter à la première date prévue pour l’audience d’arbitrage. Selon la documentation écrite faisant état des communications entre M. Mooney et Mme Heitzmann, celle-ci était au courant de cette date d’arbitrage.

[147] Même après le premier fiasco devant un arbitre du travail chevronné, le STTP a continué de tenter de représenter les intérêts de Mme Heitzmann. Cependant, Mme Heitzmann a persisté à refuser de coopérer.

[148] Au bout du compte, après avoir examiné la situation avec son conseiller juridique, le STTP a décidé de retirer le grief de Mme Heitzmann. Il a par la suite fait part des motifs de sa décision à Mme Heitzmann par courriel.

[149] Le Conseil ne constate aucune conduite arbitraire ou discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi dans le processus qu’a suivi le STTP tout au long de cette affaire.

[10] Bien que l’affaire de M. Ménard diffère quelque peu de la situation présentée dans Heitzmann 737, précitée, étant donné que son grief n’a jamais été renvoyé à l’arbitrage, le Conseil procédera à la même analyse en ce qui concerne le processus du STTP.

III. Faits

[11] La SCP a congédié M. Ménard le 19 mars 2014 « pour cause de violence en milieu de travail » (traduction) (voir l’EP). Le STTP a rencontré M. Ménard le 28 avril 2014 pour discuter de sa version des faits. Le STTP avait déjà en sa possession une vidéo de l’incident.

[12] Le dossier d’employé de M. Ménard faisait état de certaines mesures disciplinaires. Le STTP était d’avis que la SCP pourrait se fonder sur ces mesures pour invoquer un « incident culminant ». De plus, le STTP a estimé que la vidéo de l’incident de violence impliquant M. Ménard et une employée compromettait à elle seule ses chances d’obtenir gain de cause à l’arbitrage.

[13] À la réunion du 28 avril 2014, M. Ménard n’a présenté au STTP aucun élément de preuve ayant une incidence sur son analyse des chances d’obtenir gain de cause à l’arbitrage.

[14] Le STTP avait également entrepris certaines démarches auprès de la SCP pour vérifier si elle accepterait de substituer une démission au congédiement pour cause juste. La SCP s’est d’abord montrée réticente, mais elle a par la suite consenti à négocier une EP.

[15] Le 5 mai 2014, le STTP a tenu une conférence téléphonique avec M. Ménard et d’autres personnes pour discuter des modalités d’un projet d’EP. Le 21 mai 2014, le STTP a de nouveau expliqué à M. Ménard qu’il n’irait pas en arbitrage. Le même jour, M. Ménard a accepté de signer l’EP.

[16] Il ressort clairement du paragraphe 9 de l’EP que M. Ménard a reconnu qu’il signait volontairement l’entente le 21 mai 2014 :

9. L’Employé s’estimant lésé reconnaît qu’il remet sa démission librement et volontairement, en toute connaissance de cause, et après mûre réflexion et discussion avec toutes les personnes concernées par cette démission, y compris le Syndicat et ses représentants, et il renonce par la présente à tout recours qu’il aurait pu exercer ou souhaiterait exercer contre eux actuellement ou à l’avenir relativement à son emploi ou à la cessation de son emploi à la Société.

(traduction)

[17] Ce n’est qu’après avoir signé l’EP que M. Ménard a eu des doutes; il estimait notamment qu’il avait été forcé de signer l’EP.

IV. Analyse et décision

[18] Dans le cas d’une plainte de manquement au DRJ, le fardeau de la preuve incombe au plaignant : Scott, 2014 CCRI 710, aux paragraphes 97 à 102. M. Ménard a‑t‑il convaincu le Conseil que la démarche du STTP en vue d’obtenir l’EP équivalait à une conduite qui peut être considérée comme « arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi »?

[19] La preuve a démontré qu’après avoir pris connaissance de la vidéo de l’incident de violence impliquant M. Ménard et une employée, le STTP a conclu qu’il ne pourrait pas obtenir gain de cause s’il contestait son congédiement devant un arbitre. Le STTP a pris les mesures nécessaires pour obtenir la preuve vidéo et en prendre connaissance. Il a rencontré M. Ménard pour lui demander sa version des faits.

[20] D’après le STTP, M. Ménard a minimisé l’ampleur de l’incident de violence.

[21] Plutôt que de simplement décider de ne pas présenter de grief, le STTP a négocié une entente avec la SCP afin que le congédiement pour « cause juste » ne figure pas au dossier de M. Ménard. La SCP n’était pas ouverte à cette idée au départ, mais en fin de compte, les parties, dont M. Ménard, ont signé l’EP énonçant leurs droits et obligations respectifs. Dans sa plainte, M. Ménard a indiqué qu’il avait parlé avec deux avocats au début de mai 2014 ou vers cette date.

[22] Ce n’est qu’après coup que M. Ménard a semblé regretter d’avoir signé l’EP. Le contenu de sa plainte de manquement au DRJ donnait l’impression qu’il croyait que le Conseil examinerait le bien-fondé de son grief, comme aurait pu le faire un arbitre de griefs.

[23] Le rôle du Conseil diffère de celui d’un arbitre, qui aurait consisté à examiner si la SCP avait une cause juste pour congédier M. Ménard. Le Conseil n’a pas non plus pour rôle de décider si les renseignements que M. Ménard a fournis au STTP auraient dû le convaincre d’aller en arbitrage. Le Conseil doit plutôt examiner le processus que le STTP a suivi.

[24] Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que le STTP a pris pleinement connaissance des faits qui avaient mené au congédiement de M. Ménard pour cause juste. Le STTP a rencontré M. Ménard pour lui offrir la possibilité de s’expliquer. Il s’est ensuite adressé à la SCP pour vérifier s’il était possible de trouver une autre solution.

[25] Finalement, le STTP a obtenu pour M. Ménard une EP, qui comportait une clause par laquelle ce dernier reconnaissait qu’il signait volontairement l’entente.

[26] M. Ménard a reproché au STTP de ne lui avoir laissé pratiquement aucun autre choix que de signer l’EP. Il a allégué que le STTP l’a informé qu’il pouvait soit signer l’EP pour remettre sa démission, soit voir son congédiement pour cause juste inscrit à son dossier permanent. Il a également indiqué qu’il avait dit au STTP que les autres incidents de violence en milieu de travail n’avaient pas été traités aussi sévèrement. En fait, selon lui, l’incident en question était une bousculade et non un incident de violence.

[27] M. Ménard n’a pas réussi à convaincre le Conseil que le STTP a agi d’une manière qui peut être considérée comme « arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi ».

[28] Le STTP a expliqué à M. Ménard que deux choix s’offraient à lui : le statu quo ou l’EP. Le Conseil ne voit pas en quoi une telle franchise était une façon de forcer M. Ménard à signer l’EP contre son gré. Le STTP n’avait pas l’obligation de renvoyer le grief de M. Ménard à l’arbitrage. Dès lors qu’il avait examiné les faits et était parvenu à une conclusion justifiable, il avait le droit de simplement refuser de donner suite au grief.

[29] C’est là l’essence même du rôle de l’agent négociateur, qui doit décider de la façon dont il utilise ses ressources limitées pour bien servir l’unité de négociation.

[30] Plutôt que de simplement refuser d’aller en arbitrage, le STTP a exploré une autre solution pour M. Ménard, qui a eu pour effet de remplacer son congédiement pour « cause juste » par une démission.

[31] Le Conseil conclut que rien dans la façon dont le STTP a représenté M. Ménard ne s’apparente, même de loin, à une violation du Code.

[32] Le Conseil rejette la plainte.

[33] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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